C'est fou ce que je me lève tôt en ce moment, j'ai l'impression que plus je me couche tard et plus je me lève tôt, c'est bizarre. Mais en un sens, ce n'est pas comme si on avait un rythme de vie palpitant, non au contraire, même si on veut se convaincre du contraire on végète la plupart du temps, et quand vient la nuit c'est le sommeil qui nous boude. Et forcément le matin, on est réveillé, c'est pour ça aussi que j'suis entrain de fouler le sol du parc à l'aube. Ça et aussi parce que mon adorable partenaire malade brûlante de fièvre a transformé le lit conjugal en sauna géant, pas l'idéal pour dormir lorsque votre entourage vous surnomme déjà la chaudière. Une douche plus tard, quelques clichés du lac à l'aube et plusieurs cigarettes plus tard et me voilà entrain de traverser le lac, pas à la nage, l'eau doit y être glacé. Et pas dans une barque non plus, c'est grisant ce genre d'épreuve seul. Non, j'viens de montrer les quelques marches et me diriger vers le pont parce qu'il parait que le paysage y est sublime. Je dis bien il paraît parce que même dans mes souvenirs les plus profonds, cet endroit ne s'y trouve pas. Je sifflote, ce silence de mort m'oppresse mais j'suis conscient d'être sûrement le seul barge du coin à se promener dehors à une heure telle que celle-ci. Les mains dans les poches, le pas lourd, la tête baissé. Mais qui ne le reste pas bien longtemps, et heureusement, parce que ce que je suis sur le point d'interrompre est totalement ahurissant. « Non, ne fais pas ça, je ne sais pas ce qui se passe dans ta tête en ce moment mais ça n'en vaut sûrement pas la peine. La vie vaut d'être vécue, je t'en prie, reste en viiiiie ! » Légèrement théâtrale, je lance à la demoiselle qui s'apprête à enjamber la rambarde. Elle plaisante hein, elle ne s'apprêtait pas réellement à mettre fin à ses jours je présume ?

C'est pas super malin de gueuler comme un putois sans prévenir de ma présence parce qu'elle manque de se rétamer la tronche. Oh bah bravo Slavin, bravo. Je porte ma main contre mon visage tout en grimaçant. Ouais, au lieu de réagir avec héroïsme et foncer vers la rambarde pour la sauver de l'affreuse chute qui l'attends, je me cache les yeux. Logique, ouais ouais. On va mettre ça sur le réveil matinal. Bon au moins ma tirade stupide la fait rire, et quelque part, j'suis soulagé, aucune suicidaire dans nos rangs. Enfin pas elle du moins. J'approche et là, elle rentre dans mon jeu, cool. « J'ai un radar anti-suicide, j'arrive toujours à temps pour empêcher les jeunes femmes de mettre fin à leur jours, désolée mademoiselle t'es mal tombée. » Bon pour le coup j'ai l'impression d'être un peu stupide mais à vrai dire, le ridicule n'a jamais tué personne à ce que je sache, je serais mort depuis bien longtemps sinon. Je m'appuie contre la balustrade non loin d'être et l'observe en souriant. « T'es la fille au cul celluliteux toi non ? » Merde, pourquoi je n'arrive pas à me souvenir de son prénom, et puis je me rends compte que ce que j'viens de dire est carrément maladroit. « Enfin la fille qu'on accuse d'avoir CE cul, loin de moi l'idée de t'accuser. T'façon j'suis comme Thomas moi, je ne crois que ce que j'vois. » Je laisse échapper un rire avant de reprendre plus sérieusement. « En réalité, j'essayais de me souvenir de ton prénom, mais rien n'y fait. Au moins, j'sais qui tu es alors que crois moi, y'a des gens que j'croise parfois en me demandant s'ils étaient là depuis le début. » Légèrement désabusé, je fais la moue, parce que le pire c'est que c'était carrément vrai. J'en suis pas fier c'est ça le pire, mais au moins j'suis honnête, on ne peut pas me le reprocher. Et puis avec un peu de chance, j'fais le même effet sur certains candidats.