Boire seule nous amène à l’alcoolisme. Je crois que c’est ça que l’on dit. Je bois souvent et la plupart du temps seule. Je ne suis pas devenue une grosse poivrote pour autant. Je devrais peut-être m’en inquiéter tout de même, parce que ce genre de chose n’arrive pas qu’aux autres... C’est ce que je pense habituellement, mais jamais dans mes moments de faiblesses. Je buvais, sans rien dire à personne et sans demander la pitié de qui que ce soit. Je m’enfilais lampée sur lampée, atteignant la moitié de la bouteille de rouge. Je n’aimais même pas vraiment ça, c’est simplement la première bouteille que j’avais vu en entrant dans la cave. Tout était installé pour s’asseoir et discuter tranquillement autour d’un bon verre. Je préférais me réfugier derrière le bar, à même le sol, dans un coin. La grande, l’unique, Irène la merveilleuse n’était pas forcément très jolie à voir ainsi. Je ne cherchais pas non plus à être vue, même si la caméra d’en face scrutait les moindres allées et venues de la bouteille contre mes lèvres, sans même s’en cacher. Lorsque quelqu’un pénétra dans la cave, je cachais immédiatement la bouteille derrière mon dos, essuyant ma bouche par la même occasion, sur avec le dos de ma main. Je me tapissais un peu plus dans le coin, avant de voir la petite silhouette d’Anabel s’arrêter devant moi. « Bouge… et t’as rien vu ! » Lâchais-je froidement, en la flinguant des yeux.

Je crois que déprime et moi, ça ne fait pas un très bon mélange. Surtout quand il s’agit d’impliquer de l’alcool dans le lot. Boire pour oublier, bien sûr, c’est la solution à tous mes problèmes. Une véritable idée de génie, avouez. Et quand on parle d’alcool, il n’y a qu’un endroit digne de ce nom pour amplement le savourer : la cave à vin ! J’ai dû m’y faufiler trois ou quatre fois, cette semaine, me planquant derrière le bar pour avoir la paix. Pas nécessaire pour y boire, non. J’ai dormi, pleurer ici. Comme si j’étais à la maison. Je songe à m’approprier ce lieu encore une fois, ce soir, lorsque je tombe sur une candidate, qui visiblement, a eu la même sombre idée que moi. Enfin, je suppose, car aucune trace d’alcool dans le coin. La pauvre blondie. Elle a juste l’air… éméchée. Dure soirée? On est deux. « Bouge… et t’as rien vu ! » Je sens son regard noir se vriller sur moi sans vraiment le voir. C’est qu’il fait plutôt sombre, dans le coin, et l’endroit où elle s’est terrée est encore plus obscur que le reste. N’empêche, je n’ai pas l’intention de partir. Dire qu’elle m’a piquée mon endroit favori pour boire en solitaire, quel injustice. J’aurai dû acheter les propriétés de ce refuge personnel avant que l’on ne viole ma possession. Tant pis. Bouteille de blanc entre les mains, je m’avance vers la jeune femme – mécontente, visiblement – puis pose mes fesses justes à côté d’elle. « Je partage. » Ce devrait être un bon compromis pour rester là. J’ignore qu’elle cache derrière son dos une autre bouteille, de rouge cette fois, mais au pire, ça en fera plus à boire !

Je n’avais pas besoin de compagnie, pas ce soir. Etait-il si compliqué de se retrouver seule, au moins une seule fois, dans le château. Visiblement non, pas même dans la cave à vin, un jour de semaine, en soirée. J’étais rude, pas mal polie, mais pas plus polie que ça. Je n’avais aucune envie d’expliquer ma soudaine envie de beuverie et même si je ne la connaissais pas encore, Anabel me semblait être du genre à aimer écouter les gens, ou en tout cas, à savoir le faire. Personnellement, je ne sais pas le faire et je trouvais que c’était moindre plus. Je n’avais pas à me taper tout les pleurnicheurs et devenir leur épaule officielle. Malheureusement pour moi, elle ne semblait pas vouloir s’en aller. Plus que ça, elle vint s’installer tout à côté de moi. Mes yeux s’arrondirent d’exaspération, tandis que ma bouche fit une grimace. L’obscurité me cachait partiellement. Par contre, elle ne cachait pas la bouteille d’Anabel. « Je partage. » Mon sourcil gauche se leva. Très bien, sauf que j’avais commencé au rouge… je comptais finir sur la même touche de couleur. « Je m’en fou ! ». Comme je m’en foutais du pourquoi du comment. Enfin, ma mémoire avait imprimé les réactions d’Anabel au prime. Son secret avait été dévoilé et ce devait être à cause de ça… qu’elle venait boire. J’avais un esprit de déduction imparable. Je la regardais un moment en coin, avant de sortir ma bouteille de derrière mon dos. « Moi je partage pas… normalement… » Ouai, j’allais faire un effort, même si mes doigts restaient bien crampés sur la bouteille. On va dire qu'Anabel fait partie de ces personnes semblant un poil censée et qui plus est, pourrait comprendre que je suis bien plus qu'une chaudasse. L’effet de l’alcool se faisait soudainement ressentir. Malgré ce que j’avais dis à Tweedy, l’alcool ne me faisait pas que danser sur les tables… l’alcool me faisait aussi parler… un peu trop…

Mon arrivée dans ce petit coin exigüe ne se fait pas sans réaction de sa part. Son visage est déformé par une espèce de rictus, ou une grimace, je sais pas trop faire la différence entre les deux, dans cette noirceur. « Je m’en fou ! » Oh, wow, bonjour la politesse. Je suis gentille, moi, je lui propose de partager, et elle m’envoi presque me faire foutre! Je vais commencer à croire qu’elle est de mauvaise poil, la petite dame… mais si on joue à ce jeu-là, elle va très bien s’apercevoir que l’on est deux. Je pose donc mes fesses à côté d’elle, et attrapant l’ouvre-bouteille dans l’un des tiroirs au dessus de nos têtes, je m’occupe les mains à ouvrir mon délice du soir, un blanc avec un nom allemand, je crois. Drôlement ironique, quand même. Mon regard se détourne un moment vers la candidate à mes côtés, et je vois qu’elle sort de sous son dos une bouteille de rouge à moitié entamée. C’est qu’on fait la fête sans moi! Je vais finir par être jalouse. « Moi je partage pas… normalement… » Je ne dirais pas que c’est convaincant… mais presque. De toute façon, le rouge, ce n’est pas tellement mon genre. Trop fort, trop corsé. Je vais le lui laisser, si ça la dérange tant. Je me contente donc d’hausser les épaules. « Tant pis, ça en fera plus pour moi. » Je viens finalement à bout du bouchon, que je balance par-dessus le comptoir, avant de redéposer l’instrument là où je l’ai pris, pour futur usage. Ma bouteille va se cogner légèrement contre celle d’Irène. « Santé! » Et je m’avale d’une traite une bonne gorgée du cépage européen.

Mes motivations à boire ainsi, seule, dans le noir, était déjà flou lorsque j’étais encore sobre. À présent, ce n’est même plus flou… elles me sont presque inexistante en fait. Je bois comme ça, tout simplement pour boire et pour me faire perdre la tête quelques instants. Ma méthode préférée pour ça, c’est normalement « faire l’amour », mais il faut se rendre à l’évidence : les candidats sont déjà choqué de savoir que j’ai baisé avec deux personnes la semaine dernière. En plus, Ezéquiel fait partit de ces deux personnes. Maintenant, je suis presque réellement cataloguée comme un monstre. D’ailleurs, je crois que je vais essayer de ne pas en parler à la demoiselle à côté de moi. Je crois savoir qu’il est un peu bizarre ; qu’il est un peu plus bizarre qu’habituellement avec elle. Je me demandais bien ce qui se tramait entre eux… et cette chose me trottait tant dans la tête, que je ne l’entendais plus vraiment parler. Non plus aucun son dans la pièce : seules ses lèvres bougeaient. Mes yeux s’arrondirent à cette hallucination. Quand la bouteille de blanc entrechoqua la mienne, rouge, mon corps frissonna entièrement et fit un bond du sol. L’alcool faisait vraiment son effet à présent. Aaaah c’est pour ça que les bouteilles tournaient autour de moi depuis son arrivée, à la brune. Je la regardais s’enfiler un peu de blanc. Je m’enfilais à mon tour un peu de rouge. Je fis une nouvelle grimace, le rictus suivant restant sur mes lèvres. « Personne ne m’aime ici… » Bon ce n’est pas comme si j’avais tout fais pour être apprécié des gens. « Comment on fait pour être gentil… » Lui demandais-je, un peu dans la confidence…

Je commence vraiment à croire que la candidate a commencé à faire la fête bien avant mon arrivée dans le cellier. Que cette bouteille, à moitié vide, qu’elle tient entre ces mains n’est pas la première qu’elle boit. C’est qu’une impression, hein, mais je me trompe rarement sur ce genre de détails. Son regard est vague alors qu’il se fixe sur moi, je parle, mais je ne suis pas vraiment persuadée qu’elle est consciente des paroles qui traverse ma bouche. Elle est ailleurs, perdu dans sa tête blonde… je me demande à quoi elle pense. Bon, je ne le saurai surement jamais. Je fais cogner nos deux bouteilles, et, oh, miracle, j’obtiens un réaction de sa part, comme si elle sortait enfin de sa torpeur. Pas que ça me dérangeait qu’elle soit perdue dans ces pensées, ça me donnait un peu l’impression d’être seule, et ce n’était pas désagréable, au finale. Je m’enfile une longue gorgée de blanc, et elle en fait de même avec son rouge. Un peu de vin à couler sur le bord de ma bouche, et je m’essuie la lèvre d’un rapide coup de main. « Personne ne m’aime ici… » Ma tête se tourne vers la jeune femme. Pourquoi cet aveu, ou plutôt, cette constatation, ce soir. Et avec moi, surtout. On n’est pas relativement proche, elle est moi. Notre seul truc commun ayant été de nous envoyer en l’air avec Andreas, et ça n’avait rien de gratifiant. « Comment on fait pour être gentil… » J’arque un sourcil en entendant sa question. Elle est sérieuse, là? « Bah… je sais pas, c’est un truc naturel chez moi, ça s’explique pas tellement. » Bien sûr, ça dépendait aussi des personnes avec qui je me trouvais. Par exemple, avec mon partenaire, j’étais à l’opposé d’être gentille, mais il me tombait sur les nerfs, normal. « Commence… hm… à faire des compliments, peut-être? Et à être polie, maintenant que j’y pense… » Sa façon de m’accueillir en disant long sur ces bonnes manières déviantes.

C’était une évidence, même pour moi à moitié bourré, c’est l’alcool qui parlait pour moi. Être gentille n’était absolument pas dans « mes plans » et pourtant, c’est bien ce que je lui demandais à l’instant même. La conclusion la plus probable est que, peut-être, l’alcool faisait rejaillir en moi des douleurs que je n’ai jamais réussi à panser. La gentillesse a fait partie, fût un temps, de mon comportement et ma personnalité et cela s’est toujours soldé par de la souffrance et une preuve manifeste d’une faiblesse. Me réconcilier avec la gentillesse est une chose plutôt délicate voir même insensée… mais depuis quand l’alcool nous faisait faire des choses sensée ? Je demandais ça à Anabel, comme j’aurais pu le demander à n’importe qui en fait. C’est simplement parce qu’elle se trouvait là, au mauvais endroit. « Bah… je sais pas, c’est un truc naturel chez moi, ça s’explique pas tellement. » Tandis qu’elle parlait, je repris la bouteille par son col, la renversant littéralement au dessus de ma bouche. Elle était déjà vide. Mes sourcils se froncèrent accompagné d’une petite grimace : il n’y a rien de naturel chez moi, alors ne parlons pas de gentillesse naturelle. Par contre, je crois en ma capacité de masquage et de comédie. Moi maintenant je voulais être la gentille du nid. Plus gentille que moi, tu meurs. Mes yeux restaient rivés sur elle, écoutant ses conseils attentivement. « Commence… hm… à faire des compliments, peut-être? Et à être polie, maintenant que j’y pense… » Je la regardais, dubitative, mon corps tanguant un peu de droit à gauche. Des compliments… je lâchais un rire. Ca s’était un peu trop pour moi… Il ne fallait pas abusé tout de même. La politesse… mais je suis polie ! Non en fait je ne l’étais pas, ce mot ne faisant même pas partit de mon vocabulaire. « La politesse, comme ‘Bonjour’, ‘Merci’, ‘Est-ce que tu veux baiser avec moi, S’IL TE PLAIT ?’ » Je lui demandais, en essayant de me relever de ma place. Il me fallait une autre bouteille et rapidos. Evidement, je n’arrivais même pas à décoller mes fesses du sol. Ce fut comme si celui-ci attirait toujours mes fesses par une force invisible et surnaturelle. Je me mis à genoux, mais je partais rapidement en avant, pour tomber de nouveau. J’étais allongée, ventre contre le sol froid de la cave. J’avais, ce soir, l’alcool mélancolique. Triste. Je me mis à pleurer… sans m’en rendre compte…

Me demander, à moi, d’expliquer à quelqu’un comment être gentille, c’est un peu ridicule… dans la mesure ou je ne me force pas à l’être, car je l’ai toujours été, et que ça fait partie de moi. Comme respirer, par exemple. On le fait tous, sans se poser de question, et puis voilà. J’avais donc du mal à mettre des mots sur la requête de la blonde, à être capable de lui expliquer tout ça dans des termes clairs, et surtout, simple pour son esprit embrouillé par l’alcool. Je commençais par ce qui me semblait être basique, les compliments. Mais visiblement, c’était trop pour elle. Du moins, dans cet état. Pas tellement stable, la Irène, même assise. Je continuais donc avec la politesse. Ce qui eut le don de la faire rire. Mon regard se plisse légèrement, il n’y a rien de drôle avec ça, il me semble. « La politesse, comme ‘Bonjour’, ‘Merci’, ‘Est-ce que tu veux baiser avec moi, S’IL TE PLAIT ?’ » Hm, je vois le genre. Et voilà qu’elle tente de se relever, mais je dirais que la tâche est plutôt… laborieuse. Tout ça pour aller se chercher une autre bouteille, je suppose, vu que la sienne est vide. Premier essai, raté. Deuxième essai, et elle se retrouve sur les genoux, avant de s’affaler sur le sol, face contre terre. Je m’inquiète un peu, là. « Tu devrais peut-être arrêter de boire… » que je lance en l’air, comme ça, avant de sortir de mon trou, déposant ma bouteille à l’abri sur le bar, pour aller m’assurer que la candidate va bien. Elle doit pas être bien confortable dans sa position. Je tente donc de la faire rouler, pour la remettre sur le dos, et je reste un peu stoïque quand je remarque les larmes roulant sur son visage. Des émotions que je n’aurai jamais cru voir un jour chez elle. C’est presque… triste. « Tu veux… tu veux que je t’aide à te relever? » Au moins, l’une de nous deux est encore apte à marcher, et à prendre les choses bien en main.

Le spectacle que j’offrais à Anabel – et par la même occasion aux caméras – devait vraiment être pathétique. J’essaye de me relever mais il n’y avait pas moyen, le sol bougeait trop. Le mur aussi. J’avais l’impression que, dans deux secondes, des voix allaient raisonner et que l’on allait me crier de sortir de la pièce parce que mon temps est écoulé, comme dans Fort Boyard. Sauf que c’est autre chose que j’entends : « Tu devrais peut-être arrêter de boire… » Pouwah, je lâchais un rire. Je n’avais pas encore assez bu, plutôt. Tant que j’étais encore un peu consciente, ça voulait dire que non. Je grognais, je n’avais même pas envie de bouger alors que le sol était complètement frigorifiant. J’avais juste envie qu’Anabel me laisse tranquille. J’étais en train de pleurer. De grosses larmes chaudes coulaient sur mes joues, sans même le vouloir. D’où mon envie de rester retranchée dans ma solitude. Non au lieu de ça, je sentais ses mains me retourner. « Tu veux… tu veux que je t’aide à te relever? » Je voyais bien qu’elle était en train de me dévisager. À tous les coups, elle se foutait de ma gueule intérieurement. « Je suis en train de pleurer là ? » Lui demandais-je, sur un ton étrangement neutre. Visiblement oui. « Oh mon Dieu, je sais même pas pourquoi je pleeeeeurs ! » J’étais devenue complètement pathétique. Ce n’était même plus une constatation, mais un fait. Mon esprit était embrouillé. Je n’arrivais plus à penser. Une sorte de cri meurtrissait mon cerveau. Et Anabel me regardait avec ses yeux, là. Je trouvais je-ne-sais-où le courage de relever le haut de mon corps pour l’intimer, après avoir reniflé : « T’as vraiment pas intérêt de raconter ça à qui que ce soit ! » À tête reposé, donc du point de vue d’Anabel, je devais vraiment avoir l’air d’une folle. Ce serait compréhensible de la voir s’en aller en me laissant là, toute la nuit, sur le sol.