Il avait beau quelque peu tard, je ne m'étais pas fait prier pour sortir fumer une clope. Y'avait pas d'heure pour ça, on est bien d'accord. Bah voilà, j'avais donc de compte à rendre à personne, encore moins à vous. Bref. Je m'étais rendu près du pont-levis, un endroit qui n'était pas sans me rappeler un certain soir de mai où j'avais fait la rencontre d'Aj grâce à Tweedy, ici-même. Et ce soir-là aussi, justement, je fumais aussi. Coïncidence ? Non, disons plutôt que ce lieu était propice à bonne une pause cigarette, le soir tout particulièrement. Tandis que je fumais pénard, une demoiselle ne tarda pas à se pointer. À mesure qu'elle s'approchait de moi, je tentai de la reconnaitre. Et contre toute attente, il s'agissait de Sive. Ou la fille à qui j'avais évité une mort atroce la semaine dernière - une terrible chute d'un tabouret instable dans le cellier, en l'occurrence. On avait pas reparlé de ma récompense, d'ailleurs. Mais il sembla qu'elle venait de lire dans mes pensées. L'instant d'après, elle évoquait déjà celle-ci. « Oui, tu peux la choisir. » Ah, parfait. Disons que je préférais ça au fait qu'elle puisse m'imposer quoi que ce soit. Seulement là, je pouvais pas lui donner une réponse. Bah non, elle se pointait comme une fleur, et moi j'avais déjà zappé cette histoire. « Tu me prends au dépourvu, là. J'y ai carrément pas réfléchi... » Elle était marrante elle, seulement j'avais pas franchement d'idées en tête là tout de suite. Et puis ça n'était pas quelque chose dont on devait décider à la légère, sur un coup de tête. Vous comprenez, j'avais présentement la chance de pouvoir choisir ma récompense, alors je ne voulais pas gâcher celle-ci. En clair, il me faudrait réfléchir avant de ne lui donner une réponse définitive. Rappelez-moi ce qu'elle m'avait interdit ? Oh bah étrangement, je ne m'en souvenais plus. Bizarre, hein, vous avouerez. « J'aurais toujours une idée en tête, c'est sur, seulement ça te plaira pas. Pas du tout. » Ah si, je commençais à me remémorer les conditions qu'elle avait posées l'autre jour. Ouais non, autant passer directement à autre chose plutôt que de m'attarder sur ce qu'elle ne ferait que refuser illico.

Non non, j'avais pas oublié que Sive m'en était particulièrement reconnaissante depuis l'autre jour. Et pour cause, je lui avait évité de finir empalée sur une montagne de boites de conserve - oui, c'était possible. Elle aurait pu tomber du fameux tabouret sur lequel elle se trouvait en équilibre dans le cellier et effectuer une chute vertigineuse qui aurait très bien pu s'avérer mortelle... mais heureusement je l'avais secourue valeureusement, tel un chevalier. Bon, elle avait quand même du faire entendre sa voix avant de ne parvenir à me convaincre, mais elle était là, aujourd'hui, plus vivante que quiconque. À moi, maintenant de choisir ma récompense. Oui mais voilà, elle me prenait de court, là. « Je ne faisais que t'informer. » Alors merci de l'info. Et puis, bien sur, j'avais toujours une idée un peu saugrenue et pas franchement chrétienne derrière la tête, mais ça ne risquait pas de lui plaire, ça. « Le but n'est pas que cela me plaise. Tant que ça respecte les limites du contrat et du rationnel. » Ouais, autant oublier quoi. « Rationnel, pas de soucis ça l'est. Mais si je me souviens bien de notre contrat,... c'est comme qui dirait mort. » Sans parler des menaces proférées par la plantureuse blonde dans la chambre secrète l'autre jour, à l'encontre de mes testicules. Santiago en avait été témoin, d'ailleurs. « Tu sais, elle n'a pas de date de péremption, tu peux très bien décider de la garder pour plus tard. Après, c'est un risque à prendre... » Bah ouais, je m'en doutais. Le risque à prendre... c'était une référence au fait qu'elle se retrouvait nominée cette semaine ? Bah, rien ne garantissait son départ dimanche. « Limite ça aurait été plus simple que tu m'imposes toi-même la récompense que tu estimes égaler ta survie. » Je me dégonflais pas, au contraire je prenais un sacré risque en prétendant une chose pareille. Mais les idées ne venaient pas ce soir. Ou si, mais elles partaient aussi vite que les fumées de nos cigarettes respectives. Ceci était une façon détournée de lui signifier "hey cocotte, si t'as des idées, sache qu'elles seront les bienvenues"... J'avais peur de rien moi. Et puis soudain, comme une illumination... « Une série de trois questions concernant ton secret ? Ça respecte les termes de notre contrat, ça, non ? » Mademoiselle avait récemment découvert le secret de la petite brune en cloque. Bon plan Andreas, très bon plan. Allez, elle était pas en mesure de refuser une telle chose.

Certaines idées me venaient à l'esprit, mais voyez-vous je doutais réellement qu'elles puissent convenir à Sive. « Non mon grand, c'est pas rationnel ça. » Bon, de toute manière je n'allais pas m'étendre là-dessus hein. Il me fallait trouver autre chose, quelque chose qu'elle serait en mesure d'accepter. Mais bon, quand même, les choses auraient été amplement plus simples si elle m'avait imposé la récompense qu'elle estimait égaler sa survie. Rappelons quand même que je lui avais évité le pire, la semaine passée. « Ca n'aurait pas été aussi drôle... » Certes. Car c'était probablement très drôle de me voir chercher sans trouver, depuis plusieurs minutes. Là j'étais en grosse galère, fallait le savoir. Et puis, comme sortie de nulle part, une idée de fou me sauta aux yeux. Pourquoi ne pas, tout simplement, la questionner sur son secret ? « Je te croyais vraiment plus amusant que ça. » rétorqua-t-elle avant de n'écraser sa cigarette pour en sortir une autre l'instant d'après. Ma parole, elle fumait vraiment comme un pompier celle-là. À côté j'étais raisonnable. « Inutile de préciser que l'honnêteté sera de rigueur. » Car j'attendais d'elle qu'elle me réponde en toute sincérité, sans langue de bois. Sinon, ça n'était pas vraiment une récompense, vous comprenez. « Bien. Première question. » J'en avais déjà une en tête, à vrai dire, voilà pourquoi j'enchéris presque aussitôt. « Ton secret correspond-t-il à un évènement s'étant déroulé dans le passé ou est-ce que cela concerne quelque chose à quoi tu dois faire face encore aujourd'hui ? » Je pensais être assez clair pour qu'elle me comprenne et me donne une réponse rapidement. En clair je cherchais à savoir si son secret concernait le passé ou le présent. Inutile de dire que j'allais prêter une grande attention à son expression, à ses gestes, à d'éventuelles mimiques. Je ne laisserais juste rien passer.

Je l'avais désormais entre mes mains, ma fameuse récompense : l'opportunité de questionner Sive sur son secret. Et je n'allais pas me faire prier pour le faire et en profiter, croyez-le bien. Ah j'avais de sacrées bonnes idées parfois. Je pris tout de même le temps, avant de débuter l'interrogatoire, de lui préciser que l'honnêteté à partir de maintenant était plus que jamais de rigueur. Ce qui la poussa bientôt au rire. « Je t'ai rappelé moi-même que j'avais une dette envers toi, et j'ai accepté de me plier à tes questions sans rechigner. Tu trouves que j'ai l'attitude de quelqu'un qui compte se défiler ? » Ah mais enfin, je n'avais jamais prétendu une chose pareille. Je me mis à rire à mon tour. Après tout, c'était une précision comme une autre hein. De toute manière elle semblait prête à faire preuve de sincérité, réellement. Ma première question ne tarda pas après ça. Son secret correspondait-il à un fait passé ou pouvait-on dire qu'il était encore d'actualité ? Elle s'octroya un instant de réflexion, avant de ne rétorquer « Disons que c'est un peu plus compliqué que ça, mais concrètement, si on parle de l'intitulé de mon secret, il s'agit d'un fait passé. » J'en prenais note dans un coin de ma tête, bien décidé à me servir de cette information pour la suite. J’esquissais un sourire, avant de ne passer à la question suivante. « Bien. Ton secret a-t-il totalement bouleversé ton quotidien, ta façon de vivre ? » À mesure que la demoiselle me répondait, je guettais l'expression de son visage. Par exemple, à la question précédente, il m'avait semblé la voir quelque peu stresser. Peut-être me trompais-je, mais il ne serait pas étonnant que désormais la blonde appréhende ma nouvelle question. Du coup, maintenant que celle-ci était posée, j'attendais de voir quelle serait sa réaction. Si réaction il y a avait bien sur.

Visiblement je n'étais pas du tout crédible dans le rôle du type attentif et à l'écoute du moindre de ses propos. Pourtant il s'agissait de son secret, et je n'avais droit qu'à trois questions. Logique, donc, que je fasse preuve de tout mon sérieux afin de manifester la plus grande des attentions. Mais ma concentration fut bien vite chamboulée par un rire un peu sorti de nulle part, il faut bien le dire. « Excuse-moi. Hm, oui.» J'affichai bientôt un air perplexe. Même si elle avait fini par répondre à la question que je venais de lui poser, son rire cassa un peu tout le truc. Il me vexa même, c'est pour dire. Et puis la question qui s'en suivi bientôt n'arrangea pas les choses. Loin de là. Foutage de gueule bonsoir. « Dis, Andreas, tu viens pas d'une famille pétée de thunes, toi ? » Quel rapport avec le fait qu'elle était en train de glousser comme une poule ? Je ne voyais aucun lien, de vous à moi, mais bon... C'était une question, et toute question avait droit à une réponse. « Ma famille n'était pas "pétée de thunes" initialement. L'argent, on l'a gagné en Angleterre. » Autant dire que l'Allemagne n'avait pas été le pays de la richesse pour nous - on était même loin de rouler sur l'or, à Cologne. Et puis mon père avait un jour décidé de tout quitter pour l'Angleterre. Un vrai déclic. « J'me moque pas de toi, hein, c'est la situation... Désolée. » La situation ? Parce que la situation était hilarante, peut-être ? Si elle l'était, alors pourquoi je ne faisais que la regarder, serrant les dents, limite blasé car ne comprenant pas ce qui pouvait bien la pousser au rire, hm ? « Je suis censé te poser mon ultime question ou tu vas te remettre à rire d'un instant à l'autre ? Dans ce cas je me barre, hein, je déteste avoir l'impression d'être moqué comme maintenant. » Ouais ça avait quelque chose de franchement désagréable. Surtout qu'elle avait beau me dire qu'il n'était aucunement question de se foutre de ma gueule, j'avais du mal à la croire. Alors, qu'en adviendrait-il de notre petit entretien ?