La douleur m’assiège, le mur d’enceinte n’a pas résister, et les Croisés sont entrés en moi, pillant, sacageant, violant au nom d’un Dieu que je ne reconnais pas. Je ne mettrais pas un genou à terre, je ne m’abaisserais pas à embrasser vos idoles pendant que vous brûlez les miennes et raillez mon Prophète. Respectez-moi si vous souhaitez mon respect ! C’était ma seule condition, ma seule requête, mon seul droit... Et vous l’avez bafouez en me volant tout ce qui comptait pour moi... J’ai plus rien, je ne suis plus rien. Ils m’ont pris mon esprit, mon coeur et mon âme. Pour la première fois depuis très longtemps, trop longtemps, j’avais laissé mes racines crever le sol et m’accrocher à la terre. On a retourné cette terre, au pied de mon tronc, ils ont violé ma terre, ils ont arrachés mes racines, ils ont creusé tout autour de moi... Comment espèrent-ils me maintenir debout maintenant ? Parce que c’est ça que ça veut dire, non ? 26%, c’est un très grand “reste”, 7 et 15%, c’est un très grand “connard” ! ‘Reste connard’, souffre connard ! Si je n’ai pas passé cette porte avec elles, c’est parce qu’elles ne le voulaient pas, parce que ces deux femmes si différentes se sont accordés sur une dernière chose : me voir rester... Et si je veux pas ? J’arrive même pas à y réfléchir, tout ce que je ressens c’est la douleur cuisante du froid s’engouffrant dans ma carcasse vide... Courir, fuir... La porte se referme... Je n’ai pas regardé, mais j’ai entendu son bruit sourd résonner en moi comme autant de verrous m’empêchant des les retrouver... tous... C’est assourdissant. Les larmes souillent à nouveaux mes yeux et je sens mon menton tressauter malgré la puissance de mes mâchoires... Fuir, ne pas leur offrir ce plaisir. Alors je prends la fuite, météore s’expulsant de la nébuleuse, je fends la foule, je fends la foule qui m’oppresse, alors que je suis seul... Jamais la pression des caméras n’a été aussi pesante sur moi, jamais la conscience des caméras n’a été aussi présente en moi. Ils m’épient, se délectent... J’vois plus rien, j’sais pas où je vais, j’m’en fous, faut que je bouge... J’avance, j’avance, parce que l’autre option c’est reculer, et je me l’interdis. J’avance, j’avance encore, le vent sifflant à mes oreilles étouffant mes cris silencieux. J’ouvre la bouche, mais rien ne sort, même pas un sanglot... J’crois que je vais vomir. Une ombre sur ma main, frémissement imperceptible depuis mon néant, une ombre dans ma main, et brusquement, mon décor qui chavire. Je tombe, je crois. Au travers de mes larmes, je ne discerne plus le sol, plus le ciel. Je sais que je bouge, j’ai conscience de bouger, mais je ne comprends ce qui se passe, quand frappant de plein fouet quelque chose qui vit. Pas la terre, pas le ciel, l’entre-deux : Nora. Elle s’agrippe à moi, je crois, ou bien je m’agrippe à elle, je ne sais pas... La seule chose dont j’ai conscience, c’est que je n’ai plus qu’elle... Elle est tout ce qui me reste, l’inconnue à plusieurs variables qui a fait foiré toutes mes équations... Elle est ma solution.

C’est con, c’est tellement con... J’ai eu une vie avant Fake Lover, j’ai vécu des situations que beaucoup n’encaisseraient pas, j’ai tenu tête à des gens que beaucoup n’approcheraient même pas, j’ai fait des choses que beaucoup n’imagineraient pas... Et pourtant, je suis là, vaincu par une nomination, abattu par un élimination. C’est ridicule, ridicule à en pleurer. J’ai pas versé une seule larme en plus de six ans, et aujourd’hui je me retrouve assommé, humide, éreinté, partageant l’étreinte de celle que je fuis depuis des heures, des jours, peut être des mois, soutenant le poids de mon corps en fin de vie... Je me raccroche à elle, parce qu’elle est tout ce que j’ai en cet instant, dernier fossile d’une vie passée en ces lieux, preuve vivante que je n’ai pas rêvé, que je n’ai pas idéalisé un monde chimérique... Un goût d’inachevé en bouche, les images défilent sous mon crâne... Je la vois danser et rire, je la vois froncer les sourcils, froisser le nez et rougir... Comment je vais faire sans ses bras, sans ses sourires, sans ses discours à rallonge, ses explications inutiles et son humour douteux ? Un rire m’échappe en plein sanglot, rompant le silence de mes larmes acérées... J’ai Piaf en tête, et ça aussi ça a quelque chose de risible... « Mon dieu, mon dieu, mon dieu... Laissez-le moi, encore un peu, à moi... Le temps de s’adorer, de se le dire, le temps de s’fabriquer des souvenirs... Mon dieu, oh oui mon dieu, laissez-le moi remplir un peu ma vie... » J’pourrais en crever tant l’ironie est douloureuse. Et je me raccroche à Nora un peu plus fort, le temps d’illuminer et de souffrir. Remplir ma vie. Je n’ai jamais été qu’une carcasse vide, me définissant, vivant à travers l’autre, à travers les autres. “j’ai besoin de toi”, phrase récurrente de ma vie, épicentre, clé de voûte de mon existence. Je suis quelqu’un pour quelqu’un et sans ce quelqu’un, je ne suis plus rien. Dis-moi que je suis quelqu’un, Nora, dis-moi que t’as besoin de moi, sinon tout s’arrête, s’émiette et s’effrite. J’ai peur pour elle, j’ai peur pour elles... Comment on lutte contre un sentiment d’impuissance ? J’sais pas faire, je n’ai toujours connu que l’action, bien souvent impulsive, comment on fait pour y survivre ? J’suis même pas certain de le vouloir, j’veux juste rester là, et me noyer dans le vide... Sauf que même ça, c’est pas envisageable, Nora m’extrayant de ma cache pour m’infliger son regard. Je ne suis pas seul, me répète-t-elle. Mais ça le véritable problème ? J’sais plus, j’sais pas. « Et elles ? » Je demande, en m’échappant de son emprise pour tituber un peu plus loin, une main s’accrochant à mes cheveux, agrippant, tirant... Ça va aller, ça va aller... Il faut que ça aille. J’avance, j’sais pas vers où, juste j’avance, l’inertie nécessitant des racines que je n’ai plus.

Elles reviendront... Oui... Peut être... Toutes ? J’en suis moins sûr... Et en fait, je crois que je préfère ne pas y songer, ce qui ne me laisse qu’un maigre panel de sujets mentaux... Valentina partie, Sive partie, ou encore Sive et Valentina parties. Les choses sont sensiblement différentes à l’extérieur, et j’imagine que Valentina, si elle ne sait pas encore, ne tardera pas à connaître mon secret. J’aurais aimé lui en parler, avoir le temps de lui expliquer, alors que là, ça va être balancé comme ça, à l’aveugle, par un présentateur souhaitant choquer, frapper fort. Sûrement même qu’ils accompagneront cette révélation de quelques images, sans aucun doute celles de la salle de musique, histoire de bien appuyer là où ça fait mal... Alors, Nora, t’es sûre qu’après ça, Valentina reviendra ? La seule chose dont je sois certain c’est qu’une page vient de se tourner, de manière définitive... Tout ce qu’on a vécu ici est révolu. Ça ne reviendra jamais. On aura beau essayer, tenter de recréer l’ambiance, rien ne sera jamais pareil... Et alors, le schéma que je m’étais dressé en m’imaginant revenir auprès d’une Nora demie-finaliste puis finaliste, avec cette gêne et cette distance, se déroule à nouveau sous mes yeux... Sauf que cette fois, je ne suis pas celui qui revient, je suis celui qui n’a pas encore quitté la pression du jeu. Une pression que j’ai supporté jusque là grâce à elles, pour elles. Qu’adviendra-t-il lorsque j’aurais la preuve qu’elles ne sont plus là, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur ? Nora est là, bien sûr que Nora est là et qu’elle a besoin de moi, j’ai une conscience accrue de tout ça. Je l’entends murmurer dans mon dos, ses mots m'assiégeant dans le but de me faire rendre les armes... Mais après quatre jours de silence, n’a-t-elle pas compris que j’estimais qu’elle avait tout sauf besoin de moi ? J’porte la poisse, qui pourrait bien avoir besoin de moi ? J’sais plus quoi dire, j’sais plus quoi faire, alors j’me contente de me retourner, de l’observer, peut être qu’avec un simple regard elle comprendra qu’elle a pas besoin de moi, qu’elle a pas besoin de ça. « J’ai jamais été autant paumé de ma vie... Jamais. » je fini, plaintif, mon regard retrouvant le sol, mes mains retrouvant mes cheveux. J’ai besoin de stabilité, d’au moins un fait avéré et immuable, alors que j’ai l’impression que cette émission se plait à abattre mes fondations une à une, même les plus intérieures, mais les plus immuables... Je deviens fou.

Mon esprit zappe, oscille, saute, passant de l’une à l’autre, de l’autre à l’une... J’entends à nouveau la porte du sas qui claque, et les paroles de Sive... Lui dédier ma victoire ? Elle ferait bien mieux de parier sur un autre cheval, un de course, un avec quatre bonnes pattes et l’envie de vaincre... Moi, on m’emmène à l’abattoir, j’suis boiteux et fatigué, et en plus de tout, j’n’ai jamais eu la prétention de gagner. C’est elle que je voulais faire gagner, elle ou Valentina... Ou Swann avant elles, ou AJ. Jamais je n’aurais pensé me retrouver là, alors qu’elles n’y sont plus. Elle est où la couille ? Où est-ce que j’ai merdé ? J’suis un parasite, j’ai aucune légitimité, mais j’suis là quand même, à attendre que les autres sortent tous, un à un, me laissant seul et le vivant mal. A croire que je n’ai pas saisi le concept de ce jeu... Pourtant si, mais j’suis un ovni, je ne tiens pas à ma propre survie, juste celle des autres, de ceux que j’ai choisi... Il ne me reste plus que Nora, dernière survivante de mon magma émotionnel, dernière pierre de mon édifice. Ils y sont allés à la massue, explosant tout les murs porteur, réduisant en miettes la clé de voûte... N’en a-t-elle pas conscience, ne sait-elle pas à quoi elle s’expose ? Elle devrait l’avoir réalisé depuis le temps, elle a subi les mêmes pertes que moi. Elle veut décider pour elle-même, et je laisse échapper un rire sinistre. Non, on en n’est plus là, Nora. Y a aucune décision à prendre, aucune. Je suis paumé, certes, mais je n’ai plus le droit à l’erreur... Je viens de perdre mes derniers piliers, mes fils conducteurs, et on m’a laissé seul avec la tentation incarnée... Je lui en veux autant qu’à ceux qui ont décidé de cette situation. Nora élabore une théorie, selon laquelle je ne suis perdu que parce que je ne parviens pas à gérer un virage imprévu, parce que ce n’est pas ce que j’avais décidé. J’entends la supplique suinté au travers de ses mots, je perçois la façon dont elle tente de m’emmener là où elle le souhaite, là où elle le désire, là où elle a besoin de moi... Parce que ce n’est pas, ce n’est plus seulement ma compagnie qu’elle désire, ni le simple besoin de me redonner le sourire qui l’anime... Non, c’est au-delà de ça, pas vrai ? Alors, l’agacement supplante la tristesse, l’énervement, la détresse. « Alors c’est ça ? Faut que tu ramènes tout ça à toi ? J’suis à moitié crevé, et toi tu ne penses qu’à ta frustration et à ton besoin de... de... de... de quoi au juste ? Ha oui, c’est vrai, t’as besoin de moi... » Je lui tourne à nouveau le dos, lâchant un éclat de rire vide de vie, ou d’émotion, y a plus rien en moi. J’suis injuste, j’en ai conscience. Parce qu’elle est la seule à m’avoir suivi jusqu’ici, parce qu’elle est la seule qui se soucie encore de moi... Et ça me fait chier, parce que je ne mérite rien de tout ça... Alors ma colère s’apaise, trop rapidement remplacé par un sentiment de culpabilité qui me retourne les tripes. « Tu ne sais rien de moi, Nora... Tu ne sais pas qui je suis, tu ne connais ni mon nom, ni même mon véritable prénom... » c’est drôle, non ? Moi j’en ris d’ironie... « Tu n’as eu le droit qu’à une infime part de moi, et tu ne peux pas te baser sur ça pour décréter que tu as besoin de moi... Ma vie n’a pas prit de tournant, parce que ma vie n’a pas la possibilité de prendre un tournant... » Je finis par lui faire face, m’appuyant sur un arbre pour gagner le sol, et m’y laisser choir. « Je flanche pas, je ne flanche jamais. Je me fixe un but, et je l’atteins. Point. Y a pas de tournants ou de virages, juste une ligne droite d’un point A vers un point B... Et puis, brusquement, y a toi. Et j’t’en veux, à toi, d’avoir ce pouvoir-là sur moi... » Et je m’en veux à moi de te confier tout ça avec ma gueule de martyr sur sa croix, et des chuchotements dans la voix. Pardonne-moi.

J’ai trop parlé, et après de longues minutes de silence, ma gorge éraillée souffre de chaque parole s’extrayant de mes lèvres, comme un filet d’acide sur une plaie à vif, je souffre mille mots, je souffre mille maux. Je parle parce qu’elle a réveillé un truc en moi, une peur incommensurable, une détresse que j’imaginais superficielle mais qui s’avère plus profonde, bien plus profonde. Un pansement ne suffira pas, ça ne fera que la cacher à ma vue, mais elle ne disparaitra pas. Faut désinfecter et suturé si j’espère m’en sortir, mais j’suis même plus sûr de vouloir m’en sortir. Je me complais dans ma connerie, me trouvant mille et une excuse, mille et un prétexte, que ma conscience et ma culpabilité rejettent, un à un, dès que je m’extirpe de l’abrutissement dans lequel elle me projette. Et je m’en veux, je m’en veux parce que je pense encore à ça malgré les départs infligés par Cupidon ce soir. J’suis mal, mais je ne sais plus vraiment quelle en est la cause... Est-ce mon entourage qui s'effrite, ou bien simplement Nora que je ne sais plus gérer ? A moins que ce ne soit mon état d’instabilité avéré qui ne fait qu’être renforcé par le départ de Sive et Valentina ? Quoiqu’il en soit, mon introspection saute de mes pertes à Nora, et c’est moi et moi seul qui pense à ça dans un moment totalement inopportun. Ça m’énerve, je m’énerve, alors, lâchement, je rejette la faute sur elle. Parce que je suis dans l’incapacité de me regarder en face pour me dire tout le bien que je pense de mon comportement, c’est elle que je prends pour reflet, lui reprochant tout ce que, moi, je me reproche. Elle s’insurge, et je m’en moque, je poursuis sur ma lancée, aveuglé par ma colérique impuissance, je m’acharne et m’enlise... J’enchaine, me moquant de son attachement pour moi, de son besoin de moi, lorsqu’elle ne sait rien de moi. Je suis qui ? Je suis quoi ? Elle n’en a pas la moindre idée et se complait dans une image idéalisée qui n’est pas moi. On est tous rentré dans ce jeu avec un secret, et le principe même du secret c’est d’être caché... Y a forcément une bonne raison pour qu’il le soit. À l’image de Laoise et de son coming out, de Finnick et Jamie ayant échangé leur personnalité, de Santiago s’en créant une de toute pièce... Sans la révélation de leur secret, qui aurait pu prétendre les connaître et éprouver des sentiments pour autre chose qu’une image factice ? Elle n’a pas besoin de moi, elle a besoin de quelqu’un qui n’existe probablement pas. Et ça me tue, parce qu’elle ne sait pas, elle ne sait absolument pas à quel point j’ai besoin qu’elle me voit, qu’elle me voit moi et pas ce faux moi, cette moitié de moi, qui ne suffira pas... Je cherche son regard, mais ne rencontre que son dos, inerte, passif, à demi camouflé derrière le tronc qui la soutient. Chacun son arbre mais la même position, la même peine, la même trouille. J’ai l’impression de la tromper, de lui mentir, alors que je crève de ne pouvoir me montrer honnête avec elle. L’arrière de mon crâne cogne plusieurs fois l’arbre derrière moi, et dans une grimace de douleur j’avoue « J’ai besoin de toi... Qui que tu sois, j’ai besoin de toi... » j’sais pas si elle m’entend, j’m’en fous de savoir si elle m’entend, peu importe, puisqu’il ne reste plus beaucoup de temps...