« Stop before you fall into the hole » ◊ (29/11 - 23:48)

J'errais dans ma nouvelle demeure depuis quelques minutes déjà, à la recherche d'une quelconque pièce que je n'avais pas encore découverte. Loquetant nerveusement chaque poignée de porte, j'étais persuadée de finalement tomber sur un nouvel endroit de cette immense bâtisse. J'avançai donc dans un long corridor muré de boiserie ancienne bordant l'escalier, effleurant les murs de mes doigts maigres qui rencontrèrent enfin un interrupteur. La lumière tamisée m'aida à avancer plus assurément et j'aperçus finalement une vieille porte en bois. Je m'approchai dangereusement de cet accès, le parquet grinçant sous mon poids plume, puis l'ouvris. Pas par pas, je m'enfonçai dans l'antre plus noire que la nuit et me stoppai quelques secondes plus tard, au bord d'un gouffre. Je distinguai difficilement un escalier dans lequel je m'aventurai aussitôt. Une cave ? Drôle d'idée pour une émission telle. Très étrange même. Déterminée à voir ce que cet endroit vétuste renfermait je poursuivis mon chemin jusqu'à atterrir sur un sol de pierre glacial. Je serrai les dents par réflexe, inspirant de l'air frais, le visage crispé. Je cherchai en vain un interrupteur et saisis un briquet que j'avais pillé à Franz quelques heures auparavant. Continuant mon exploration à la lueur de la flamme jaune et bleue, je trébuchai sur un pavé dur comme fer, sans doute une pierre et observai un silence de mort pour renfermer ma douleur. J'inspirai profondément pour reprendre mes esprits et l'odeur qui pénétra mes narines me parut familière. Un tour sur moi-même et je constatai que ce lieu des plus énigmatiques et effrayants me rappelai en effet la maison dans laquelle j'avais passé mon enfance. Froide et obsolète, elle ressassait bien des souvenirs. Non pas peu fière de ma trouvaille, je vins finalement m'asseoir au pied des escaliers puis allumai une cigarette dans cette ambiance glacial. Je tirai une première fois dessus et recrachai un instant plus tard la fumée qui se dégageait du corps combustible, avant de recommencer machinalement ce geste qui me procurait bien du plaisir. J'aperçus subitement une fente de clarté en face de moi, sans doute un miroir, et me retournai donc aussitôt. La vieille porte s'ouvrit, béante, et je pus apercevoir une silhouette féminine s'apprêtant à me rejoindre. Je toussai légèrement pour faire signe de ma présence. Une invitation à ma façon.

Déjà deux jours (ou un, tout dépendait de si on comptait ou non le prime comme une journée) que cette aventure avait commencé. Voilà deux jours que nous étions tous filmés sans relâche et que nos moindres faits et gestes étaient critiqués dans toute l'Irlande. Étrangement cette perspective ne m'effrayait pas. Pour la simple et bonne raison que je réalisais pas. Évidemment je ne pouvais éviter les caméras, mais je crois qu'une fois dans le jeu, on se rends moins compte de ce qu'il se passe. C'est différent d'une maison normale, certes, mais je n'arrive décemment pas à me dire que je suis filmée et que plusieurs soirs par semaines, une multitude d'irlandais peuvent me voir à la télé. Avouez que c'est surréaliste ! Néanmoins c'était vrai. Au cours d'une discussion à laquelle j'avais ardemment participé, j'avais attendu parler d'une énième pièce dans cette mystérieuse maison : une cave. Pourquoi avaient-ils laissé la cave ouverte ? A quoi pouvait-elle bien servir ? Je me posais la question. Je décidais donc d'aller inspecter cette pièce qui m'interloquait.

Sous les indications de quelques candidats, j'empruntais donc différents couloirs jusqu'à me retrouver devant une grande porte en bois rouge, peut-être en acajou (simple déduction, parce qu'honnêtement, je n'y connaissais rien en bois). Baissant la poignée, j'entr'aperçu une très faible lumière et le scintillement d'une cigarette, suivi par une sorte de grognement qui, avant que je me rende compte qu'il venait d'Alisk, me fichu franchement la trousse. Alisk était une jeune blonde avec qui j'avais parler une deux fois, et elle était aussi, point non négligeable, la sœur de mon partenaire. Soudain, mon pied nu butat contre un énorme pavé dur comme du béton. « MERDE ! Ca fait un mal de chien ce truc là ! Merde de merde je me suis bousillé le petit orteil. Pavé de merde ! Mais qu'est-ce qu'il fout là ? » Je laissais passer quelques secondes, histoire que la douleur se calme, et moi par la même occasion. « Alisk c'est toi ? Je ne vois pas super bien je te l'avoue. Comment t'as fait pour marcher ici sans te casser quelque chose ? Ils veulent avoir des blessés sur les bras ma parole ! »

Une voix criarde perça le mutisme qui régnait sur la cave austère et je reconnus en elle celle de Billie-Jean. Je poussai un faible éclat de rire en l'entendant hystérique, s'acharner sur le pavé qui m'avait moi-même agressée. Un nouveau silence se fut et je criais à la partenaire de mon frère de me rejoindre au pied des escaliers.

Qu'est-c'que tu fous là ? chuchotai-je comme si nous étions en mission commando.

Je n'attendis pas de réponse immédiate, m'établissant de multiples scénarios dans la tête. Avant d'en exposer un des plus probables à ma colocataire.

Il bouffe toute la place dans le lit l'autre crétin c'est ça ? Il ronfle ? Toute la chambre a déserté alors non ?

Évidemment, je faisais référence à Franz et n'attendais rien d'autre qu'une approbation de la part de Billie, de quoi me satisfaire amplement avant d'aller me coucher. J'entendis grincer les escaliers au rythme de ses pas et me décalai de la marche pour la laisser passer avant d'écraser vigoureusement ma cigarette contre le sol imbibé d'eau. J'allumai la flamme de mon briquet pour guider la jeune femme à sa lueur puis elle me rejoignis enfin. Par ailleurs, je réalisai que je ne l'avais pas interrogée sur son état post-collision. Foutaises, il n'y avait pas mort d'homme.

« Qu'est-c'que tu fous là ? » Alisk dit ça tout bas, ce qui a le don de faire rire Billie qui s'imagine déjà dans un remake de mission impossible. « J'ai entendu dire qu'il y avait par ici des escargots à coquilles verte à pois roses, et je fais la collection des limaces baveuses rouges et bleus comme les bonbons Schtroumpfs, or elles sont voisines des escargots verts à pois roses … Merde désolée, je dois être fatiguée, et quand je suis fatiguée, je dis de la merde. Et en plus je parle beaucoup. Merde désolée. T'es mal barrée. » Billie en est presque compatissante tant la médiocrité de son discours l'afflige. Heureusement pour elle, Alisk semble décider à la questionner sur la raison de sa venue ici. « Il bouffe toute la place dans le lit l'autre crétin c'est ça ? Il ronfle ? Toute la chambre a déserté alors non ? » Une nouvelle fois, Billie rit nerveusement à ces questions plus amusantes les unes que les autres. Elle en avait à ce sujet presque oublié que son interlocutrice était la soeur de Franz, et pourtant comment l'oublier ? Ils se tiraient dans les pattes toute la journée durant, s'en était presque devenu une tradition entre les deux. « Sans déconner c'est un nerveux quand il dort ton frangin ! Je me suis déjà pris un ou deux coups depuis qu'on dort dans le même lit. Des coups tellement bien placés que c'est à ce demander si c'était pas volontaire de sa part … Puis des fois il se fait des discussions tout seul aussi, (toujours quand il dort bien sûr), et ça m'fait vraiment flipper, j'ai l'impression qu'y a son ami imaginaire qui dort avec nous. » Billie vit une faible flamme, sûrement celle d'un briquet, vers le bas des marches. Elle suivit donc cette indication, comme elle l'aurait fait avec le fil d'Ariane, et réussit enfin à attendre la marche sur laquelle Alisk était assise, et sur laquelle elle ne tarda pas à déposer ses fesses aussi. Elle gratifia sa voisine d'un simple « Merci ».

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