BILLIE-JEAN


Il était tard et la plupart des habitants étaient partis se coucher. Sa partenaire en avait d’ailleurs fait autant et il n’avait même pu encore se parler. En tout cas, elle n’était guère dérangeante et c’était déjà un bon point pour elle. Maintenant, si en plus elle pouvait lui ramener son petit-déjeuner au lit, ce serait mieux. Il faudrait donc qu’il lui parle le lendemain matin, mais il n’était pas sure qu’elle accepte Enfin, wait & see. Toujours est-il qu’il était tard ou tôt et que Rafael ne dormait toujours pas. Installé sur l’un des fauteuils du balcon, il fumait tranquillement sa cigarette, tout en regardant le paysage qui s’offrait à lui. Il faisait froid mais le garçon portait un pull et une écharpe, enfin, autre chose aurait été la bienvenue dans cette Irlande glaciale. En plus d’une couverture, un café n’aurait pas été de refus, enfin, on n’avait pas toujours ce que l’on voulait dans la vie. Le garçon n’avait pas sommeil, pire, il s’ennuyait. N'y avait-il que des couche-tôt par ici ou bien ? Aucun d'eux n'aimait la nature, ou observer le ciel étoilé, ou fumer ou baiser à cinq heures du matin ? Non, bon, tant pis.

La jeune fille avait eu un mal incroyable à s'endormir cette nuit là, et une facilité affligeante à se réveiller alors qu'il n'était que cinq heures du matin passé. Visiblement cette nuit ça ne servait à rien de lutter contre son sommeil, son marchand de sable personnel était en grève. Tout en prenant garde de ne pas réveiller son partenaire de jeu, elle sorti des couettes, manquant de s'emmêler dans les draps. A pas feutrés, elle se dirigea à la lueur d'une bougie (qu'elle venait d'allumer sur sa table de chevet) à sa valise. En faisant attention de ne pas réveiller les dormeurs de sa chambre, elle extirpa un grand pull de ses bagages qui lui arrivait jusqu'à mi-cuisse, ne laissant apparaître que la fin du short en tissu noir avec lequel elle dormait. Puis elle cacha ses mains dans les grandes manches de son vêtement et, armée de son éternelle bougie, elle sortit de la chambre pour se rendre au balcon. Elle fut surprise d'y apercevoir un autre habitant, assis sur un fauteuil en train de fumer une cigarette. Passant une main dans ses cheveux, elle s'installa dans le fauteuil voisin à celui de Rafael. Le jeune homme était un énième habitant de la maison avec lequel elle n'avait pas eu le temps de trop discuter. Une ou deux fois seulement à tout casser. « Je peux me joindre à toi ? Je laisse tomber, le sommeil ne vient pas et du coup j'ai bien envie de regarder les étoiles cette nuit. » Son ton était presque mélancolique, mais elle avait eu raison de se lever pour se rendre ici, le ciel était magnifique et promettait (si toutefois le fait qu'un ciel étoilé signifiait un beau temps le lendemain était vrai) une belle journée ensoleillée en perspective. « Et toi qu'est-ce que tu fais là ? »

D'un œil perçant, elle observe le jeune homme. Lui aussi la regarde par moments, et elle pense que c'est normal. Non pas pour une quelconque attirance possible, elle n'en est fort heureusement pas encore là, mais parce que à ce stade du jeu (soit au tout début), elle veut analyser les candidats, ses potentiels adversaires, du mieux possible, et elle imagine bien qu'il est du même avis. Rafael était un jeune homme, il fallait le dire, des plus séduisants, et c'était certainement pour cela qu'elle avait retenu son prénom en ne l'ayant entendu qu'une fois lors du premier prime et de l'entrée dans la maison. « Fais donc. » Elle lui lance un sourire amical et hoche la tête comme pour le remercier de son approbation. Puis c'est là qu'elle se lance dans une presque tirade, un quasi-monologue expliquant sa venue ici ce soir. Il ne l'interrompt pas comme peuvent le faire certaines personnes, et elle apprécie, elle lui en est presque reconnaissante. « Je fume. T’en veux une ? » Billie-Jean grimace, elle se mord avec une férocité toute nouvelle sa lèvre inférieure étonnamment résistante. Elle se balance tout doucement sur son fauteuil, et sourit, gênée à Rafael. Toute la question est là, est-ce qu'elle se sent capable de fumer ? Ses souvenirs d'un père trop mordu de l'alcool et de la cigarette l'assaillent. Elle ne veut surtout pas lui ressembler. Pourtant, elle a déjà l'alcool dans le sang. Quelques secondes passent et Billie-Jean lâche un soupir de désespoir. Elle se trouve ridicule à craindre ainsi une cigarette. Alors elle tend la main faire celle que Rafael lui propose, et elle accepte. « Vendue ! Merci jeune homme. » lui dit-elle avait un léger sourire. Elle porte la cigarette à ses lèvres et l'allume. Il fallait le faire, car maintenant, elle se sent idiote d'avoir pensé qu'elle pourrait se rapprocher de quelqu'un par du tabac. Encore quelques minutes de réflexion et elle se serait transformée en madame Irma. C'en était affligeant ! « T’as pas trop froid ? » Elle se retient de ne pas littéralement exploser de rire à sa question. « Honnêtement ? Je me les pèle à mort ! Enfin ça me permet de voir que j'ai une faculté toute particulière : je crois que je ne peux pas avoir la chaire de poule ... » Elle rit faiblement de sa stupidité et se passe vigoureusement les mains sur les jambes pour les réchauffer.

Rafael avait commencé à fumer à l’âge de treize ans, cela faisait maintenant douze ans qu’il fumait, autrement dit, toute sa vie. Il avait commencé pour être intégrer à un groupe dans son collège et finalement, il y avait prit gout. Le jeune homme n’avait jamais sérieusement songé à arrêté de fumer. Pourquoi ferait-il une chose pareille après tout ? Il avait les moyens de financer ses paquets, il fumait la plupart du temps dans la rue, dans les lieux ouverts ou chez lui, bref, personne ne pouvait être embêté par cela exception faite à ses vêtements qui avaient toujours cette odeur de tabac froid. C’était une habitude comme une autre. Un instant, il observa Billie-Jean, se souvenant soudain de ce prénom, surement grâce à Jackson. D’ailleurs, ses parents s’étaient peut-être inspirés de cette chanson, enfin des parents avec une bonne culture musicale, ça devait être sympa. Les parents de Rafael étaient à éviter, d’ailleurs, ils ne les avaient pas vus depuis qu’il s’était exilé en Irlande, tant mieux. Billie, après une longue réflexion inutile prit le paquet qui contenait des cigarettes et son briquet. Il la regardait pendant qu’elle allumait ce bâton de tabac. Il se demanda un instant si elle fumait depuis longtemps, après tout, à cinq heures du matin, pourquoi ne pourraient-ils pas partager leurs expériences vis-à-vis de la cigarette ? C’était un sujet de discussion comme un autre. Mais non, il se tut. Par flemme mais également parce qu’il savait que sa réponse ne l’intéresserait pas tant que cela, tout ce qu’il voulait, au final, c’était parler de lui, encore et toujours. Alors il valait mieux qu’il se taise. Enfin, il lui avait tout de même posé une question, il ne voulait pas avoir de mort sur la conscience, du moins, pas la sienne, pas encore en tout cas. Comme il s’en était douté, elle avait froid. Forcément, était-elle complètement dénuée de sens pour se balader à moitié nue dehors alors que la neige avait décidé de se ramener plus tôt que prévu ? Apparemment oui. Soupirant un instant, il posa sa cigarette sur le cendrier, laissant avec douleur sa clope qui continuait, inlassablement, à se consumer. L’espagnol enleva alors son pull, se retrouvant en tee-shirt, jeans et écharpe. Echarpe qu’il tenta de remettre en place, histoire de ne pas paraitre aussi idiot que sa voisine. Il lui envoya alors son pull, celui-ci atterrit sur les cuisses de la jeune femme. « A défaut de te passer mon jean… » Dit-il en lui adressant un sourire amusé tout en reprenant sa tendre amie en bouche qui se mit à rougir face à ce baiser. C’était à présent sur, il partageait depuis douze ans une très longue histoire d’amour avec la cigarette.