J’ouvre grand les yeux dans la pénombre de la maison, contemplant avec une certaine irritation les bâtons numériques du réveil. Quatre heures trente-six. Cela fait à peine une heure que je me suis rendormi avec l’espoir de tenir jusqu’au petit matin, mais je dois me rendre à l’évidence. Baisser toute défense à côté d’un paquet d’étrangers n’est pas une chose naturelle chez moi, ça me rappelle assez mes premières nuits à l’internat de Dublin. Du temporaire longue durée comme j’en ai l’habitude, quatre mois de nuits agitées. Dans ce cas précis le bizutage du premier soir avait du jouer en ma défaveur, il faut croire que ce sont des choses qui restent. Parce qu’à priori je n’ai aucune raison de me sentir vulnérable ici. Personne, du moins je l’espère, ne va me sauter dessus au beau milieu de la nuit. Je soupire plus ou moins discrètement, agacé. Car comme toute personne qui se retrouve à fixer le plafond invisible dans la pénombre : j’ai faim. Je crois que c’est une règle d’or dans l’émission. Chaque saison à ses oiseaux de nuit, ses candidats noctambules qui se déplacent sous couvert de l’obscurité pour aller grignoter les rations de nourriture à l’insu des autres. Ils se déplacent sur la pointe des pieds, allument une lumière diffuse, la plus éloignée des chambres la plupart du temps, et manient les instruments avec une extrême délicatesse afin d’éviter d’éveiller tout soupçon quant à cette fringale impromptue. Ils sont alors capables, le lendemain matin, de s’insurger parce que QUELQU’UN a eu le malheur de terminer la confiture à l’orange, en sachant pertinemment qu’ils en sont à l’origine mais qu’on doute jamais de celui qui râle. Je ne fais pas tant d’efforts lorsque mes doigts se posent sur une casserole que j’attrape dans un tintement sonore d’ustensiles qui s’entrechoquent. De toute manière les placards datant du XIIème siècle grincent à n’en plus finir, et j’ai eu le malheur de trébucher sur une statue dans le couloir menant à l’escalier. Une grimace traverse mon visage, question discrétion je n’ai jamais été particulièrement doué. Je la remplis d’eau, attends dix minutes, verse un quart de pates à la forme d’un nœud papillon, puis dépose un œuf au milieu du liquide en ébullition. Ca, je sais faire, et je crois que c’est à peu près tout. Je suis capable de cramer un œuf au plat, d’oublier une pizza dans le micro-onde, de faire cuire du riz sans eau, de transformer la purée mousseline en mixture épaisse et dégueulasse, mais je n’ai jamais raté la cuisson de pâtes. Jamais. Quelques minutes plus tard je fais couler de l’eau froide pendant que j’écale mon œuf, le passant sous le jet du robinet de temps à autre pour éviter une brûlure pour cause de tentative de cuisine.

Décidément, pioncer dans ce château se révélait être d’une difficulté sans nom. Cinq heures du matin pourtant, c’était déjà mieux que trois heures. On voyait là les vestiges tenaces de mon quotidien ‘‘pré-rentrée dans le château’’. C’était l’heure habituelle à laquelle je me levais avant de prendre mon premier café du matin –suivi par quatre autres dans la journée-. Je m’étirai comme un félin avant de sortir discrètement des draps afin d’éviter de réveiller mon partenaire, chaussant mes impérissables pantoufles rouges à tête de chat et jetant mon pull gris par-dessus mes épaules presque nues. Je m’éclipsai de la chambre les mains bien en avant –afin d’éviter toute rencontre inopportune avec un mur-, me retrouvant dans le couloir en moins de deux. L’air frais qui régnait entre la pierre me donna un petit coup de fouet, balayant mes dernières somnolences. D’un grognement de protestation mon ventre me rappela à l’ordre, me contraignant à descendre les marches de l’escalier jusqu’à la cuisine d’où filtrait une lumière vive. Même à cinq heures du matin je ne pouvais pas trouver un moment de solitude, c’était incroyable. Mais pour l’heure, je ne m’en plaignais pas. Le jeune homme se préparait un plat de pâtes et un œuf dur comme si de rien n’était, éveillant à nouveau en moi un bruit, manifestation de mon corps à la vue de ces aliments qui me faisait saliver. J’avais rarement autant désiré un œuf. Il y avait juste un tout petit détail qui me chiffonnait et étira mes traits en une grimace à peine perceptible. C’était le doux murmure de l’eau qui coulait impunément. Je m’approchai du candidat dont j’ignorais jusqu’au nom, me positionnant derrière son dos. « Bonjour, c'est toi le cuisinier du château ? » D’un geste de la main parfaitement innocent je refermai le robinet dont il ne se servait visiblement pas pour l’instant, puis me grattai la nuque comme s’il s’agissait d’un réflexe parfaitement spontané. « C'est si gentil d'avoir anticipé mon réveil et de m'avoir concocté un bon repas. » Un sourire flotta sur mes lèvres tandis que je haussai les sourcils, approchant mon regard envieux de la passoire.