Je n'avais jusqu'à présent jamais, ou presque jamais vu mon frère dans un état si déplorable. Déjà évaporé l'humour lourdingue et la bonne humeur trop débordante de Franz et place à un type ennuyé, ennuyeux et morose. Avec du recul, je préférais, et de loin, la première version. J'écoutai donc attentivement mon frère, profitant de ce court moment de répit pour jeter ma cigarette à peine consumée en contrebas, presque écœurée par les propos que je venais d'entendre. Jusqu'à preuve du contraire je n'étais pas celle qui nous avait traînés ici et j'étais déçue de le voir si frustré au bout de quelques heures à peine dans l'aventure, lui qui était surexcité à l'idée de participer à cette émission. J'exagérais. Un sourire s'esquissa sur mes lèvres quand mon frangin s'avoua en manque d'une bonne grosse mine. Je profitai encore un instant du bruit apaisant des vagues de l'Atlantique puis déclarai à mon tour, le regard plongé dans le vide.

J'aurais bien envie de te répondre qu'une descente de vodka en quantité excessive ne me ferait pas de mal non plus, je vais devoir me contenter d'une canette de Coca au risque d'être une fille déraisonnable, c'est ça ?

Il valait mieux anticiper sa réponse. Sans lui laisser le temps de réagir, je renchéris à nouveau, connaissant le goût prononcé de mon frère envers la chair féminine.

Même pas une minette à ton goût ici ?

Je froncai mes fins sourcils blonds lorsque mon frère fit une tentative de blague sur ma morphologie. J'aurais en fait mieux fait de réviser mon jugement avant de prononcer que je préférais un Franz plus vivace que celui que j'avais en face de moi deux minutes auparavant. J'affichai dès lors une moue boudeuse qu'il connaissait bien, tentant de fuir son regard. Sa grosse main vint alors frapper mon dos que je sentis se briser en mille morceaux sous le poids de la bête. Je ne résistai pas plus longtemps à son appel et un bref éclat de rire strident vint percer le calme de la nuit. Qu'il était chiant... et irrésistible. Tout sa sœur au masculin. J'eus finalement une réponse à ma question et n'en fus pas surprise par le contenu. Connaissant mon amour de frère par cœur, il était évident que le mot "gamine" allait figurer dans sa rétorque, elle non moins puérile que moi. J'esquissai finalement une grimace ridicule face à son air supérieur, avant que mon naturel aspect angélique ne reprenne le dessus... L'ayant aperçu passer la langue baveuse sur ses lèvres de façon non pas suggestive mais plutôt répugnante selon moi, je n'allais pas laisser passer ce geste sans la moindre réflexion.

Ah... Tu te résignes donc à avouer que je suis la seule personne qui sache te faire craquer ? le charriai-je.

Je me reculai alors de la rambarde pour me placer derrière Franz et tenter de l'enlacer avec mes bras. Malheureusement, ceux-ci ne faisaient pas le poids face à la circonférence de ses pseudo-abdos pour ne pas dire son bide engraissé. Du moins plus gras que le mien. Sachant pertinemment que j'étais en train de l'énerver, je serrai d'avantage mon étreinte autour de lui. Certes j'agissais en apparence dans le simple but d'exaspérer mon aîné, je restais tout de même friande de ce moment d'intimité avec lui. Souvent collés l'un à l'autre, (jamais il ne cessait de m'épier, cet espion), ces quelques marques d'affection commençaient déjà à me manquer. J'étais peut-être une jeune femme de vingt ans prétendant pouvoir se déployer seule, je n'en demeurais pas moins une petite sœur admirative et dépendante de son [casse-couilles de] frère.

J'arquai un sourcil qui en disait long sur mon ressenti lorsque Franz réitéra sa tentative humoristique. Effectivement, je l'avais déjà connu sous un meilleur jour et sa réplique parvint à peine à entrouvrir mes lèvres desséchées pour y immiscer un sourire forcé. Quel sale machiste. Je sentis alors le corps fuselé de mon frère vaciller et vibrer sous ma pression que j'accentuai donc d'avantage, histoire de lui en déplaire. Je levai les yeux au ciel à nouveau lorsqu'il se déclara indispensable à ma vie. Par chance j'étais dos à lui, sans quoi il m'aurait prouvé par a + b qu'il avait raison. Et il aurait eu, de toutes les manières raison. Je laissai finalement s'échapper un rire enchanté puis plantai mes yeux azurs dans le regard de Franz, une fois celui-ci face à moi. Me laissant emporter par son excès remarquable d'affection, je restai blottie dans ses bras quelques secondes, peut-être quelques minutes. Le temps ne comptait pas vraiment dans de tels moments. Apaisée par mon frère, je ne maîtrisai pas les quelques gloussements qui s'échappaient de ma bouche à la vision de ses soupirs à l'allure trouble-fête. Mauvais comédien, il était évident qu'il aurait tout fait pour que ce moment dure une éternité. Ou pas. Ne souhaitant pas l'anéantir plus qu'il ne l'était, j'attendis que lui même délace notre lien avant de me dégager d'un pas. Je lui souhaitai bonne nuit en déposant un pudibond baiser sur son front et rentrai enfin à l'abri du froid glacial qui s'était emparé de moi.