→ sven.

Je n'ai jamais connu mon géniteur. Jamais, non. Il pourrait autant être le type que je croise tous les matins dans la rue que l'épicier du coin, que ça ne fera aucune différence. Je ne saurai le reconnaître. D'ailleurs, je me rappelle, gamin, avoir imaginé, des années durant, ma vie si j'avais eu un paternel. J'avais même mené des sortes d'enquêtes avec mon meilleur ami de l'époque, Théo, pour retrouver ses traces. On en était finalement arrivé à la conclusion que celui qui m'avait conçu, avec ma mère, était un agent secret et qu'il se cachait pour me protéger. Ah, qu'est ce qu'on est con quand on est gamin. Et naïf aussi.. C'est à cette époque-là que j'ai commencé à jouer du piano. Je me suis réfugié dans la musique. Chaque note qu'émettait mon instrument était un gémissement. Un gémissement que seul moi et ma frustration étions capables d'entendre. Le reste de mon entourage percevait cela comme un simple son, une banale note de musique. Ils ignoraient tout du message codé. Ils l'ignorent toujours, d'ailleurs. Ainsi, en à peine un mois, je suis devenu accro. Et plus les années sont passées, plus j'ai voulu en apprendre davantage. Alors, je me suis mis à jouer de la guitare et à chanter aussi. C'est comme ça que la musique est entrée dans ma vie. Elle est devenue mon seroplex quotidien et ma chaîne Youtube, mon journal intime. Ma vie tient en quelques vidéos. C'est triste à dire, et pourtant je le vis très bien. Une semaine est donc passée depuis mon arrivée dans le village. Une semaine durant laquelle j'ai tenté d'oublier un instant cette passion dévorante. Mais chassez le naturel et il revient au galop. Cela fait exactement une heure et demi que mes doigts valsent entre deux cordes, qu'ils répètent les mêmes pas. Les candidats pourront venir et s'en aller tant qu'ils le voudront que je ne les entendrai même pas. Je suis ailleurs, comme transporté par la musique.

Je reviens de l'épicerie, j'ai été chercher quelques paquets de chips histoire de les fourrer sous mon lit, si Sissi et moi on a des petites faims nocturnes, vous voyez. J'ai aussi pris des pâtes histoire de me faire à bouffer ce soir et pour celui qui voudra goûter à mon immonde cuisine. Je me balade dans les alentours de l'épicerie dans le but de retourner vers mes appartements histoire d'y déposer mes petits trouvailles du jour. Jusqu'à ce que, par une fenêtre ouverte, j'entende des cordes de guitare vibrer. Je tourne la tête, instinctivement, par curiosité. Je me demande bien qui peut jouer aussi bien, aussi bien que Joshua quand il joue des morceaux. Ce type est un pro de la guitare, auto-didacte mais il se débrouille tellement bien. J'ai envie d'aller voir, envie d'aller voir qui pourrait se débrouiller aussi bien. Alors, la curiosité prenant part de mon corps, je me dirige avec mes paquets de chips et mes pâtes vers l'auberge à ma gauche. Je pousse délicatement la porte, comme un voleur, un espion. Et qu'est-ce que j'aperçois.. mon Joshua. Ca sonne comme une évidence. Qui pourrait mieux jouer que lui? Je ne veux pas le déranger, je perçois très bien qu'il est plongé dans sa musique, alors je m'avance sans faire de bruit et tente d'atteindre le billard juste devant lui, à petits pas avec mes paquets dans les mains. Je hisse mon derrière sur le billard, dépose mes affaires à coté de moi, et entre, captivé, dans ses notes de musique. J'admire ses doigts danser sur les cordes, j'écoute la mélodie. Je suis censé lui en vouloir de m'avoir encore rejeté la dernière fois, mais avec une mélodie pareille, difficile de ne pas être attendri par tant de talent. Alors j'écoute, je ne le dérange pas, j'écoute. J'admire, je profite.

Je suis comme obnubilé par ce que je fais. On pourrait même venir me hurler dans les oreilles que je ne détacherais pas mes yeux de l'instrument. Ce moment, celui où je joue de ma passion, il est sacré. Plus sacré que n'importe quelle conversation que je pourrais entretenir avec n'importe lequel de mes camarades. J'arrive donc au terme de ma partition, après au moins trente essais antérieurs. Je termine donc sur une dernière note de musique, mais garde cependant une vingtaine de secondes mon regard rivé sur la guitare. Puis, je me décide finalement à me détacher de l'objet. A contre-cœur, certes, mais si je reste plus longtemps, je risque fortement de ne plus quitter la pièce. Au fond, il aurait suffi que l'on installe mon lit ici pour que je me sente réellement comme à la maison. Je me lève donc, guitare en main, et m'en vais déposer l'instrument à sa place. Une fois ma mission menée à bien, je relève la tête pour me diriger vers la sortie avant de remarquer la présence d'un jeune homme, installé sur le billard. Je ne peux pas m'empêcher de sourire, malgré le fait qu'il m'en veuille sûrement encore à mort pour la scène de la dernière fois. Mais je suis comme ça.. j'ai du mal à dissimuler mes émotions lorsqu'elles sont trop fortes. Et, en l’occurrence, là, je suis juste parfaitement heureux. Je viens de passer plus d'une heure à faire ce que j'aime le plus et de savoir qu'il est près de moi, ça me fait du bien. Il compte énormément pour moi. Et j'aurai beau tisser des liens avec tous les candidats de cette émission, aucun ne sera plus fort que celui que j'ai avec Sven. « Le trentième essai était le bon. », dis-je entre deux rires. J'rigole comme un gamin, certes, mais je n'ai pas envie de contenir ma joie.

Le plus bizarre, franchement, c'est qu'il n'ait même pas remarqué mon arrivée ni même ma présence alors que je suis clairement passé devant lui pour aller me hisser sur cette table de billard, avec tous mes paquets bien bruyants. Pire encore, il allait presque partir sans m'avoir vu, sans avoir relevé ma présence. Ca aurait été le pompon là j'vous jure mais fort heureusement pour lui, il s'est retourné, sentant sans doute mon lourd regard pesant sur lui, et m'a vu. À ma vue, chose que je n'aurais pas pu prévoir, il sourit comme un bienheureux. Une raison particulière? Je ne crois pas, l'on s'était engueulés comme du poisson pourri la dernière fois avant de rentrer dans un mutisme constant. Il sourit toujours, me regardant, quelque part ça me fait plaisir, mais je doute être la seule source de sa joie, bizarrement. Certainement la musique. Il devrait définitivement se marier avec sa guitare, il serait plus heureux qu'avec moi, bref. Il m'affirme que son trentième essai était le bon. « Si tu le dis. » Je lâche dans un rire. Il sait pertinemment que je suis une quiche et que je n'y connais rien en musique. Il s'approche de moi, doucement, le sourire toujours aux lèvres. Je descends de ma tour d'ivoire et lui sourit à mon tour. Un sourire réciproque, cela me fait tellement du bien, il m'avait manqué depuis la semaine passée. Qu'est-ce que je ferais sans lui? Il est tout pour moi. Ma bouée de sauvetage, on me l'arrache, je me noie. Instinctivement et sans penser à un éventuel rejet car je suis trop content, je m'approche de lui et passe mes bras autour de sa taille, l'agrippant, laissant ma tête tomber sur son torse, histoire de profiter de sa présence réconfortante. Je me sens bien contre lui. Mon sourire s'agrandit tandis que je ferme les yeux, ma tête posée sur sa cage thoracique, j'entends son coeur battre. Il n'y a rien de mieux comme sensation.

Ma bonne humeur semble être communicative. En effet, Sven répond à mon sourire et il se permet même de rire à ma déclaration. « Si tu le dis. » Oui, je le dis. Tandis que je m'avance vers lui, mon camarade quitte le billard sur lequel il s'était installé pour venir se blottir contre moi. Il me serre de ses petits bras et pose sa tête sur mon torse. Instinctivement, je passe mon bras droit sur son épaule gauche, comme pour prolonger cette étreinte et vient déposer ma joue sur sa tête. Il n'est pas aussi grand que moi et quelque part c'est avantageux. Surtout dans ce genre de situation. Ça me fait du bien de savoir qu'il ne m'en veut plus. Ou alors que même si c'est encore le cas, il est prêt à passer à autre chose. Mine de rien, il m'avait manqué ce bonhomme. Ses blagues et sa bonne humeur avaient laissé un vide dans mon cœur. « C'est pour moi tout ça ? », dis-je en faisant allusion à ses paquets de chips, ma tête toujours posée sur la sienne. De toute façon, même si je ne suis pas le destinataire de ce cadeau- chose forte probable-, je trouverai un moyen pour faire de ce présent, le mien ou pour qu'on le déballe là, tout de suite, maintenant. Le dernier truc que j'ai avalé était un sandwich pourri qui avait le goût de chaussettes- même si je n'ai encore jamais goûté à la chaussette moisie pour le savoir. D'ailleurs, je suis certain que de là où il est, Sven entend très bien les grognements de mon ventre qui crie famine depuis une demi-heure déjà. Il peut bien me faire cette faveur. « T'as passé une bonne semaine ? », demandé-je finalement avant de reculer délicatement pour mettre fin à notre embrassade et plonger mon regard dans le sien. Je suppose qu'il a des tas de choses à me raconter. Sven est une gossip, il a toujours de quoi déblatérer.

Je viens de me blottir contre lui, j'en ressentais l'envie, le besoin, ça faisait tellement longtemps que je ne l'avais pas senti contre moi. Son bras se glisse autour de mon corps à son tour, cela me fait du bien de savoir que cette fois, malgré les caméras, il m'accepte. Il pose son menton sur ma tête, ce qui j'imagine dans ma tête, donne une scène très mignonne et émouvante à voir. Bientôt, il remarque, alors que je sens son coeur battre, mes paquets déposés sur la table de billard, et demande à tout hasard, espérant obtenir une réponse positive, si tout cela était pour lui. Il a l'air d'avoir faim alors, ce qui est compréhensible quand on entend son ventre crier famine. Mais il ne touchera pas à mes chips, ça non. Il se retire alors de la séance câlin, sans doute dans le but de bouffer mes chips, je me prépare mentalement à passer en mode ninja pour les protéger du grand méchant ours avec une faim de loup. Mais au lieu de ça, sans m'y attendre, il me regarde droit dans les yeux. Alors là, je fonds. Complètement. Il me demande si j'ai passé une bonne semaine, mais voilà, petit problème d'élocution, je suis amoureux, merde. Que voulez-vous. « Je.. je.. » j'arrive seulement à formuler, perdu et happé par son regard ténébreux dans lequel je passerais mes journées. Je sors alors de mon hypnose partielle, me rend compte de l'abruti que je viens d'être, à le regarder béatement de cette manière. « On va dire que oui, je m'habitude doucement à cet environnement de campagne. » Moi qui habitait une capitale, ça me changeait, lui aussi d'ailleurs. Je marche alors, en mode voleur, jusqu'aux paquets de chips, je les prends tous les deux en main, les agitant devant lui. « Si tu veux en ouvrir un, il va falloir être gentil comme un ange. » Je dis, amusé, avec un grand sourire, gamin dans l'âme. D'habitude cet état d'esprit chez moi l'agace, mais là nous sommes sur la même longueur d'onde, il peut être très enfantin aussi lorsqu'il le veut.

« Je.. je.. » Je? Il a l'air plongé dans mon regard. C'est moi qui le fait pisser dans son froc comme ça? Pourtant je ne suis pas méchant. Mes lèvres affichent un sourire, tandis que mes sourcils expriment mon incompréhension totale face à sa réaction. « On va dire que oui, je m'habitue doucement à cet environnement de campagne. », finit-il enfin par s'exclamer. Tant mieux. S'il est heureux, alors je le suis aussi. Cela dit, le fait qu'il mentionne l'environnement pour le moins inhabituel dans lequel on vit actuellement me fait sourire. D'un sourire plus sincère cette fois. C'est vrai que ce n'est pas facile de changer de paysage comme ça, du jour au lendemain. Surtout pour un mec, comme moi, qui n'a jamais rien connu d'autre que les grandes villes et les capitales. Et je peux vous dire qu'après Paris et Bruxelles, ce petit village à la Astérix et Obelix, ce n'est pas ce qui fait le plus rêver. Sven se précipite donc vers les paquets de chips que j'ai désigné et les agite devant moi. « Si tu veux en ouvrir un, il va falloir être gentil comme un ange. » J'ai l'impression d'être un gentil petit toutou, mais soit. Je m'avance vers lui, et sans qu'il ne s'y attende, lui arrache un paquet des mains. Je lève le bras au ciel et agite à mon tour le fruit défendu- qui n'est, en l’occurrence, pas un fruit. « Ah bon? T'es sûr? »Je rigole puis lui rend son bien. Après tout, je ne suis pas quelqu'un de violent. Puis, ce petit tour était plus une manière de lui montrer mon non-désir de soumission qu'autre chose. « Tu fais un mauvais gardien, là. Je suis déçu. », dis-je en balançant la tête de droite à gauche pour lui montrer mon semblant d'indignement.

Mon petit bout d'homme -enfin grand en l'occurence- semble être d'humeur joueuse et taquine aujourd'hui, si bien que cela me met de bonne humeur de le voir enfin de bonne composition depuis notre entrée dans ce jeu qui risque de nous valoir notre couple. J'agite les paquets sous son nez comme un gamin tentant de se vanter de ses propres affaires. Évidemment, se faire prendre pour un con ne lui plaît pas et je l'avais vu venir mais il parvient finalement à m'arracher un paquet des mains, tandis que cela m'arrache une mine boudeuse et mauvaise perdante. Il brandit le paquet bien en l'air de façon à ce que moi, petit nain incompris, ne puisse pas attraper ça dans la main levée de grand géant chiant. Je ricane, c'est facile hein franchement d'utiliser ma petitesse pour m'ennuyer. Non mais. Il se joue complètement de moi et.. j'adore ça. Il redescend alors le paquet de chips à une hauteur visuelle normale pour ma petite personne, je me sens déjà moins frustré par ce manque de contrôle sur la situation. Il déplore alors le fait que je sois un mauvais gardien. Je croise les bras et prends une mine boudeuse. « C'est pas juste » je fais, à la manière de Titeuf. Allez Joshi, réconforte ton petit Svenouchouchérichou.

Tandis que mon petit- et j'appuie bien sur le "petit", oui- camarade me nargue avec ses paquets de chips qu'il dit vouloir m'offrir à l'unique condition que je joue au petit ange avec lui, je lui arrache son bien des mains et brandit ce dernier pour lui montrer le côté révolutionnaire de ma personne. Après quelques secondes de domination, je lui rends son matériel et vient indirectement affirmer qu'il a encore des efforts à faire avant que je ne le charge de la protection de.. mon jardin, tiens. « C'est pas juste » Mais c'est qu'il boude en plus, le vilain ! Non en plus il ne partage pas sa bouffe avec moi, mais en plus de cela c'est lui qui subit l'injustice du bon Dieu? Je lève les yeux au ciel, toutefois amusé par sa remarque. « Pauvre choupinet. Nourris-moi et peut-être que je te ferai grimper sur mes épaules pour que tu puisses découvrir les joies d'être un géant toi aussi. » Certes, je ne fais pas la taille d'un ogre, mais je peux tout de même me vanter de ma taille déjà plus haute que la sienne. Je ne sais pas comment il fait pour vivre avec ses mini-jambes, le pauvre. Personnellement, ça me ferait chier d'être le plus petit dans mon couple. Mais bon, de toute manière ça colle bien à son personnage. Ne dit-on pas que tout ce qui est petit est mignon? Et s'il y en a bien un, entre nous, qui soit mignon, je peux vous assurer que ce n'est pas moi. Au contraire, je crois bien que je tiens le rôle du grand méchant loup. Celui qui ne fait jamais preuve d'affection, qui ne se montre jamais gentil. Enfin d'après ce que j'ai pu comprendre, hein. Parce que moi, personnellement, je trouve qu'il y a pire que moi niveau "cas social".

C'est pas juste non c'est vraiment pas juste, il m'accuse d'être un mauvais gardien alors qu'il avait tout fait pour que je ne sois pas fidèle à ma tâche. Il est grand comme un âne que voulez-vous que je fasse, moi, petit nain pour défendre mon bien ? À savoir les paquets de chips bien entendu. Du coup je croise les bras et je boude, il fait preuve de mauvaise foi en m'accusant de quelque chose qu'il a lui-même provoqué. Il me traite alors de choupinet. Ouais, moi je voulais juste un câlin de réconfort. Vous voyez celui où je peux me blottir contre le torse de mon mec. C'est de ça dont j'ai réellement besoin. Parfois j'ai réellement l'impression que Joshua est plutôt mon meilleur ami qu'autre chose et ça me fait grandement chier. On a plus fait l'amour depuis le début de l'aventure, et avec ma libido hors-normes ça commence à me taper sur les nerfs. Mais, s'il ne veut déjà pas me toucher les lèvres pour m'embrasser comment voulez-vous que l'on se retrouve tous les deux nus dans un endroit du nid : impossible. Il me propose alors un peu d'alimentation contre un voyage sur ses épaules. J'hausse les épaules, regarde le sol, m'apitoyant sur mon sort. « Je m'en fous pas mal d'être grand, tout ce que je veux, présentement, en ce moment, c'est que tu me témoignes un peu d'affection. J'ai l'impression d'être un rat d'égout que tu ne toucherais même pas avec un bâton » je fais quelque peu désespéré, le regardant maintenant droit dans les yeux, laissant les paquets de bouffe de coté, me concentrant sur le beau gosse devant moi. C'était le mien. Mais pour combien de temps encore à cette allure-là ?