Les soirées, Deirdre n'y comprenait pas grand-chose. Ce besoin de se retrouver, de se mêler, et finalement de se confondre. Elle ne concevait pas le plaisir qu'avaient les individus de se côtoyer constamment, et surtout de s'apprendre. Elle, elle ne souhaitait pas les connaître, ni même les comprendre. Ils étaient là, et elle aussi, et même s'ils avaient tous accepté les règles de ce jeu, nul ne pouvait l'obliger à apprécier, à vibrer des frôlements d'âme sur la sienne. Aussi avait-elle fini par s'éclipser ; elle s'était faufilée jusqu'à la salle de bain, où la chaleur du jet d'eau lui avait langoureusement et longuement brûlé la peau. Nue comme un ver, elle s'en était extirpée jusqu'à s'envelopper d'une serviette. Cet apparat, elle ne l'avait pas gardé longtemps puisqu'elle s'était immédiatement dévêtue pour rejoindre sa pile de vêtements. Son corps, Deirdre n'avait jamais manqué de l'assumer. Elle était bien maigre, beaucoup trop d'ailleurs, mais c'était très exactement ce qu'elle était. Elle avait tout de même fini par passer un petit boxer de coton blanc, surmonté d'un large t-shirt noir qui découvrait à peine le galbe dérisoire de ses fesses. Dans le miroir, elle semblait plus mince que jamais, et les mèches trempées qui lui retombaient vulgairement sur le visage n'arrangeaient en rien ce portrait... qu'on eut cru emprunter à un rescapé de Dachau. Pourtant, son visage était bien serein, et elle se coucha en l'état, enchevêtrée sous les draps. Plutôt que de dormir, elle s'allongea consciencieusement sur le ventre, parcourant des doigts plutôt que des yeux les quelques lignes d'un vain ouvrage. Ses lèvres soupiraient d'extase, non pas de ses lectures mais des songes que celles-ci lui portaient à l'esprit.

Certaines personnes ressentaient le besoin de se toucher, d'être ensemble, en communion avec d'autres personnes, tandis que d'autres... trouvaient cela inutile. Camille se trouvait quelque part entre les deux, parfois ressentant le besoin d'être entouré par les siens, ou simplement par de parfaits inconnus, et parfois éprouvant l'envie d'une île déserte, là où on lui fouterait la paix une bonne fois pour toute. Cela dépendait fortement de son humeur, il fallait avouer. Mais cette soirée riche en émotion, il se sentait bien, heureux. Quittant le salon principal, il se dirigea vers sa chambre, pensant une nouvelle fois voir Deirdre dormir. Ce ne serait pas la première fois qu'il se couchait sans pouvoir lui souhaiter une bonne nuit. Avançant dans le calme, après être passé dans la salle de bain pour se laver les dents et se changer - enfilant simplement un boxer et un tee short - il se rendit rapidement compte de son erreur. Elle ne semblait pas dormir. Non, elle... lisait. Avec ses doigts. haussant un sourcil, elle semblait profondément en train de prendre son pied avec des mots, ce qui amusa le jeune homme. A quoi pensait-elle ? Il avait sa petite idée sur la question. Il toussota légèrement, ne voulant pas la brusquer, et souleva légèrement la couverture - restant quelques secondes bloqués sur sa tenue vestimentaire plus que légère - puis prit place sous la couette, se tournant vers la jeune femme, se servant de son bras comme accoudoir.

Quant on m'a dit que j'étais pris dans le jeu, j'ai vraiment tout imaginé concernant ma partenaire. Blonde, brune, rousse. Débile, intelligente, poufiasse, arriéré. Mais là... Il fit une pause, terminant par sourire, une fois son regard fixé dans le sien. Je pense être content du choix de la production. Un choix stratégique, sans doute. T'es la seule ici dans cette maison à connaître mon secret... Tu sais quand je joue, et quand je suis sincère. Tu me connais maintenant presque mieux que mes parents. C'est... bizarre. Il continua de la regarder quelques secondes, puis soupira, et se laissa tomber sur l'oreiller, regardant le plafond.

Deirdre, elle, ne s'était rien imaginée au sujet de son potentiel partenaire, parfaitement consciente qu'aucun ne lui conviendrait de toute façon. Quoi qu'il advienne, cette personne n'aurait rien pour lui plaire ou pour lui déplaire, plus encore en étant du sexe masculin. Aussi que ce fût Camille ou un autre... la jeune irlandaise n'en prenait guère ombrage. Au contraire, elle ne pouvait qu'apprécier la discrétion relative de son partenaire. Jusqu'à maintenant, ils ne s'étaient pratiquement jamais parlés, et ce faisait donc office d'exception. Rien de plus. Jusque-là, ils n'avaient échangé que très peu de mots. Si l'on ne comptait pas la soirée qu'ils venaient de passer, cela étant. En attendant, Camille venait bien de se glisser sous les draps, et il semblait vouloir engager la conversation, ce que même Deirdre était en mesure de comprendre. Pour autant, elle ne conçut pas tout à fait ce dont il voulait parler. Il enchaînait, bien plus que ses comparses ne l'avaient fait pour finalement conclure par une idée absurde. Et ce mot, bizarre. Deirdre le dévisageait même avec curiosité, exactement comme on le faisait souvent avec elle. Elle connaissait son secret, c'était vrai, mais elle n'avait pas le sentiment de détenir quelque chose d'important, d'essentiel, à son sujet. Parallèlement, il connaissait le sien... et elle n'en ressentait rien, qu'une fade indifférence. Alors oui, l'idée semblait bien absurde finalement. Pourtant, la jeune poupée écarta légèrement les couvertures pour s'asseoir en tailleur, face à la silhouette étendue de son malheureux partenaire. Encore bien silencieuse devant un discours pourtant si prolixe, elle pencha légèrement la tête en portant son index au visage de Camille. Comme d'accoutumée, ses gestes étaient souples et délicats, et ce fût ainsi qu'elle effleura sa tempe, son front, qu'elle fit le contour de ses yeux, de ses lèvres, et ainsi jusqu'à ce qu'elle ait apprivoisé l'arrête de son nez, la carrure de sa mâchoire et la rigueur de ses pommettes. Alors, seulement, elle lui sourit, très doucement. « Maintenant, je te connais. Un peu. » Toujours vêtue de son sourire, elle semblait parler d'une innocence toute écorchée. Finalement, elle reprit sa main, tranquille et étrangement apaisée, finalement. « Ferme-les yeux. » Sereine, elle se contenta de l'observer pour toute invective supplémentaire. Elle semblait bien inoffensive, n'est-ce pas...