Mes pieds foulent le sable délicatement. D'un pas félin, je me promène une bouteille de whisky dans la main et sous le bras, j'ai apporté mon tourne-disque mobile accompagné de vinyles en tout genre. J'en prends une gorgée en souriant d'un air mutin. L'air frais caressant mon visage, je ferme les yeux et m'enivre des effluves nocturnes. J'enlève le haut, me retrouvant en soutien-gorge pour être libre de mes mouvements. Je laisse l'alcool se diffuser dans mon organisme, je le sens s'insinuer dans mes veines et enflammer mes sens. J'ai oublié le goût de l'ivresse et la libération que cela engendrait. Autrefois, je prenais plaisir à m'enfoncer dans les miasmes de l'ébriété, dans la dégustation de produits illicites avec ce penchant pour l'autodestruction qui allait avec. Une période que je qualifierai comme la plus sombre de mon existence. Le moment où je me suis enfoncée dans une vie complétement décousue et dévastatrice. Je pose le tourne-disque portable sur le sable et le met en route. La voix de Jim Morrison s'élève alors. Le titre, The end retentit dans mes oreilles. Un sourire béat s'épanouit sur mes lèvres. Je reprends une autre gorgée qui m'arrache la gorge. Je commence à danser en tenant ma bouteille dans la main. J'en connaissais les paroles par cœur. Je me retourne et vois Jared. Je lui souris. - Bois avec moi, mon ami. Je lui tends la bouteille. D'accord, je suis un saoule. Je m'en fous de tout. A cet instant, je veux juste oublier. Et là, c'est la rechute. Mes anciens démons sont en train de reprendre le dessus. This is the end, beautiful friend. My only friend, the end.

Le pauvre Jared assiste à un spectacle plus que navrant. Moi en soutien-gorge, une bouteille de whisky à la main et en fond sonore, les Doors bien sûre. J'ai du voir le live de 1968, en boucle. Un live à Hollywood Bowl. Un concert mémorable, avec un Jim Morrison habité par ses chansons. Limite en transe. Et The End représente le paroxysme de son art. Dix minutes d'extase pur. Accompagné avec un peu d'alcool, cela alimente l'effet de jouissance. Je tends la bouteille à mon camarade. - Pas trop froid ? Non, j'ai ce feu qui en brûle à l'intérieur de moi - l'alcool y aidant beaucoup. Je n'ai jamais froid la nuit, c'est étrange. Peut-être grâce aux nombreuses nuits passées à la belle étoile quand on a plus de tune pour se payer une chambre dans un motel pourri. De toute façon, le froid m'importe peu. Je laisse la musique me transporter. Le disque enchaîne sur une autre chanson. Alabama song. Je ris. La chanson parfaite pour se saouler. Elle me redonne la bouteille. Je m'empresse d'en reprendre une gorgée. Bukowski disait que s'il se passe un truc moche, on boit pour essayer d'oublier; s'il se passe un truc chouette, on boit pour le fêter, et s'il ne se passe rien, on boit pour qu'il se passe quelque chose. - Raconte-moi un anecdote de voyage. Celui qui t'as le plus marqué. Émotionnellement parlant, je veux dire., je lui demande d'une voix rêveuse. Je ne veux pas seulement qu'il parle de paysage. Je veux qu'il me parle d'aventures, d'émotions saisissantes. J'ai envie de frissons, de joie et d'ivresse. Pour oublier le début de semaine un peu chaotique.