Je fixe les chaises volantes. Mes pas m'ont traînés ici, sans que je ne sache réellement comment. J'ai chopé en vol une pomme d'amour que je porte à mes lèvres. Elles sont pleines de chocolat mais je m'en fiche, je suis seul de toute façon. J'ai des envies d'évasions. Je repense à mon entrevue avec Fantine. Cette sensation de liberté qui s'était emparée de moi lorsque je l'avais élevé en l'air le temps d'un instant. Les chaises me permettraient-elles la même chose ? Gros doute. De toute façon, je n'ai pas le temps de plus de cérémonie qu'une voix s'élève dans mon dos. Je sursaute, même. Et je fais rapidement volte face, une moustache de chocolat sur la lèvre inférieur. Dani me salut, je lui souris, de toutes mes dents, pleines de chocolat, elles aussi. Je n'ai honte de rien. Il est revenu dimanche, il me semble. Je l'ai vu sauter dans les bras de Malik. Ce souvenir me réchauffe, allez savoir pourquoi. Un peu de sincérité et d'amitié dans ce nid, ça fait du bien. « Bah.. je mange. T'en veux ? » et je réfléchis aussi. Je me demande si je suis réellement apprécié, si celle pour qui j'ai des sentiments ne se joue pas de moi mais je me garde bien de lui en faire part. Disons que je n'ose pas. Même si quelqu'un, n'importe qui qui m'est inconnu me permettrait de mon confier. J'en ai besoin, mon coeur est trop lourd. Je me trimbale une pierre lourde de remords, de sentiments, de peur, de frustration. « T'as pas le vertige au moins ? » je lui demande comme pour le tester. Je retombe en enfance en quelques secondes. Sa mine enjouée, son ton enfantin me rendent guilleret. Je suis à fond. Je nous choisis un siège spécialement fait pour deux culs comme les nôtres et je prends place à ses côtés. « Fête foraine abandonnée, ça a quand même tout son sens. Tu penses que les chaînes vont craquer ? » je demande assez concerné. J'ai jamais aimé ce genre de truc. J'ai toute confiance en les avions mais pas en ces machins à cause desquels des gens sont déjà morts..

« Non merci, j'vais grossir ! j'fais attention à ma ligne, tu vois. » J'arque un sourcil. J'avale la dernière bouchée de ma pomme d'amour. « Tu veux perdre un os ? » je lui demande un brin taquin. Je passe ma main sur ma bouche et me rends compte du ridicule dont je fait preuve. J'essuie rapidement toute trace de chocolat. Merci, j'ai l'air con et il ne me l'a même pas fait remarqué. Qu'importe. J'ai pas envie de réfléchir cet après midi. J'ai envie de m'évader et puis, Dani a l'air sympa. Un peu bizarre, un peu dérangé mais sympa. Et j'ai besoin de cette bizarrerie et de cette joie de vivre. Peut-être qu'il réussira à me la transmettre et qu'on passera un bon moment. « J'ai vraiment une tête à avoir le vertige ? Peut-être que c'est toi qui l'a.. » Je grogne et je grimace. Pff. Peur du vide, moi ? Bon, un peu. Mais je me garde bien de le lui dire. J'ai peur du vide d'une façon assez spéciale. J'aime le vide, la sensation que ça procure, ces haut-le-coeur. On s'assieds, je m'attache comme un bon petit soldat, comme si un gros forain allait me gueuler dessus ou tirer sur mes chaînes. « Mais au moins nos chaînes craqueront ensemble, donc bon, c'est pas grave. » Ah ben oui, bien sûr. Je mets ma main sur mon coeur et feins d'être soulager. Le manège se met en marche doucement, d'abord. Je regarde Dani avec un sourire mielleux. « Bon, ça me rassure, si on meurt ensemble. » je lui réponds un brin mutin avant de ne sérieusement m'accrocher. On prend de la hauteur, on tourne un peu plus vite et Dani reprend la parole, en criant. « La dernière fois que j'ai fait ce manège, j'ai pleuré, crié, et on a du arrêter tout le manège, pour moi. J'avais dix-sept ans. » Pleuré, crié, on a dû arrêter le manège pour lui.. Je me refais la liste. Bon, il n'a pas parler de vomi alors, je suis soulager. Mais quand même, y a une chose qui me tracasse.. « Et t'as quel âge maintenant ? » histoire de savoir à quoi m'en tenir. Histoire de savoir si l'on risque la crise de panique. Et là, le manège s'arrête tout seul, obligés d'aller jusqu'au bout.

Le manège se met en marche, et j'avoue ne pas être rassuré par les propos de Dani. Moi, j'aime ce genre de manège. Et malgré le fait que je viens de manger quelque chose de particulièrement lourd et sucré, ce genre de manèges ne me font aucun effet. J'avoue ne pas être rassuré par le fait que ces trucs sont vieux comme le monde et que je n'ai pas confiance en leur état de marche et leur solidité. Je fais de loin bien plus confiance à un avion, qu'à ce genre de trucs. Combien d'accidents d'avion par rapport à des manèges qui craquent ? Peu importe. Je crois que j'essaie de penser à autre chose qu'à Dani et ses peurs. « Ça n'a pas d'importance, voyons. » ça ne me rassure pas du tout. Pire, j'imagine qu'il doit à voir quelques années de plus. Peut-être deux ou trois. Et qu'en ce sens, il est fort probable qu'il est de nouveau peur. Qu'on se retrouve coincé sur ce manège avec ses cris de biches apeurée, que je doive redoubler d'ingéniosité pour le faire taire. J'imagine déjà mon poing s'écrasant sur sa face pour l’assommer jusqu'à ce que le tour se termine. C'est la seule chose qui me passe par la tête et qui me paraît efficace. Aucun mot ne peut calmer quelqu'un qui a peur. « Okay.. là je crois que j'ai eu ma dose.. » j'ai envie de lui retorquer que, chéri, on vient de commencer, mais je me retiens. Ça risque de l'effrayer encore plus. Et je ne veux pas qu'il devienne hystérique. Je veux juste qu'il se calme bordel. Je réfléchis, mon cerveau s'anime, les idées défilent et celle de mon poing est omniprésente mais j'opte pour quelque chose de plus calme, plus pacifiste. En plus, je ne suis pas violent. « Tu viens 'où Dani ? » j'essaie de lui faire oublier deux secondes ces chaises qui tournent désormais à vitesse grand V, à nos pieds qui se balancent dans le vide, à ces chaînes qui font un bruit affreux et me filent la chaire de poule. Peut-être qu'en discutant, le tour passera plus vite. J'espère en tout cas. Je n'attends pas pour continuer à le bombarder de question, ça me calme, également. « Qu'est-ce que tu fais dans la vie et.. pourquoi tu t'es inscris à Fake Lover, mec ? »