La place du village est une sorte de refuge. D'exutoire. Je m'y rends à pas de loup, comme suivit. Je m'assieds sur le premier banc qui se présente. J'ouvre la poche de mon blouson, je sors mes clopes et un briquet. Je m'en grille une tandis que le mistral souffle. Il me frigorifie, passe à travers les mailles en cuir de mon manteau. Je grogne, je frissonne, je hais ce temps. Ma clope se consume beaucoup plus rapidement qu'à l'accoutumée. Elle n'aime pas le vent visiblement et je l'imite. Je tire dessus comme un forcené, essayant de consommer le plus de tabac possible avant d'arriver au filtre. Je ferme les yeux, je me renfrogne sur le banc, j'étends mes jambes. Je suis bien, finalement. Le vent m'offre une sensation de liberté. La fumée de ma cigarette s'envole et j'aimerais que le noeud dans mon estomac en fasse de même. Mais il n'a pas l'air de vouloir se défaire, ni même s'envoler. Il reste présent depuis plusieurs jours. Tenace. Je soupire, lourdement. Mes yeux balaient la place, vide. Les candidats doivent se terrer sous leur couette. C'est compréhensible. Seul un fait exception à la règle et me rejoint. C'est Wade, il me semble. Je lui souris simplement. Il s'assieds près de moi et ne dit rien. Nous regardons face à nous un très long moment avant que je ne décide de briser le silence. Pour ne rien dire, en plus. Je ferais mieux de me retenir. « Wade ça me fait pensé à de la Weed. » Sur le coup, je n'ai même pas honte. Je fronce même les sourcils en essayant de répéter son prénom plus le nom de la drogue. Je suis concentré, même. C'est lorsque je réfléchis un peu plus que je comprends que ma réflexion est ridicule, totalement débile. Qu'est-ce qu'ils ont foutu dans nos clopes sérieusement ? A moins que ce ne soit la faim qui me tiraille le ventre. « T'as pas à manger ? » je lui demande le plus sérieusement du monde. Il a un sandwich dans la main sur lequel je louche sans gêne. Et mon ventre se fait entendre. S'il ne comprend pas que j'ai la dalle, il est mentalement atteint, je pense.

Oui bon, j'ai conscience que la blague est un peu foireuse. Mais, quand j'ai faim, je dis des choses un peu hors contexte, voire carrément tordues. Et c'est le cas pour Wade. S'il n'avait pas l'air aussi sympa, je n'aurais certainement pas osé lui faire, la blague. Je ne souris même pas, en fait. Tellement je me sens con. « C’est…intéressant » Je m'enlise encore un peu plus, histoire de paraître définitivement atteint. « Je t'en prie, je t'autorise à rire. » Tant qu'à faire. « Ceci dit, je ne pense pas que mes parents pensaient à ça en me prénommant ainsi » Il me fait penser au miens du coup, le con. Je ne peux donc pas m'empêcher de rétorquer afin de montrer, encore une fois, au monde entier la haine que j'éprouve envers mes géniteurs. Et j'espère qu'ils l'entendront de là où il sont. « Je crois que les miens pensaient malheureusement à la mythologie quand je suis né. » Je soupire. Ce prénom finalement, je l'ai accepté. Mais pas les autres. Mes parents pensaient-ils réellement à bien lorsqu'ils m'ont affublé de ce prénom ? N'imaginaient-ils pas que mes camarades de classe allaient en joue ? Ou alors, ils ne m'aimaient déjà pas et ce son efforcé à trouver le prénom le plus ridicule qui soit pour que je tombe en dépression et me suicide. Raté. Je lorgne sur le sandwich de Wade et celui-ci accepte de m'en couper un bout. Mes yeux en disent long. Je le remercie. Je lui sauterais bien au cou simplement pour le bien de mon ventre mais je me retiens. « T'es un amour. » je lui réponds lorsqu'il me tend le bout de son sandwich. J'ai plutôt envie de l'enfiler dans ma bouche directement mais soit, je le croque petit bout par petit bout, pour le déguster. « Malik t'a convertit aux cornichons ? » je demande tandis qu'un de ces trucs vert crac sous ma dent. C'est bon les cornichons. Mais maintenant, je ne les vois plus de la même manière. J'imagine directement la tête de Malik. Je souris. J'ai l'air songeur ? Mais pas du tout. Enfin, un peu. Mais je n'ai pas envie de l'embêter avec mes problèmes. « Oh tu sais, des histoires de camping, pas grand chose. » je parle évidemment de mon choix aux dilemmes. J'espère juste qu'il ne verra pas l'association assidûment cachée que je viens de faire. Parce que je n'ai pas le coeur à débattre là dessus. J'ai simplement envie de tout oublier, de laisser tout ça de côté le temps d'une conversation.

Il me dit que mon jeu de mot est foireux et je croise les bras sur ma poitrine. Je grogne, aussi. Je le trouvais plutôt sympa ce jeu de mot, moi. Et il m'arrive d'en faire des bien moins drôle que celui la. Enfin, le plus important c'est qu'il m'est fait rire au fond. J'embraye ensuite sur mon prénom et Weed me rétorque qu'avoir le prénom d'un Dieu, c'est la classe et je secoue la tête. « Appelle tes enfants Thor ou Link, tu verras, ils trouveront ça cool aussi. » je réponds en grimaçant. Ces prénoms sont encore plus dégueulasses que les miens. Je me plaignais.. je plains ses gosses avec autant de force. Enfin, passons. Je passe du coq à l'âne et il me passe un bout de sandwich que je me mets à déguster avec passion, presque. Puisqu'il l'a fait avec amour, je le mange avec amour. Pour lui faire honneur. Et je détaille bien chacun de mes gestes qui sont très lents afin d'apprécier le tout. « Moi j'ai l'impression de manger Malik à chaque fois. Parce qu'Asmaa l'appelle cornichon. Donc j'avoue que ça me perturbe. » C'est ma façon à moi de dire que j'adore Malik, au final. Et c'est la pure vérité. Je ne vois plus non plus les cornichons de la même manière et pourtant j'adore ça. Comme quand petit, je me suis mis à détester le lapin parce que j'en avais un domestique. C'est un peu pareil. Je m'apprête à lui dire que finalement, je ne regarderai plus la weed de la même manière et puis, nous embrayons sur un autre sujet, beaucoup moins joyeux. Mon visage se durcit un peu, il perd en fraîcheur. Je n'ai pas envie d'évoquer cette histoire de camping mais puisqu'il dit adorer ça, lui, je me réjouis. « Puis c'est bien mieux tout ensemble plutôt qu'à deux nan ? » j'essaie de m'en convaincre, en même temps. Je trouve mon choix tellement logique que s'en est difficile d'accepter que d'autres puissent penser autrement. J'hausse les épaules. Lui dire qui sont les personnes que je vise ne servirait à rien. D'une parce qu'ils ont le droit - même si je ne les comprends pas - d'avoir un avis divergent et de deux, parce que je fais une tête de plus que Wade donc je serai mieux placer pour leur botter le cul, je pense. Cette simplement pensée me fait sourire. « Tu fais quoi dans la vie ? » s'il me répond qu'il est boxer professionnel, je retirerai ma phrase précédente. Sinon.. Ba sinon je serai heureux d'apprendre son métier, quoi.

Mouais, il trouve que ces prénoms sont sympas et possibles à donner à des enfants. J'hausse un sourcil et je grimace. Ces prénoms sont affreux et soudain, je me complais dans ce prénom qu'on choisis mes parents pour moi. Enfin, juste un peu, disons. J'ai les gênes de mes parents et je ne supporte pas mon prénom pour autant. Je voudrais le lui rétorquer mais au lieu de ça, j’enfourne la dernière bouchée de mon sandwich, enfin, de son sandwich gentiment donné dans ma bouche. Le dernier cornichon croque sous ma dent et je souris finement, simplement. C'est vrai, ça. Malik se retrouve en chacun de nous, finalement. Il suffit de manger un cornichon pour penser à lui. Que va-t-il rester de moi dans cette aventure une fois terminée ? Qu'est-ce que les gens vont retenir ? Je prie pour qu'on ne découvre pas mon secret de si tôt, trop apeuré. Je n'ai pas envie qu'on reste sur un note négative. Les gens ici sont égoïstes, ils jugent et en ce sens, j'ai la nette impression de me retrouver dans la vraie vie, ce que je voulais tout simplement éviter en m'inscrivant à cette aventure. Qu'importe, de toute façon il est probable que je sorte demain soir. Même fort probable, d'ailleurs. J'ai cette impression de méfiance vis à vis de ma personne. Qu'on me hait, même. Je ne sais pas d'où vient cette impression et peut-être qu'au fond je me goure mais je ne peux pas m'en empêcher. Et si habituellement ne pas plaire ne me gêne pas le moins du monde, ici tout est différent. L'enfermement nous change. « Les gens sont tellement peu compatissants. » je réponds simplement avant de déglutir cette dernière bouchée qui m'a un temps soit peu remplie le ventre. Je lui ferai des sandwich au nutella un jour, pour le remercier. En attendant, je me suis interrogé sur le métier de Wade, qu'il ne tarde pas à m'énoncer et mon visage s'illumine. « Eh c'est la classe ça. Payer pour tester. On signe où ? » Enfin, j'imagine quand même que ce métier à des désavantages, comme le fait de se défoncer les yeux à longueur de journée. J'essaie de percevoir des veines complètement pétées puis je me ravise. Il n'a pas dû touché à un jeu depuis belle lurette. « Moi, je fais des études de lettres officiellement. » je souris doucement. Il va me prendre pour un branleur. De mon côté, j'estime simplement tenter de prendre ma revanche sur le non-amour de mes parents. Quoiqu'on en dise.