Je n’avais même pas pris la peine de regarder l’heure sur l’horloge murale. Je m’en fichais. Ma seule envie du moment était de prendre mes bagages et de rentrer chez moi. Enfin. Après trois semaines à vivre dans mes valises, à passer d’une chambre d’hôtel à une autre, remettre les pieds dans un lieu familier ne me ferait pas de tord, même si ce n’était que temporaire. La tournée ne pouvait pas attendre. Mais prendre une pause – bien mérité, ceci dit – ça, c’était possible. En tant mieux pour moi. Et ma santé mentale. Et mon couple, tiens. Parce que cette vie là avait été largement mise de côté au cours des trois dernières semaines. Avais-je vu Cooper durant cette période-là? Par l’interférence de notre ordinateur personnel, bien sûr. Mais en chair et en os, du tout. Et ça me tuait de le dire, mais bon sens qu’il me manquait. À croire qu’on s’attache à ces petites bêtes là, vous savez, celles que l'on appelle mari. Mon agent me hurlait un truc, mais j’étais déjà en train d’enfiler mon manteau pour prendre la porte, sachant que le taxi que j’avais demandé ne m’attendrait pas éternellement. « Reg’ si tu as quelque chose d’important à m’dire, t’as qu’à m’appeler demain. Là, j’ai pas l’temps! » Et d’un signe de la main, je l’envoie gentiment balader avant de lui souffler un baiser. Il ne va pas s’en offusquer, je crois qu’il commence à avoir l’habitude avec moi : je fais qu’à ma tête, et ce n’est pas prêt de changer. Le chauffeur fume une clope en attendant que j’arrive, et voyant la tonne de bagages que je me traîne, il a la brillante idée de venir m’aider. Tiens, en voilà un qui méritera peut-être son pourboire. Le laissant avec mes sacs, je me glisse sur la banquette arrière de la voiture. L’homme s’installe au volant quelques instants plus tard, me jetant un coup d’œil dans le rétroviseur en me demandant ma destination. « Limerick. » Je peux voir son regard s’agrandir. « Mais m’dame, c’est à plus de deux heures de route. » Mes yeux roulent dans leur orbite, visiblement, je suis agacée. « Je vous paye pour conduire, alors conduisez. » Non mais de quel droit il se permet de critiquer. C’est moi qui vais me ruiner – ou pas – pour cette course, alors il n’a pas son mot à dire. Il me faut quand même soutenir son regard quelques secondes de plus avant qu’il n’obtempère. Je laisse entendre un soupir, m’installe plus confortablement sur le siège, et alors que nous prenons la route, mon regard vague sur le paysage nocturne qui m’entoure. Jusqu’à tout simplement disparaître.

Un raclement de gorge un peu trop fort me réveille en sursaut. Hum, je suis où, là? Ce connard de chauffeur m’a amené dans un cul-de-sac pour me tuer ou quoi? Ah non, c’est bon, je reconnais la route. Limerick pointe le bout de son nom droit devant, et encore une fois, je capte le regard du chauffeur. Il a l’air ennuyé. Y’a pas à dire, je ne suis pas de très bonne compagnie. Bien sûr, il attend que je lui donne l’adresse, et c’est ce que je fais sans m’évertuer à lui faire plus amplement la conversation. Ce n’est pas un mal nécessaire : encore une dizaine de minutes de route et je pourrais le congédier. Enfin pour lui. Et pour moi. Mais pas avant qu’il m’ait aidé à sortir mes sacs du coffre. Heureusement que le trajet jusqu’à notre appartement ne soit pas tant truffés d’escaliers. Un seul, et un pas si terrible, suffit. Je règle mes comptes avec le chauffeur, et comme je me sens généreuse, je double la somme pour qu’il arrête de me tirer cette tronche. Il refait le calcul une, pour deux fois avant de laisser apparaître sur son visage l’ombre d’un sourire. « Bonne soirée, m’dame. » Tiens, et le voilà qu’il se la joue sympa. Je me contente d’un léger signe de main – poli – en sa direction avant de lui tourner le dos et commencer à grimper les marches qui me conduiront chez moi. Aucune lumière n’est visible. J’en serais la première surprise, mais peut-être que Cooper dort. Après tout, il est… - je jette un rapide coup d’œil à ma montre – près de quatre heures du matin, hein. Normalement, les gens sont sagement au lit, à cette heure, et ce, depuis longtemps. Mais quand je pousse la porte d’entrée après l’avoir déverrouillé, personne. L’endroit est vide. Mes valises déposés à la vite dans le portique, je fais un rapide tour d’horizon pour me rendre compte que je suis belle et bien seule. Je dois avouer que je suis un peu déçue, et la moue sur ma bouche le confirme. Mais bon, tant pis. Il reviendra bien assez tôt (ou tard, dans le cas présent). Me délaissant de mes vêtements, que je lance négligemment sur le lit, je décide d’aller prendre une bonne douche chaude. Je suis de retour chez moi, et j’ai bel et bien l’intention d’en profiter. Et à défaut de satisfaire quelconque besoin chez mon mari, absent pour l’heure, je vais en satisfaire un autre, beaucoup moins charnel, mais tout aussi jouissif. Vous n’avez même pas idée oh combien je me serais damnée pour une douche comme celle-là au cours des dernières semaines. Les salles de bain d’hôtel, je commence à en avoir marre. C’est peut-être pour cette raison que je reste aussi longtemps sous le jet d’eau chaude, une bonne trentaine de minutes environ. Je savoure ce moment, en me disant qu’avec chance, mon beau brun sera de retour quand j’en aurais terminée.

N’allez pas croire que parce que je passais ma vie à chanter qu’il en serait de même sous la douche. Oh, pitié, non. Il venait un moment où je préférais me taire, parce que j’en avais un peu marre de pousser la chansonnette à tout bout de champ. Ainsi donc, ces moments sacrés sous le jet d’eau chaude faisaient partie de ces rares temps. En fait, je chantais rarement quand j’étais chez moi. Certes, je me doutais bien que Cooper aimait ma douce voix, mais lui casser les oreilles à journée longue avec elle, et du coup, j’étais convaincu qu’il l’apprécierait moins. Mais vous savez, peut-être que si j’avais fait entendre ma voix, je n’aurais pas tant été surprise par cette brusque arrivée de mon mari dans la pièce. Et lui-même ne m’aurait probablement pas pris pour ce que je ne suis pas, à savoir un intrus. Malheureusement, adieu à mes belles retrouvailles. On a vu cent fois mieux, j’en suis certaine. Me faire menacer d’une batte de baseball, que les mains de mon amant tenaient fermement en position défensive, alors que je prenais sagement ma douche dans mon chez-moi… Surprise, vous dites? Vous n’en avez même pas idée! « Bon Dieu ce n’est que toi ! » Je pense que nous l’étions tous les deux, à voir les émotions changer en une fraction de seconde sur son visage, alors que je daignais le regarder d’un air plus ou moins choqué de mon côté. « Putain, Cooper! Mais oui, ce n’est que moi, qui veux-tu que ce soit! » ne pus-je m’empêcher de lâcher, en replaçant derrière mes oreilles quelques mèches de cheveux mouillés qui se faisait la malle. « Qu’est-ce que tu fou là ? » Je levais les yeux au ciel. Il est tard, d’accord, mais vraiment, il ne fallait pas avoir un cerveau de petit génie pour comprendre que j’avais fait tout ce bout de chemin – deux heures de route avec un affreux chauffeur de taxi – pour passer un peu de temps avec lui. On est même plus reconnaissant, c’est gentil! « Je peux repartir si tu veux… » fit-je sur le même ton. Non, mais s’il voulait jouer à ce petit jeu, on pouvait le faire à deux. Ça allait m’apprendre à faire quelques sacrifices pour lui plaisir, tiens. « Attends… » Le voilà qu’il déposait enfin son arme, et de quelques gestes rapides, se débarrassaient de ce qu’il portait sur son dos. C’est moi, où il avait ENFIN compris ce qu’il avait sous les yeux? Le pourquoi j’étais revenu à Limerick, ne serait-ce que pour quelques jours, malgré un horaire plus que chargé, entre les entrevues, les concerts et les séances photos. Il ne fallut que quelques minimes secondes pour que son corps trouve enfin emprise sur le mien, le capturant de ses bras, alors que ses lèvres allaient chercher avec ferveur les miennes. « Bonsoir… » me lança-t-il et j’esquissais enfin une bride de sourire. Oublier tout le reste et savourer ce petit moment, ce devait bien être possible. « Je préfère nettement cette approche. » lui susurrais-je à l’oreille avant de passer mes bras autour de son cou. À mon tour de m’accrocher à lui. De m’emparer de ses lèvres pour lui voler quelques tendres et passionnels baisers, dignes de ceux que nous n’avions pu partager en raison de mon absence. Après tout, nous avions beaucoup, beaucoup de temps à rattraper, et trop peu pour y parvenir. « Tu sais que tu m’as presque manqué… » lui mentionnais-je alors que ma bouche s’offrait une pause de la sienne, question de reprendre mon souffle. J’étais mi-sérieuse dans mes propos, jamais je n’aurais osé lui dire que son absence – et pas rien que physique – s’était fait sentir. J’étais beaucoup trop orgueilleuse pour ça.


Désolé, c'est affreux