Il faisait noir dans la pièce. Trop noir. Peut-être que cela voulait dire qu’il était temps de dormir. De fermer les yeux et de laisser son esprit voguer à quelques délires fantasques. Allongé dans son lit, au côté de sa partenaire, Emilien tenait entre ses mains sa petite peluche qu’il avait discrètement dissimulée sous sa couette. Un gars avec une peluche, ça le faisait moyen. Enfin disons que ça attirait rapidement les railleries de certains. Il n’osait même pas imaginer les petits noms qu’on pourrait lui donner à cause de cela. Pourtant, cette peluche n’avait rien d’offensif. Juste un petit animal en tissu bourré d’histoires. Il pressait contre sa poitrine le petit chat en coton, et ferma les yeux une fois de plus. Il voulait essayer de dormir. Il le voulait, mais il semblerait que quelque chose l’en empêcher. Une voix trop pensive bourdonnait dans la chambre endormie. Aux quelques sons de la voix, il reconnut la voix d’Emmeline. Ah, Emmeline. Il l’aimait bien cette fille, et il espérait que ça continue comme cela. Il ne se voyait pas détester celle qui était sa partenaire. Il ne lui dit pas de se taire, et la laisser vaguer à ces réflexions naïves. Un sourire étira ses lèvres à chaque mot prononcé par la jeune femme. Cela n’avait pourtant rien de drôle, ni d’hilare. Il était certain que lui aussi un jour, il s’était posé ces mêmes questions. Et soudainement, Emmeline s’était tue. Et le sourire innocent d’Emilien disparu. Comme s’il avait voulu écouter cette histoire intellectuelle encore et toujours, comme s’il avait envie de se faire bercer par cette voix. Tu dors, lui demanda-t-elle finalement. Emilien hocha la tête, comme si elle était capable de le voir dans le noir. Comme si elle pouvait percevoir le moindre de ses mouvements. « Je crois que ça vient de notre culture, pourquoi on appelle ça « marchand de sable ». Je veux dire par là, j’suis sûre que des m’sieurs d’une tribu amazonienne, ils donneraient même pas de nom à ça, ils n'le connaissent même pas, ou alors ils ont quelque chose de bien plus joli que cette expression. Ils sont poètes là-bas. » dit-il dans un murmure, continuant la réflexion de sa partenaire. A vrai dire, ce n’était pas vraiment cela sa question, mais avec une telle réponse, elle a sûrement dû avoir sa réponse : il ne dormait pas.

Malgré ses brèves explications, Emmeline semblait bien décidé de trouver un autre nom à cette expression ancrée dans nos mœurs. Un nom plus joli, plus poétique, plus mélodieux, avait-elle dit. Emilien ne put s’empêcher de laisser s’échapper un petit rire de sa bouche. Elle était marrante quand même cette Emmeline. Avec elle, il ne s’ennuyait pas, c’était certain. Et dans un murmure, il lança un petit défi à celle qui était sa partenaire. « Fais attention, ce n’est pas entré dans l’oreille d’un sourd ! Quand tu auras trouvé, je voudrais le savoir et je jugerai si c’est aussi joli comme nom que ça. ». Ses lèvres s’étirent, faisant découvrir ses dents blanches. Heureusement que personne ne pouvait le voir. Si quelqu’un avait eu l’idée ingénieuse (ou non) de lui éclairer le visage avec une lampe torche –l’aveuglant par la même occasion– il aurait pu alors remarquer le sourire d’Emilien qui lui donnait un air si niais, si débile. Heureusement pour qu’il était dans le noir… Heureusement, oui. Il sentit alors le souffle de sa partenaire dans son cou. Il pouvait alors percevoir la mélodie monotone de sa respiration. L’instant ne dura pas longtemps, mais bien assez pour qu’Emilien apprécie le moment. Il écouta d’une oreille songeuse et réalisa que… en effet, il ne savait rien d’elle, tout comme elle ne savait rien de lui. Ils ne connaissaient que leur prénom. Après tout, ils avaient tout le temps pour apprendre à se connaitre. Puis savoir l’âge, le métier, la ville natale d’une personne, ce n’est vraiment pas très important comme informations ? Il y avait sûrement des choses plus intéressantes à apprendre à connaître chez quelqu’un. Puis il y avait bel et bien d’autres façons pour connaitre les autres. Comme les observer par exemple. C’est souvent comme cela que l’on peut remarquer leurs petites manies, leurs tics, etc. Pendant un instant, Emilien contempla le plafond noir de la chambre. Puis il se redressa et s’assit dans le lit. « Quelle chose veux-tu savoir en première ? » lui demanda-t-il alors. « J’suis prêt à répondre à tout et n’importe quoi… enfin je tenterai d’y répondre du mieux que j’peux quoi. ». Emilien été toujours maladroit et gêné lorsqu’il fallait parler de lui, lorsque la conversation tournait autour de lui. Il n’aimait pas vraiment être le centre des attentions, mais peut-être que pour une fois, il ferait un effort.

Il y avait bien quelque chose qu’il avait remarqué en premier chez Emmeline. C’était bien le fait qu’elle soit bavarde. Très bavard. Constamment en train de partager ses pensées. L’avantage est que cela compensé avec Emilien, qui lui ne semblait pas être un adepte du phénomène « moulin à paroles ». Alors Emmeline lui demanda s’il était certain de vouloir s’y mettre maintenant. Être certain, ce n’était pas vraiment le mot approprié. Mais il ne voyait pas d’inconvénients à ça. Après tout, tous les deux n’arrivaient pas à trouver sommeil, et c’était une façon comme une autre d’occuper leur nuit. Certes, de les occuper à leur façon bien authentique. Puis ça ne dérangeait personne. Ah si ! A part peut-être leurs camarades de chambrée. Enfin… Emilien tenta de regarder à droite puis à gauche afin de voir s’ils dormaient bien tous. Bien entendu, dans ce noir, il ne pouvait rien voir. Mais il émit l’hypothèse qu’ils dormaient tous, et qu’ils devaient sûrement avoir le sommeil lourd, très lourd. Au pire, ils auront le droit à un concerto de « chut », mettant alors fin à leur conversation. « Sûr et certain » déclara-t-il brièvement. Qu’importe la question qu’elle pourrait lui poser, il était certain qu’il y avait des sortes de joker dans ce jeu-là. Il y aura sûrement la carte du switch, puis celle du 50/50 ou encore l’appel d’un ami imaginaire… En fait, non, peut-être pas. Il n’y avait peut-être pas ces jokers là. C’est sûrement dans un autre jeu ça. Tant pis. Il switchera à sa façon si la question le gêne trop, comme il sait si bien le faire. « Et j’suis presque sûr que ta curiosité te poussera dans les bras de Morphée à un moment donné! ».

Les rires d’Emmeline bercèrent un instant la chambre endormie. Puis ce fut le silence. Un court silence. Un très court silence. Le temps de la réflexion. De sa réflexion. En effet, pour briser ce silence, elle posa enfin sa première question. Lorsqu’elle eut fini de la poser, il passa la main sur son menton. Il réfléchissait. Réfléchir à ce qu’il allait bien pouvoir lui dire, lui raconter, lui dévoiler en quelque sorte. Il fallait déjà qu’il se rappelle comment il était à six ans. Certes, il était haut comme trois pommes, un esprit vers le monde assez restreint… bref, il avait beaucoup grandi entre temps. Mais qu’est-ce qu’un enfant de six, comme Emilien l’avait été, pourrait penser de lui ? Bonne question. Il ne se l’est jamais vraiment posé. Un soupir songeur s’échappa de sa bouche. « Je suppose qu’il se moquerait un peu de moi… Après tout, les enfants aiment bien rire, se moquer, en bien comme en mal. Il marqua une brève pause. Il me trouverait ringard… ou ennuyeux… ou peut-être étrange avec mon cartable plein de partoches, je ne sais pas vraiment quel regard il porterait à vrai dire... Peut-être qu’il aimerait bien la musique, mais ça, ça ne l’intéresse pas vraiment. Ou tout du moins, pas pour le moment. Son truc à lui, c’est son mini-laboratoire où il peut recréer le monde à sa façon, mais il comprendra plus tard que ce n’est pas si simple que cela. Une pause, de nouveau, et il souffla fortement avant de reprendre. Il rigolerait. A me voir encore chouchouter par mes frères, tout comme lui. « N’fais pas ci Emilien, fais pas ça… et blabla ». Il serait super fier de me voir si grand, lui qui est haut comme trois petites pommes. Il remarquerait aussi que j’ai arrêté de rechigner quand on m’appelle Chaton…». A l’évocation de ce surnom qui le poursuivait depuis sa plus tendre enfance, il pressa fortement contre lui sa peluche. Une nouvelle fois, il s’interrompit. Peut-être pour réfléchir à ce qu’il pourrait lui dire d’autre. « …Puis… t’es vraiment sûre que tu veux savoir ces choses-là ? Après tout ça, tu ne te diras pas « J’aurais aimé avoir un autre partenaire » ? » lui demanda-t-il, un peu hésitant.

Après tout, il y avait des gens qui changer d’avis. Ces gens-là avaient une doctrine bien à eux : il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis. Mais Emilien s’était dit qu’Emmeline ne faisait pas partie de ce troupeau grégaire. Elle ne semblait pas être comme ça. Elle prit alors la parole. Lui disant alors qu’elle ne regretterait pas. Un sourire rassuré se peignit sur les lèvres du jeune garçon. Elle ne regretterait pas de l’avoir comme partenaire. Voilà des paroles qui lui faisaient chaud au cœur. Elle ajoutait qu’elle tenait à en savoir plus sur lui, et surtout qu’il n’était pas obligé de répondre à toutes les questions qu’elle lui poserait. Encore heureux. Devoir dévier certaines des interrogations faisait certainement parti du plan d’Emilien. Il ne se sentait pas prêt à se confesser, ou tout du moins à parler de lui à cœur ouvert. Certes, il pourrait lui dire quelques trucs, quelques anecdotes, comme il avait commencé à le faire. Emilien hocha la tête, affirmant les propos de sa partenaire. A croire qu’il pensait qu’elle pouvait le voir. « On peut continuer… » lâcha-t-il en réponse à la dernière question d’Emmeline. En effet, elle voulait savoir si elle continuait ou non. Continuons, allez soyons fou ! Après tout, qui sait, peut-être qu’au fil de la soirée, Emilien se dévoilera un peu plus. Enfin, n’espérez pas trop… Après quelques minutes de seconde, il reprit la parole de plus bel. « Dis ? Tu crois que si j’allume la petite lampe ça va en déranger certains ? » lui demanda-t-il. Emilien n’aimait pas le noir. Le noir l’oppressait. Puis, c’était plus sympathique de parler à la lueur d’une faible lumière, non ? Cela donnait une petite ambiance tamisée, chaleureuse. Certes, ça ne valait pas l’ambiance dégagée par la flamme d’une bougie, mais Emilien n’allait tout de même pas se mettre à la quête d’une bougie dans la vaste demeure en plein milieu de la nuit. Si Emmeline lui demandait, il était presque sûr qu’il le fasse. Il était comme ça, Emilien. Il voulait toujours faire plaisir aux autres, à son entourage, il était toujours attentionné avec son entourage. Il préféra demander à sa partenaire si ça dérangeait qu’il allume la lumière. Après tout, peut-être qu’elle préférait rester dans le noir.