ISRAEL

Je suis blonde. Et j’aime les bibliothèques. J’aime les livres, les grandes œuvres, j’aime lire de tout en général. Généralement, quand je dis ça, on ne me croit pas. Parce que, justement, je suis blonde, donc, «conne» alors que pas du tout. Je suis intelligente. Enfin, je suis plus maligne qu’intelligente, en fait. Je suis rusée, aussi. Je sais, je sais, je me la pète. Nan mais je blague ! Enfin si, je suis maligne, mais j’aime pas me la péter, sachant clairement que j’ai pas de quoi, hein. Bref. Après avoir fait une rapide visite du nid d’amour la première soirée, j’avais eu le plaisir de remarquer que la production avait mis à disposition des candidats une bibliothèque. J’avais passé mes doigts sur quelques livres posés sur les étagères mais, découvertes oblige, l’euphorie de rencontrer de nouvelles personnes et d’habiter dans un nouvel endroit a prit le dessus et j’ai du très vite partir, à mon plus grand regret d’ailleurs. Mais, oh ! Nouvelle journée, nouvelles activités, j’allais pouvoir me refermer sur moi-même et passer ma vie à faire quelque chose que j’aime bien, youhou ! Ça fait longtemps ! Non parce qu’avouons-le, je suis très timide et je fais très peu confiance aux gens, c’est comme ça et ça ne changera pas. Du coup, j’essaie de, parfois, me mettre à l’écart du groupe, mais pas trop non plus pour pas me faire dégager si vite. J’oublie parfois mon objectif premier, «sortir de ma bulle». Faudrait que j’essaie de le faire. Mais c’est plus fort que moi, je n’arrive pas. Dès qu’on me parle, j’arrive à répondre – même si je bredouille n’importe quoi avant – mais je n’ose pas aller vers les gens. Imaginez qu’ils me bouffent ! c’est très dangereux ces trucs là. Du coup, bah j’attends qu’on vienne me parler. Je sais que ça fait prétentieuse et capricieuse, même si évidemment ce n’est pas ce que j’ai envie de faire paraitre de moi, puisque c’est exactement ce que je déteste chez une personne. C’est quoi cette manie de se la péter pour un rien ? En plus je sens qu’on va être servis ici, y a l’air d’avoir une bonne brochettes d’abruties, de «connes» et d’autres. Fiou. J’arrive dans le lieu, finalement, je choisis un livre au hasard. Gargantua, de Rabelais. J’aime pas, c’est dégueulasse, mais ça fera l’affaire. Je me cale dans un fauteuil, et entame ma lecture. Je passe outre les mots dégueulasses, le fait que le mec sorte de l’oreille de sa mère et qu’il réclame du vin. Cependant un bruit me fait relever la tête, la porte s’est ouverte et je vois un mec. Israel. Je le reconnais parce que, hey, je suis intelligente, non ? Et puis de toutes façons c’est un prénom assez original, assez facile à se rappeler. « Hey, salut.. venu te plonger dans les livres, Israel ? » Je dis Israel mais j’en suis même pas «sûre». Je vais au talent, comme on dit, hein.

Je compte les jours que je passe ici. Je les compte, notamment pour ne pas finir par perdre la notion du temps. C'est peut-être bizarre, mais en étant enfermé sans un contact avec le monde extérieur, ça nous fait facilement oublier quelques détails. Et moi aussi j'oublierai certainement des choses, mais pas le cadre temporel dans lequel je me situe. D'ailleurs, dans ma valise – finalement arrivée au cellier – j'avais emmené un calendrier que j'avais accroché près de mon lit. Mes camarades de chambre s'en sont plaint au début, ça dénotait avec le reste de la chambre paraît—il, ou il était encore trop tôt pour abîmer les murs du lit, soit. D'ailleurs je ne pense pas me tromper si j'ose dire que c'est Mado qui a gribouillé au marqueur noir quelques cases du mois de février. Je sais pas pourquoi elle a fait ça, peut-être que Marthe lui a transmis son gène satanique durant une nuit. À ce sujet, je me demande pourquoi les gens ont tant de mal à me croire au sujet de ma partenaire. J'ai pas l'habitude de fuir les gens, s'ils m'inspirent un minimum de confiance. Marthe... Ils ont juste pitié d'elle parce-que quand nous sommes arrivés il y a six jours, je l'ai abandonnée. Aussi, c'est de sa faute. Et pendant que ma tête devient le plus gros bidonville de songes que l'histoire de l'humanité ait connu, je me traîne jusqu'à la bibliothèque. Même si je ne sais pas encore qu'il s'agit de la bibliothèque puisque je n'y ai jamais mis les pieds. Alors j'ouvre une porte, pénètre dans la pièce et déjà une candidate m'interpelle. « Hey, salut... Venu te plonger dans les livres, Israel ? » Non, et toi ? Quoique non, j'imagine que si elle a un livre dans les mains c'est précisément ce qu'elle est train de faire, se plonger dans les livres. Aussi je constate en effet que toutes les demoiselles ici sont blondes, ou presque. Pas de bol pour moi, je préfère les brunes en règle générale. « En fait je sais pas ce que je fais là. » Et j'essaye de voir ce qu'elle est en train de bouquiner, Gargantua. Je ne l'avais jamais lu, mais un ami m'en avait parlé et si je me souviens bien de la façon dont il m'avait résumé ça, ça n'avait pas l'air bien glorieux. Je m'enfonce dans la pièce et scrute les tranches qui se suivent les unes aux autres, toutes différentes. « Le gars là, Mickey...mhh, il est écrivain ? Tu crois qu'on a certains de ses livres ici ? »

Je ne sais vraiment pas pourquoi j’ai choisit ce livre. Peut-être parce que c’est le premier que j’ai eu dans les mains. Remarque, la question que je me pose actuellement est surtout celle-ci : pourquoi je continue de le lire ? C’est vraiment.. n’importe quoi. Je me souviens quand j’ai eu à le lire au lycée, j’en pleurais presque tellement c’était ridicule. Ah, ces écrivais et leurs phrases merveilleuses : « A cul embrenné toujours abonde la merde. » mais, c’est charmant, n’est-ce pas. J’arrête. Je le referme légèrement mais le garde en main, quand j’entends la porte de la bibliothèque s’ouvrir. Il est clair que je ne m’attendais pas à ce que quelqu’un entre, surtout à cette heure-ci. Parce qu’on dit souvent que les gens des télé-réalités sont cons, bêtes et méchants. Je suis là, personnellement, pour prouver qu’on ne l’est pas toujours. Je ne suis pas bête. Je ne suis pas méchante. Je suis gentille, adorable, douce. Je suis un ange, tout le monde le sait. Hey hey. Non, je ne me lance pas des fleurs voire « jardiland » je répète juste ce qu’on dit de moi. J’écoute beaucoup les gens, je sais. J’écoute et je ne parle pas, j’observe ; je suis une fouine. Oui, voilà. Bref. La personne se montre et je vois le type, je lui lance son prénom comme ça. Oui, c’est ça. Israel qu’il s’appelle. C’est pas le talent, ça ? Je suis pas merveilleuse d’avoir trouvé son prénom, comme ça, d’un coup ? Je suis formidable. Voilà. Je lui demande s’il est venu se plonger dans les livres. J’espère secrètement qu’il me réponde « oui » parce que comme ça, je pourrai dire qu’il y a au moins quelqu’un qui a d’autres occupations que de montrer ses fesses à la télé. Parce que, avouons-le, la moitié des filles sont venues ici pour être célèbres. Je le pense. Vraiment. Ce n’est pas mon cas. Je suis quelqu’un de simple, mais j’ai pas forcément envie qu’on me remarque. Ma vie me convient parfaitement. Je sais ce que vous vous dites « alors pourquoi elle vient ici ? » Le défi. Et puis tout plein d’autres trucs aussi. Bref ! Le mec me répond qu’il ne sait pas ce qu’il fait là. C’est con, ça. J’ai envie de lui dire qu’il peut s’asseoir et qu’on peut converser tranquillement. Mais ma timidité reprendre le dessus, je suis néanmoins bluffée de ma réplique lors de son entrée. Ça ne me ressemble tellement pas, mais j’ai du être genre.. touché par sa beauté flagrante. Je blague, évidemment. Enfin, il est clair que c’est un bel homme, c’est indéniable, mais je ne lui dirai pas, sait-on jamais que ses cuisses l’empêchent de passer les portes. Ce serait regrettable. Il serait obligé de manger des livres, ou bien de les lire.. c’est vrai que c’est bien aussi, de lire, quand on a rien à faire. « Ah. » c’est tout ce que je dis. C’est assez. De toutes façons c’est pas comme si je pouvais répondre un autre truc, tiens. Il se barre vers les livres exposés et je jette le mien sur la petite table devant moi. J’en ai assez, c’est nul et dégueulasse, à ne plus jamais rouvrir ; je me le promets. J’entends la voix d’Israel s’élever sur ma gauche. Mickey. Je sais qu’il y a un Mickey ici. Mais qui c’est ? Bonne question. « Je ne sais même qui c’est. Faudrait lui demander, non ? » Je pense en effet que c’est la meilleure solution. « Comment trouves-tu l’endroit ? » Je ne parle pas forcément de la bibliothèque mais du châlet en général. Ça m’intéresse ; j’ai envie de savoir si quelqu’un d’autre est sensible aux petites attentions de la production à notre égard.

« Je ne sais même pas qui c'est. Faudrait lui demander, non ? » Je crois que c'est le brun à lunettes. Le gringalet. D'ailleurs, je crois qu'il est anglais, comme moi. Et puis je joue mon curieux parce-que, puisque je voudrais écrire moi aussi, peut-être qu'il pourrait me donner des conseils. Ou alors je me fais des films et jamais il ne me dira quoique ce soit à propos de la création d'un livre, du travail à accomplir, des obstacles courants. J'en sais rien, en fait. Et puis je pourrais lire l'un de ses bouquins aussi, juste pour donner un ordre d'idée, pour savoir ce qu'il a écrit. Et je continue à longer les livres présents dans la pièce. « Si j'ai le temps... » C'est ridicule, j'ai tout le temps de lui demander maintenant que nous sommes là. Je pourrais même y aller dès maintenant si je le voulais. À condition aussi de bien vouloir courir au travers du nid pour le retrouver dans l'une des multiples pièces que nous avons. D'ailleurs, c'est à ça qu'en vint la candidate. À notre logement. Et je constate aussi que la candidate à jeter son livre sur la table face à elle. Je m'avance en sa direction et attrape le livre pour le regarder et peut-être aussi que j'en lirai la première page, pour me faire un ordre d'idée. « Comment trouves-tu l'endroit ? » L'endroit ? Lequel ? Je lève le nez vers Liz, pour voir ce qu'elle sous-entendait en disant endroit. Je pense qu'elle doit parler du nid en général, et pas que de la bibliothèque. Alors je lève les yeux avant de trouver quoi répondre. « Trop grand. Je me perds souvent. Et bruyant aussi. Mais ça c'est parce-que j'ai pas l'habitude je crois. » Je soupire en pensant au bruit qui parfois traverse le nid de tout côtés. C'est bien loin du calme plat que je vis en étant logé chez mes parents, mais je m'y accommoderai. « Et toi alors ? »

Mickey, Mickey, Mickey.. ça me dit quelque chose mais il m’est comme impossible de mettre un visage sur ce nom plus que particulier. Ca doit être un surnom, ou quelque chose dans le genre. J’aime bien, hein, mais dans la vie de tous les jours, ça doit être difficile. Ou alors c’est son nom de famille. Dans tous les cas, lorsque je cherche Mickey dans ma tête, je trouve facilement la petite souris avec des grandes oreilles noires. Bref. Sa réponse à ma question n’a pas l’air très convaincante ; est-il en train de dormir ? Suis-je chiante là tout de suite ? Je ne sais pas ; sans doutes. Peut-être qu’il n’a pas envie de converser avec moi. C’est dommage. Pour une fois que je veux, tiens. Tant pis. Il se rapproche de moi et attrape le livre que j’ai posé il y a quelques secondes plus tard sur la petite table devant moi. J’espère qu’il ne le lira pas. C’est pour son bien. Car c’est nul, incohérent et que merde, c’est juste chiant, avec des mots trop compliqués, ou pas forcément, mais c’est comme quand on regarde Inception ; il faut être bien réveillé sinon tu comprends rien. Voilà. Je lui pose ma question à propos du nid. Trop grand ? Je suis complètement d’accord. Il est clair que cet endroit change complètement mon quotidien en ce moment. Passer d’un petit appartement à un chalet immense, passer de la solitude à cohabiter avec vingt-neuf personnes.. c’est assez perturbant. En ce moment, lorsque je me réveille, je me demande encore où je suis. C’est l’habitude, j’imagine, ça va venir. Et puis, même, voir de nouvelles têtes, c’est quelque chose qui fait du bien. On découvre de nouveaux paysages, de nouvelles personnes, ou personnalités, de nouveaux styles vestimentaires, des nouvelles voix, bref un peu tout ça. C’est formidable. Tout ceci est formidable. « Je trouve ça gigantesque aussi. Mais c’est beau. Y a plein d’endroits super. » que je conclus. Voilà. C’est tout, pas plus. Mais bon, ce beau monsieur aux yeux noisettes doit avoir plein de chose à raconter, non ? J’en suis quasi-sure. « Et pour l’instant ça se passe bien ici ? T’as fait de bonne rencontres ? À part moi bien entendu.. » je blague. Enfin je crois.. oui je blague, voilà.