La neige, à croire que j’étais probablement la seule qui n’était pas folle de joie lorsque les premiers flocons tombaient dans les environs. Pas que je ne sois pas une fille qui appréciait le froid, l’ambiance que dégageait l’hiver avec les routes blanches et tout, bien au contraire je n’étais pas la dernière à faire une boule de neige pour la lancer en pleine poire de ma collègue ambulancière. Elle était un peu comme ma sœur et sans avoir mis le paquet pour l’embêter jamais nous ne serions devenues aussi proches. Elle était justement comme moi, toujours en train de faire la con et je peux vous dire que nos patients transportés en urgence pouvaient parfois avoir le sourire en nous quittant, du moins pour ceux qui avaient encore des capacités, nous en recevions beaucoup en très mauvais état et qui étaient sur le point de passer l’arme à gauche il fallait donc trouver un juste milieu. Passons, si je n’aimais pas énormément la neige ce n’était aucunement pour ça, c’était plutôt parce qu’après la neige il y avait toujours un moment où les températures baissaient un peu plus et le verglas remplaçait la neige, je finissais toujours par glisser et parfois même par me casser la figure, le nez dans la neige gelée et les fesses en l’air. Ce n’était pas une chose que j’appréciais énormément et c’est pour cette raison que je risquais de me la jouer animal qui hiberne si la neige continuait de persister. Passons, tout le monde était fou dans cette baraque si bien que je m’étais volontairement isolée malgré la neige pour faire un petit tour pendant une partie de l’après-midi, ce soir j’éprouvais encore le besoin de prendre l’air et je ne devais pas être la seule. Un autre jeune homme était là, je lui adressais un petit sourire approchant timidement de lui. « Bonsoir, mhh... je me souviens pas de ton prénom, pardonne-moi. » Je souriais amusée répondant du tac au tac. « Bonsoir… Moi c’est Alecia ! Et toi… Attends… C’est un pays… Euh… I… Israel non ? »

Je prenais une petite minute discrètement avant de prendre la parole pour détailler le jeune homme de la tête jusqu’aux pieds. Il était plutôt agréable à regarder, pas dégueulasse du tout même. Je souriais amusée, il avait un popotin rebondi et on aurait pu penser qu’il était autorisé d’y mettre un petit coup mais non. Heureusement que je n’étais pas suffisamment perverse pour prendre la liberté de lui mettre une main aux fesses, j’étais déjà bien assez folle d’avoir des idées comme ça alors si en plus je mettais en œuvre ces pensées je décrocherais aisément mon ticket pour l’hôpital psychiatrique le plus proche. Non, il se retournait et je lui adressais un petit sourire tellement naturel qu’on n’aurait pas pu croire que depuis une dizaine de secondes je dissertais sur son cul. J’approchais tranquillement regrettant presque de ne pas avoir eu la même idée que lui en passant par la cuisine. Si j’avais pensé à prendre une tasse de chocolat chaud j’aurais probablement eu moins froid et j’aurais ainsi moins eu l’impression d’avoir été stupide en ne prenant pas une veste. Je frissonnais, il faisait plus frais que prévu mais tant pis, SUS aux maladies contagieuses. Alors que j’avais toutes les peines du monde à me souvenir de son prénom Israel se moquait de moi, je souriais amusée, il avait un rire très communicatif, le genre qui te donnais la pêche mais quand tout allait mal. « Bingo. » Parfait, un petit silence s’installait. Rien de bien plaisant mais c’était un temps nécessaire pour que je puisse trouver une question intéressante à lui poser. « Qu'est-ce qui t'amène dehors ? Quoique... Qu'est-ce qui t'amène ici tout court ? » Bonne question, qu’est-ce qui m’amenait ici ? Au fond je connaissais la réponse mais je risquais d’être prise pour une folle… Okay, après tout ce que je venais de dire j’étais définitivement prête à rejoindre un asile. « Dehors c’est l’envie d’être un peu plus au calme… On se croirait en pleine guerre à l’intérieur et sans vodka je ne peux pas affronter tout ça plus d’une heure sans faire une pause. » Je gloussais, un petit cri retentissait à l’intérieur, y avait-il une bataille d’oreillers ? Non enfaite je ne sais pas, il y avait juste eu un cri. « Concernant ma venue dans Fake Lover… Je dirais que c’est un moyen de respirer un peu après les quelques mois difficiles que j’ai pu connaitre ces derniers temps mais également de découvrir de nouvelles personnes et de sortir de mon quotidien… Et toi ? »

Je n’étais pas alcoolique, il était même rare que je m’autorise à boire le moindre verre toute seule parce qu’à mes yeux c’est comme ça que les premiers sentiments de dépendance naissaient. Ce qui était un petit verre par soir par exemple pendant le diner mutait en deux, puis trois et finalement par une ou deux bouteilles en une journée. Dans mon métier j’avais pu en voir passer des alcooliques, je peux vous dire qu’en plus d’être désagréables il y avait des horribles séquelles sur leurs organes, ainsi je me contentais de me prendre une bonne cuite qui me mettait K.O. deux bonnes journées et qui me faisait promettre de ne plus jamais boire la moindre goutte d’alcool, cette promesse tout comme une bonne résolution au nouvel an finissait toujours par être oubliée. Je pouvais sentir toute la surprise de mon camarade lorsque j’évoquais la vodka. Quoi ? Nous n’étions plus au Moyen-Âge, les femmes aussi avaient le droit de boire et de profiter des bonnes choses de la vie. Je n’en abusais pas mais je me rendais compte que dit comme je l’avais fait on aurait pu me prendre pour une ivrogne. « Je me rappelle pas du goût que ça a... » Il soufflait, de la buée s’échappait de ses lèvres, logique avec la température qu’il faisait dehors. « La vodka hein, pas le calme. » Je souriais amusée, je me doutais bien qu’il parlait de la vodka et pas du calme, il faut dire que le silence, la tranquillité n’avaient pas vraiment de goût. « Je me doutais que tu parlais de la vodka… Tu ne bois plus d’alcool ? » Une simple question qui me permettrait à la fois d’apprendre à le connaitre un peu mieux, il restait une énigme pour moi jusqu’à maintenant. « Moi, je viens essayer de changer de vie, et de rencontrer quelqu'un aussi. » La dernière partie de sa réponse me surprenait un peu, avait-il vraiment besoin de participer à une émission comme celle-ci pour dégoter l’amour de sa vie ou tout simplement l’amour ? « J’ai du mal à croire que tu aies besoin d’une émission de télé réalité pour avoir une copine… J’veux dire… Tu es beau gosse, sympathique… Cacherais-tu une quelconque pathologie ? Tu es cannibale ? » Je souriais amusée. Peut-être qu’il était un peu comme moi, à la recherche d’un style de personne bien précis et pas du tout intéressé par la superficialité. Je n’avais pas eu de petit ami, pas eu une seule relation sexuelle depuis maintenant 12 longues années, ça ne me manquait pas énormément mais parfois je me sentais tout de même seule. « Tiens, prend-la je t'en prie. » Je levais la tête vers lui acceptant de prendre sa veste qu’il me déposait sur les épaules, je la serrais un peu contre moi pour me réchauffer lui adressant un sourire timide, j’aimais les hommes qui avaient un certain sens de la galanterie. « Merci c’est gentil, mais tu ne vas pas avoir froid toi ? » J’approchais pour m’asseoir sur les marches tout en attendant qu’il fasse de même, ainsi nous pourrions être plus confortables pour poursuivre notre conversation. « Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ces derniers mois ? Tu as eu la voix tremblante en disant ça. » Je n’étais pas très enthousiaste à l’idée de parler de ça, c’est une période de ma vie qui me faisait encore un pincement au cœur lorsque j’y repensais, parfois beaucoup plus, surtout dans mes moments de blues. « Et bien… Mon fils est décédé pendant l’été… J’ai eu besoin de temps pour me relever après ça et cette émission représente tout à fait ce dont j’avais besoin pour tourner la page. »

Je me demandais si Israel buvait de l’alcool ou s’il avait arrêté complètement. C’était également une occasion intentionnelle de peut-être toucher un point sensible lié à son secret, n’oublions pas que nous nous trouvions dans un jeu et que l’objectif était de mettre le doigt sur la majorité des secrets pour augmenter sa cagnotte et être suffisamment apprécié du public pour se hisser jusqu’en final et qui sait, décrocher le titre de gagnant de cette nouvelle édition. Je n’étais pas gourmande à ce point, je me voyais déjà mal être encore ici dans un mois, soyons réalistes. Malgré mon grain de folie assumé je n’avais pas le charisme ni le physique d’une bimbo peroxydée qui faisait le succès d’une émission comme celle-ci, le public masculin ne me soutiendrait pas et je me doutais que le public qui pourrait m’apprécier se lasserait très vite de ma présence. « Du champagne, pour les grandes occasions type anniversaires, noël, le jour de l'an ou des célébrations de ce genre. Sinon je ne bois plus depuis que j'ai besoin que ma vigilance soit toujours au plus haut niveau. On est plus vulnérable avec de l'alcool dans le sang, et je refuse d'être vulnérable... Je l'ai déjà trop été... » Ce qu’il venait de me confier était énigmatique, je ne comprenais pas encore les détails de ses confessions mais… La curiosité est un vilain défaut et on peut dire que je le possédais largement. « C’est surement une question indiscrète mais… Pourquoi tu as besoin d’être toujours vigilant ? » Je le toisais du regard, s’il se sentait prêt à se confier j’étais là pour l’écouter, dans le cas inverse je ne lui en tiendrais bien entendu par rigueur. « Pas à ma connaissance. Mais va savoir si je ne suis finalement pas schizophrène et si je ne suis pas habité par deux personnalités à la fois. Mais je prends ça comme un compliment, alors je te remercie. » Je souriais amusée, il m’était également arrivé de rencontrer une femme qui était schizophrène, j’en gardais un très mauvais souvenir puisque cette dernière avait essayé de me poignarder dans l’ambulance alors que je tentais de lui sauver la vie. Par chance elle n’avait touché aucun organe et j’avais pu sortir de l’hôpital deux ou trois jours après avec quelques jolis point de sutures. « C’était justement un compliment… Sauf la partie avec le cannibalisme mais je pense que tu l’avais compris. » Je gloussais tout en prenant la peine de m’asseoir sur les escaliers après avoir remercié le beau brun pour m’avoir prêté sa veste. Il était très aimable et montait encore un peu plus dans mon estime. « Je suis plus résistant que j'en ai l'air. » Je n’avais jamais pensé le contraire, il n’avait pas l’air d’être un garçon qui ne résistait pas à la pression et aux aléas de la vie. « Dois-je l’interpréter librement ? » Okay, j’étais une garce mais j’aimais taquiner les gens je n’hésitais donc pas à le faire avec Israel, un petit regard mutin ne quittait pas mon visage pendant plusieurs secondes. Alors que nous enchainions sur un sujet tout de suite moins marrant, je me confiais superficiellement sur ce qui avait fait mon malheur ces derniers mois. « Oh non... Je suis confus, j'aurais jamais du poser cette question là... Pardonne-moi... » Je relevais la tête, il n’avait pas à avoir honte de lui, bien au contraire. « Non non… Tu sais je peux en parler, ça me fait plus de bien que de mal… » Je marquais une courte pause reprenant sur un ton plus joyeux. « Bon qu’est-ce qu’on fait ? Et si tu me parlais un peu de toi ? »

Le seul problème dans une aventure comme celle-ci concernait notre liberté de parler plus en détails de notre vie. La majorité d’entre nous se trouvaient face à un mur lorsque la fameuse question tombait. Personnellement je ne pouvais pas trop en dire sur moi, il y avait certains éléments qui, si j’allais trop loin pourraient me griller définitivement et faire tomber mon secret ce qui n’était certainement pas mon objectif pour le moment. Je me disais néanmoins qu’une fois la vérité mise en exergue il serait plus simple d’être comprise par les autres candidats. En attendant je me battrais comme une lionne pour amener tout le monde sur des fausses pistes, il était hors de question qu’on me découvre dès les premières semaines. « Parce-que je me sens perpétuellement en danger à cause d'un truc... Mais, tu sais, je peux pas t'en parler plus en détails... » Je comprenais qu’il y avait un rapport avec son secret et il m’en avait déjà surement trop dis. Je lui adressais un sourire lui faisant comprendre que j’abandonnais donc le sujet pour qu’il soit plus à l’aise. J’enchainais en le complimentant sur sa beauté aussi bien extérieure qu’intérieure pour ce que je pouvais déjà voir aujourd’hui. « Je te renvoie le compliment cela dit, tu es particulièrement charmante. » Je souriais, je n’étais pas habituée à ce que l’on me complimente je sentais donc mes petites joues prendre quelques petits degrés. « Merci. » Que dire de plus ? Je n’en savais rien, il faut dire que je n’avais pas eu ce genre de conversations avec un homme depuis des années et des années… Douze ans au total, plutôt que d’avoir l’air d’une adolescente niaise après avoir été complimentée je sautais sur sa réponse un poil ambiguë pour le taquiner sur comment je devrais prendre ses propos. « Comment l'interprètes tu donc ? » Je souriais amusée, bonne question, comment est-ce que je l’interprétais ? Bien-sûr que j’avais compris la référence au froid mais histoire de continuer un peu j’allais davantage analyser ses paroles. « Il y a de multiples manières d’interpréter tes paroles… Tu pourrais par exemple montrer un côté stratège… Me faire comprendre que tu n’es pas un mec qui prend des décisions uniquement en suivant son cœur… Ca peut-être une manière de me faire du rentre-dedans aussi… Ou simplement de parler du froid ! » Je ne pouvais m’empêcher de rire, je disais beaucoup de conneries, je me demandais même parfois si je n’aurais pas mieux fait de fermer ma bouche lorsque je parlais un peu trop pour ne rien dire. Toute la légèreté du moment était alourdie par mes aveux, je pouvais en parler même si j’aurais aimé être suffisamment éloignée de ce sujet pour m’amuser. « Mais moi ça me met mal à l'aise... » Je comprenais, je lui demandais donc de me parler un peu de lui, l’occasion d’en apprendre davantage sur sa vie, son caractère, son passé quoi ! « Tu sais, je crois pas être suffisamment intéressant pour que l'on veuille m'écouter parler de moi... » Je répondais du tac au tac avec un regard insistant. « Je pense que tu es plus intéressant que tu ne le crois ! » Il souriait timidement puis se lançait enfin dans une brève description de sa vie. « Bon d'accord alors... Je sais pas trop quoi dire... Je viens d'Angleterre, de la ville d'Oxford plus précisément. Je sais pas si tu connais ? Ou si tu y es déjà allée, peut-être... Je travaille pas. Je faisais des études, mais j'ai jamais eu le temps de les suivre jusqu'au bout. Faute de...trop de choses. Mais j'ai comme projet d'écrire des bouquins. Avant j'avais un appartement, mais pour une raison X je ne l'ai plus et j'ai du retourner vivre chez mes parents. C'est une situation qui me convenait, mais je pense qu'il va falloir que je reparte bientôt... Parce-que tu sais, j'ai vingt-cinq ans, et j'ai besoin de prendre définitivement mon envol. Et j'aimerais bien, peut-être pas fonder une famille, mais trouver quelqu'un. Mais c'est difficile, parce-qu'il faut trouver quelqu'un qui me supportera malgré tout... Ce que je suis, ce que j'ai vécu, ce que je vis encore au quotidien, voilà, en bref... » Je l’écoutais attentivement, je me demandais si certains points de sa vie n’étaient pas la cause de son secret, ça me sautait presque aux yeux mais je ne cherchais pas à approfondir. « Je n’ai jamais été à Oxford, je connais de nom mais c’est une ville dans laquelle j’aimerais bien faire un tour… Un jour peut-être. Et… Tu trouveras une femme bien, j’en suis persuadée ! » Je lui souriais, j’étais peut-être trop tactile en temps normal mais je ne pouvais m’empêcher de tapoter son épaule pour attester de mes paroles. « À ton tour ? » Et ça je ne l’avais pas vu venir… Ou un petit peu, en réalité j’avais espéré avoir la chance de passer entre les filets mais c’était plutôt raté pour ce coup là, tant pis, je me sentais suffisamment en confiance pour lui parler de moi. « Oh tu sais, il n’y a pas grand-chose à dire sur moi. Je suis née dans une petite ville aux Etats-Unis, j’y ai passé toute mon enfance et mon adolescence jusqu’à ce que je sois tombée enceinte, mes parents m’ont virée de chez moi et j’ai dû faire pas mal de petits boulots pour avoir les moyens de quitter la ville, j’ai emménagé à Denver dans le Colorado, j’ai poursuivi mes études du mieux que j’ai pu en mère célibataire avec peu de revenus. En médecine j’ai été jusqu’au seuil minimal pour pouvoir être ambulancière j’ai donc abandonné mes études à ce moment-là. Voilà… Depuis il n’y a pas grand-chose à dire de plus, j’ai juste réussi à m’en sortir et c’est une belle revanche sur tous ceux qui n’ont pas cru une seule seconde en moi et ma capacité d’être une bonne mère à dix-huit ans. » Je souriais, ma vie n’avait pas été facile mais j’étais une battante et je l’avais largement prouvé dans la vie de tous les jours.