everleigh

Je me déteste. Je serais incapable de me regarder dans le miroir en ce moment même. La culpabilité. La honte. J’ai honte de ce que je suis, j’ai honte de ce que je vais devenir. Une horrible personne, de toute évidence. Et cette colère, cette colère si puissante, qui me prend les tripes et qui me donne l’impression que je vais exploser à tout moment. C’est incontrôlable. Je suis une éternelle incontrôlable qui vais finir par brûler la chandelle des deux côtés. Ou je vais me brûler les doigts. Je me les brûle déjà en fait. Et je recommence, encore et encore, en ayant l’impression que ça me soulage. Tout n’est qu’illusion, malheureusement. Et le pain que je viens de m’engloutir, ce pain et ce beurre d’arachide qui étaient sensé calmer ma faim, calmer mes ardeurs, n’aura donné comme fruit que de la culpabilité, comme j’aime me le rappeler. Et comme à chaque fois, je reviens à la case de départ. Celle où je me déteste. Genou contre la céramique froide de la toilette, tasse d’eau chaude dans une main, je fixe la cuvette, le regard noyé de larmes. Même avec toute la volonté de la terre, je ne pourrais pas faire autrement. Je ne pourrais pas être dans une position différente. Je ne pourrais pas m’empêcher de me planter les deux doigts au fond de la gorge pour tirer une certaine satisfaction. C’est mental, mais ça, j’ai encore beaucoup de difficulté à l’accepter. Je ne suis pas fière, et je ne tiens pas à ce que quelqu’un me voit dans une telle position. Alors pourquoi est-ce que j'entend du bruit dans la pièce ? Pourquoi est-ce que j’entend des pas dans cette foutu pièce ? J’aurais du mettre un papier sur lequel il aurait été écrit : ne pas déranger. Horrifiée, je me lève d’un seul bon, tirant la chasse d’eau le plus rapidement possible, m’échappant par la même occasion de l’eau bouillante sur la main. « Merde… » Je suis tellement terrifiée à l’idée de m’être fait entendre, surprendre, que j’en oublie presque d’être en colère sur le moment. Et même que je ne sais pas qui se trouve en ce moment dans la petite pièce avec moi. Je suis toujours dans la cabine et je n’ai pas envie de l’affronter. J’essuie mes larmes, laissant tout de même d’énorme trace de mascara sous mes yeux, décidant de me retourner. « C’était oc… » Je me fige en remarquant Everleigh, là, devant moi. Pourquoi elle, sérieusement ? Je n’avais pas besoin de me faire juger plus que je ne le faisais moi-même. « C’était occupé.» Je suis dure, alors que techniquement, elle n’a rien fait de mal, elle. « T’as rien entendu, t’as rien vu d’accord ? » Je sers les dents, les points, une tonne de sentiments me traversant à l’instant.

J'ai les mains pleines de café, j'en ai mise également sur mon pull c'est la merde. Je lisais un magazine féminin sans grand intérêt qu'une fille a laissé traîné sur un lit lorsque ma tasse m'a glissé des mains. Il paraît que ce n'est pas vraiment intelligent de boire du café à une heure aussi tardive à vrai dire je m'en moque puisque ça n'a jamais troublé mon sommeil. J'ai épongé le plus gros à l'aide de kleenex mais ça colle et c'est plutôt désagréable. Il faut que je mette de l'eau dessus avant qu'il ne soit totalement fichu. Je ne sais pas vraiment pourquoi je choisis les toilettes plutôt que la salle de bain néanmoins j'ai déjà le pull dans la main lorsque je pousse la porte. J'ai retiré mon micro pour l'y déposer dans la boîte à l'entrée lorsqu'un bruit suspect attire mon attention. Je referme la porte et pénètre un peu plus dans la petite pièce. L'origine du bruit me paraît claire, tout comme sa nature. Je soupire. Je dépose mon pull sur le rebord du meuble. Un bruit plus sourd encore, la chasse d'eau est enclenché. Pourtant, je me dirige vers le miroir pour me laver les mains, sauf que l'inconnue ouvre la bouche. Je reconnais cette voix. Je me tourne brusquement, je pose mon pull sur le rebord du meuble. Je pivote et je me retrouve devant la porte. Harlow est là. Elle est là devant moi. Les yeux rougies par les larmes qui viennent d'être essuyé, son mascara s'est étalé sur sa peau. Je reste silencieuse, je ne sais pas vraiment comment réagir face à la situation. Elle semble paniqué. Je pourrais essayer de la rassurer sauf que je pense que ma réaction pourrait être mal interprété, je pense qu'elle pourrait se braquer davantage. Mon visage est dépourvu de toute émotion, il est lisse. Presque livide. « Honnêtement, qui ça intéresserait de savoir que t'es boulimique ? » Je suis dure, mais ce n'est pas sans raison, je m'appuie contre la porte de la cabine, et l'observe. « Tu dois suffisamment avoir honte de toi pour que j'en rajoute. A moins que... » Je ne mâche pas mes mots, je suis dure mais je m'en moque. Je ne vais pas lui dire que c'est mal, elle doit savoir déjà. Qui suis-je pour lui faire la morale de toute façon. « Ton père. C'est lui que tu ne veux pas décevoir. Je ne dirais rien. Soit tranquille. » Je l'observe, non je ne la juge pas parce que ça ne l'aidera pas. « Hurle, frappe, pleure ! Personne ne t'entendra, personne ne te verra c'est le moment où jamais. » A vrai dire, je ne vois pas pourquoi je j'irais en parler à quiconque. Pour que ça me regarde. Je n'agis sans doute pas de la manière qu'il faut, mais je n'ai pas de mode d'emploi bizarrement, la voir comme ça me touche plus que je ne l'aurais pensé. Je ne le montre pas vraiment, mais ouais, je suis touchée par sa détresse apparente.

Y’a des choses qui vaudraient mieux qu’elles restent secrètes. Et pour le coup, j’ai vraiment l’impression d’avoir échoué. Je ne suis pas douée pour la discrétion, mais je pensais vraiment m’en sortir sans que jamais personne ici ne se rende compte de la manie que j’ai depuis l’âge de quinze ans. Mais je crois que dans tout ça, ce qui me dérange le plus, ce qui m’énerve le plus, c’est que se soit Everleigh qui ait poussé cette porte. Elle n’aurait pas pu rentrer cinq minutes plus tard ? Non, évidemment, non. Et son regard pèse sur moi, je me sens oppressée, en colère. J’aurais envie de crier, de lui hurler de dégager et de me laisser tranquille. Y’a pas de raison précise à cette envie, seulement qu’elle vient de me trouver dans un moment de vulnérabilité extrême. Elle va directe au but en me disant que ça n’intéresse personne que je sois boulimique. Le mot résonne encore et encore dans ma tête, alors que je refuse de croire qu’il s’applique à moi. Je ne suis pas boulimique. Je n’ai pas de problème. Je reste silencieuse, essuyant la larme qui vient de s’écraser sur ma joue. Faut que j’arrête de pleurer, et toute suite. Plus elle me parle, plus je la déteste. Elle n’est pas entrain de me faire la morale, non je crois que c’est pire. Elle est carrément entrain de me dire à quel point je suis pitoyable. J’ai la gorge serrée, tout comme mes poings, ayant une soudaine envie de lui foutre un coup sur la gueule. La rage, la colère, je ne la contrôle pas. Mais je sais que je ne peux pas agir de cette façon ici. Mais me contenir me demande beaucoup plus d’énergie que la moyenne. J’ai l’impression de l’entendre, sans vraiment l’écouter. Je suis dans un état second. Tout ce que je comprend c’est qu’elle parle de mon père et que ça me fruste encore plus. Je bouillonne de l’intérieur, je prend de grandes respirations, pourtant, ça ne donne rien. Elle me demande de crier, elle va être servie. « TA GUEULE, TA GUEULE. FERME TA GUEULE. » Et voilà, l’explosion. La perte de contrôle. L’impulsion. Et même si je n’ai pas de micro, je suis certaine que tout le monde sur l’étage peut m’entendre crier. « JE NE SUIS PAS BOULIMIQUE. JE N’AI PAS DE PUTAIN DE PROBLÈME D’ACCORD ? MON PÈRE N’A AUCUN LIEN DANS TOUT ÇA, SURTOUT PAS LUI. FICHE MOI PATIENCE ESPÈCE DE VIEILLE FOLLE !!!! » Je ne sais plus ce que je dis, je ne sais même plus où je suis. La seule chose dont je suis certaine, c’est que je lui tirerais bien les cheveux et je la plaquerais au sol. « Et puis, t’es danseuse, alors ne me fait pas à croire que tu ne t’es jamais mis deux doigts au fond de la gorge pour vomir ta tranche de pain ! » Je parle un peu moins fort, mais non pas plus calmement. Elle n’aurait pas du entrer ici, elle n’aurait pas du me parler. Elle aurait seulement du me promettre de ne rien dire et sortir à l’extérieur de la toilette. C’est de sa faute.

Je suis dure, beaucoup trop dure, mon visage est fermé et mes mots tranchants. Elle est au bord de l'implosion pourtant je n'éprouve aucun mal à lui dire tout ceci. Je ne sais pas si c'est la vérité. Je ne la connais pas. Elle n'est peut être pas boulimique. Elle n'est peut être pas anorexique non plus. Elle est mince, mais pas à ce point. Je lui balance toutes ces choses au visage. Je ne quitte pas ses mains des deux, ses poings sont serrés, je n'ai pas peur qu'elle me frappe, je m'en fiche. Et ça n'a rien à voir avec le fait que la violence soit proscrite ici. Non, je m'en fiche, tout simplement. Elle ne semble plus pouvoir se contrôler et finalement, se met à hurler. Elle hurle. « TA GUEULE, TA GUEULE. FERME TA GUEULE. » Et voilà, elle commence à péter les plombs. Et au fond, je pense que c'est ce que je cherchais. Qu'elle hurle. Je me dis que peut être que ça lui fera un bien fou. Je n'en sais trop rien. Si elle fait ça c'est qu'elle doit avoir mal. Oui elle a mal. On ne fait pas ça sans raison. « JE NE SUIS PAS BOULIMIQUE. JE N’AI PAS DE PUTAIN DE PROBLÈME D’ACCORD ? MON PÈRE N’A AUCUN LIEN DANS TOUT ÇA, SURTOUT PAS LUI. FICHE MOI PATIENCE ESPÈCE DE VIEILLE FOLLE !!!! » Elle poursuit de plus belle. Je garde le silence, de toute façon elle ne m'écoutera pas si je m'évertue à parler. Je suis impulsive moi aussi et je sais que quand je m'énerve, je ne fais pas attention à ce qu'on peut me dire. Elle est à un stade beaucoup plus avancée. Clairement plus. J'ai l'impression que plus elle s'énerve et plus je suis calme. Si bien que je reste totalement impassible face à son petit manège. Intérieurement ça me déchire le coeur. Je suis empathique. Mais je suis suffisamment blindée pour y faire abstraction. Je suis forte et à contrario elle semble si vulnérable. « C'est bon ça va mieux ? Parce que sinon va-y je t'en prie. Si ça te fait bien continue. Vraiment. » Je parais si détaché qu'on pourrait croire que tout ceci me coule littéralement dessus. « Et puis, t’es danseuse, alors ne me fait pas à croire que tu ne t’es jamais mis deux doigts au fond de la gorge pour vomir ta tranche de pain ! » Ça par contre, ça a tendance à me faire sourire. « Non je n'ai jamais pris de plaisir à me bousiller le corps de cette façon. » Parce que oui, se faire vomir ça a tendance à nous bousiller, l'œsophage d'abord à cause des acides de l'estomac, et puis le coeur, ça l'affaiblit sans doute bien plus qu'on pourrait le croire. J'en ai connu des filles qui le faisait, pourtant, ça ne leur a rien apporté de bon. « J'sais pas pourquoi tu fais ça, vraiment pas. Et je ne suis pas sûre d'avoir envie de le savoir. Mais y'a vraiment rien qui vaille la peine que tu agisse comme tu le fais. Parce que c'est toi que tu détruis avant tout, c'est toi que tu punies. » Je ne veux pas me la jouer moralisatrice, je déteste ça. Je déteste faire la leçon. Je n'ai jamais été douée pour ça. Je crois que je ne le serais jamais. Je ne suis pas la bonne personne pour ça. Vraiment pas. Pourtant je suis là. Et même si je sais que ça n'aura aucun impact sur elle, je m'évertue à lui faire la morale. C'est débile. Ouais débile.

Cette situation m’oppresse, j’ai l’impression que je ne serai plus capable de respirer. Et elle qui est si calme, elle semble même se foutre de ce que je peux ressentir en ce moment. Est-ce qu’elle le sait, elle, ce que ça fait d’être aussi perdue que je le suis ? J’en doute. Et le pire c’est qu’elle m’encourage à continuer. Non mais on aura tout entendu. Cette femme, à ce moment précis, je la déteste de tout mon être. J’ai tellement crié fort que les larmes m’ont de nouveau monté aux yeux, aucun contrôle de sur ma personne. Je lui fais la remarque que toutes les danseuses ont habituellement la fâcheuse habitude de se faire vomir de toute façon, mais bon, il semblerait qu’elle soit une des exceptions. Et évidemment, ça la fait rire. Grosse garce. Et c’est le moment de la morale. J’étais certaine qu’elle allait en venir à ce point. Tout les gens qui m’ont déjà surprit dans une telle situation se sont sentit obligé de m’avertir, de me dire que je ne règlerais rien en agissant de la sorte. Et bien bravo pour le petit discours, mais ce n’est pas ce genre de paroles qui vont m’aider dans la vie. Et j’ai besoin de l’aide de personne de toute façon, je crois que j’ai été assez clair sur ce sujet. « Et tu crois que ce n’est pas ça le but ? Que je fais ça pour me détruire un peu plus ? » Voilà, c’est dit, on ne peut pas me reprocher de ne pas être franche. Non, s’il y a bien une chose que je suis, c’est bien cela. Et si j’ai envie de me mentir à moi-même, et bien ça ne regarde que moi. « Vas te faire foutre… Tu sais rien de moi, RIEN. » Et alors que j’ai explosé de colère seulement quelques minutes plutôt, voilà maintenant que j’éclate en sanglot, baissant le regard vers le sol, et peu à peu, me laissant glisser contre celui-ci. Elle devrait partir, après tout ce que je viens de lui dire, elle devrait clairement prendre en considération que je suis un cas perdue et que je n’ai surtout pas besoin d’elle pour m’en sortir. Je n’arrive pas à contrôler les larmes qui coulent contre mes joues, alors que je passe sans répit ma main contre celles-ci pour effacer les traces de mon malheur. Mon visage vient se coller contre la céramique glaciale de la toilette, la tête tourmenté par une tonne infinie de problèmes qui ne se règleront jamais. Je le redis, venir à cette émission est la pire décision que j’aurais pu prendre. Sans aucun doute.

Même si je donne cette impression, celle d'être blindée, celle qui se moque pas mal de ce qu'elle peut ressentir c'est faux. Je veux juste éviter qu'elle ne s'en rende compte parce que je sus comme ça. Je me protège. Je me suis toujours protégée, de tout, de tout le monde. Elle n'échappe pas à la règle. Pas elle. Encore moins elle. Si elle me laisse même involontairement voir ses faiblesses je ne lui dévoilerais pas les miennes. J'arrive à les dissimuler, ça s'est renforcée avec la maturité. J'ai vieilli, je me suis endurcie davantage encore. Et cette situation j'ai beaucoup de mal à la supporter. Je ne suis pas de celles qui se plaisent à voir souffrir les autres au contraire. Je crois que je l'agace, pire encore je crois qu'elle me déteste plus qu'elle n'avait pu le faire jusqu'à présent, si tant est qu'elle ait pu me détester avant ça. Elle me déteste, oui, je peux le lire dans ses yeux à un moment donné. C'est plus facile je crois. C'est plus facile pour moi de lui faire la morale si elle me hait. « Et tu crois que ce n’est pas ça le but ? Que je fais ça pour me détruire un peu plus ? » Oh non mais c'est bien on progresse. Elle veut se détruite. Je lève les yeux au ciel, vraiment, je n'ai pas envie de l'enfoncer un peu plus, de la formater dans son délire psychotique. Elle le fait bien seule. « Vas te faire foutre… Tu sais rien de moi, RIEN. » Oh bah merci pour l'info, je l'ignorais. « Oui je sais, je ne te connais pas, je n'ai jamais prétendu te connaître. Par contre je sais ce que c'est d'avoir seize ans et me dire que ma vie est merdique, peu importe les choix que je prendrais je décevrais tout le monde. J'ai cru aussi que les choses ne pourraient jamais s'arranger, j'ai cru que j'allais pouvoir réparer mes erreurs sauf que non, c'est comme ça. Tu te dis que t'as besoin de personne que tu vas t'en sortir seule, que de toute façon, c'est mieux si tu ne t'en sors pas. Sauf que c'est des conneries. La solitude c'est pitoyable, c'est toi même qui me l'a dit. » Je suis en colère, ma carapace se fissure, je lui dis des choses que je n'ai pas vraiment dit à qui que ce soit, mais peu importe elle est la seule à pouvoir l'entendre, pas sûr qu'elle m'écoute mais peu importe. De toute façon, elle vient de s'effondrer, elle pleure, elle éclate en sanglot, elle s'assieds sur le sol et sa détresse est insupportable. Je me penche, je ne suis pas sûre de bien faire, pourtant je l'approche. Je l'observe puis, puis finalement je l'attire contre moi et la sers dans mes bras. Elle va sans doute me repousser, je suis préparée à cette éventualité, ce n'est pas bien grave. Ma main caresse doucement sa tempe. J'ouvre la bouche, puis la referme. Je ferme même les yeux un instant. Le temps que ça durera.

Je ne sais plus quoi faire, quoi dire. Je n’arrive pas à supporter la présence d’Everleigh autant que je n’arrive pas à me supporter moi-même à cet instant. Tout ce que je veux, c’est de m’écraser contre le sol, en position de fœtus, et oublier qui je suis et ce que je suis venu faire ici. Parce que de toute évidence, ce n’était pas une bonne idée. Je l’entend me parler, je comprend ce qu’elle me dit, bien que j’aurais préféré qu’elle se taise. Parce que je n’ai pas envie qu’elle s’ouvre à moi, je n’ai pas envie de connaître les moindres détails de sa vie passée. Je m’en fous des problèmes qu’elle a pu subir. Je suis égoïste en ce moment. Je pense à moi, et rien qu’à moi. À moi et ma souffrance. À moi et le vide que je traîne à tous les jours. J’essaie de respirer, mais mes sanglots redoublent d’ardeur, comme si ce qu’elle me disait me donnait encore plus le goût de pleurer. Le seul contact avec la réalité que j’ai à cet instant est le froid de la céramique contre ma tempe qui en vient presque à me faire mal. Et sans comprendre pourquoi, je sens des bras m’envelopper, je sais que c’est elle et ça me tue un peu plus. Elle ne peut pas me laisser tranquille ? Je m’en fous d’avoir dit que la solitude était pathétique. Là, maintenant, je veux être seule, je ne veux pas qu’elle me prenne dans ses bras ainsi, je ne veux surtout pas qu’elle me caresse le visage comme elle le fait. « Va-t’en… s’il-te-plait… laisse moi... » Je murmure, entre deux sanglot, alors qu’en contradiction, je m’accroche à elle, mes doigts s’enfonçant légèrement dans la peau de ses bras. « S’il-te-plait… » Je répète encore et encore, ne pouvant m’arrêter de pleurer. Ça va me prendre du temps, c’est toujours long avant que je me calme. Et rien ni personne ne pourrait arriver à m’apaiser. C’est comme ça, c’est tout. « Je te déteste… » soufflais-je, ayant à peine d’énergie pour parler maintenant. Tout le mal que je ressentais, toute cette colère qui m’avait envie, je la déversais sur elle. Elle qui me tenait dans ses bras et que je n’arrivais plus à lâcher maintenant, alors que je venais de lui supplier de partir.

Je parle, mais elle se tait. Elle ne dit plus rien, elle se contente de pleurer. Je ne sais pas si c'est mieux finalement. Pendant un bref instant je me dis que ce serait mieux que je la laisse. Que je respecte un peu son avis. Mais c'est pas vraiment envisageable lorsque je la vois comme ça, j'ai davantage envie d'essayer de la réconforter même si j'ai compris que c'est peine perdue plutôt que de la laisser dans sa souffrance. Je ne peux pas faire ça. Vraiment pas. Alors, je me mets à son niveau. Je m'accroupie et la sers contre moi dans un réflexe perturbant. Un réflexe que je ne me connaissais pas. J'ai toujours été plus doué pour m'occuper de moi, les autres en revanche, c'est une autre paire de manche. Ma solitude n'est pas anodine. Pourtant, je suis à à l'enlacer, à caresser sa tempe dans un geste tendre qui ne me ressemble pas particulièrement. « Va-t’en… s’il-te-plait… laisse moi... » Hors de question. Je ne peux pas m'en aller. De toute façon, elle s'agrippe à mes bras, ça a tendance à me décontenancer. Je m'attendais tellement à ce qu'elle m'envoie valser, elle fait l'inverse. « S’il-te-plait… » Je ne trouve pas le courage de lui dire quoi que ce soit. Je me dis que la moindre parole risquerait de la faire bondir encore une fois. Je ne cesse de lui caresser le visage. Je m'assieds sur le sol pour pouvoir la tenir contre moi. « Je te déteste… » J'inspire profondément. « Ce n'est pas grave. » Je m'en doute qu'elle me déteste. Je fais tout le contraire de ce qu'elle me demande. Mais dans un sens, je ne suis pas certaine qu'elle le désire vraiment, elle ne m'agripperait pas, ça me conforte dans l'idée que je ne partirais pas. « Je vais ... Calme-toi... Chut.... C'est pas grave... » Je peux endurer le fait qu'elle me déteste, qu'après ça elle ne pourrait ne plus vouloir à faire à moi. Je peux le supporter. Parce que là c'est certain que je ne peux pas me résoudre à la laisser là. Qui le pourrait ?

Je lui avoue que je la déteste. Je le lui dis sans aucun regret, en sachant que j’en penserai encore la même chose demain matin. Et le souffle qui lui est parvenu aux oreilles, celui que je viens de pousser en lui disant ces trois petits mots, j’espère qu’elles les a bien comprit. Je suis dans un état second, mes larmes qui ne cessent de couler ne sont qu’un minime indice de la souffrance qui me tourmente. Et elle est là, à continuer à ma caresser le visage, à me dire que rien n’est grave. Pourtant, c’est tout le contraire. Tout est grave, merde. Même si je voulais me calmer à cet instant, je crois que j’ai oublié ce que c’est d’être calme. À cet instant, je crois que j’ai même oublié mon nom, qui je suis, qui elle est. Elle est juste là, et finalement, je crois que j’ai besoin de sa présence. Au fond de moi, tout au fond, sans réellement en avoir conscience, je me suis accrochée à elle parce que la solitude qui s’affichait me semble insupportable. Les secondes passent, puis les minutes. Mes paupières deviennent lourdes, mes sanglots s’étouffent. Je me laisse bercer par ses caresses, basculant vers un monde plus paisible, celui des rêves.
Étourdie, perdue, j’ouvre les yeux alors que je met un moment à comprendre ce qui s’est produit. Tout me semble si flou, irréel. Comme à chaque fois. Mais je crois que c’est encore pire à ce moment même. Depuis combien de temps je suis ici, sur le plancher de la toilette ? Je ne saurais le dire. Je plonge dans mes souvenirs les plus frais, l’incident me revenant à l’esprit, mon corps devenant tendu en comprenant ce qui s’était produit. Je suis tellement collée contre elle, contre Everleigh, que je ressens un soudain sentiment d’angoisse. Je lève la tête, me séparant de son étreinte, terrifiée. Mon dieu… Elle m’avait vu dans un moment de détresse extrême. L’angoisse grandit alors que je la regarde finalement, incapable de parler sur le coup de l’émotion. Pourquoi est-ce qu’elle est encore là ? « On… Depuis combien de temps ? » Je fronce les sourcils alors que ma voix se veut sèche, on peut tout de même discerner la panique qui se cache sous celle-ci. J’ai tellement honte, le sentiment ne se décrit même pas. J’aurais envie de prendre mes jambes à mon cou et courir le plus loin possible. Loin d’elle, loin de ce chalet, loin de cette aventure. Loin de moi.

Je ne suis pas douée dans mes relations lorsqu'il s'agit d'être sérieuse, je suis légère. Je peux plaisanter, je sais être charmeuse lorsqu'il le faut. Mais lorsqu'il est question d'être dans une situation comme celle que je rencontre avec Harlow je perds pieds. Je ne sais pas ce qu'il est bon de dire ou non parce que je crois que je n'ai pas l'habitude de ça. Je ne suis pas de celle à qui on vient demander des conseils parce que je n'en demande pas. Je ne sais pas c'est difficile en tout cas. J'essaye de la réconforter de lui dire que rien de tout ce qu'elle peut dire est grave, je fais comme si ses mots n'avaient aucunes répercutions, c'est faux. Ce n'est jamais agréable de s'entendre dire qu'on vous déteste, surtout avec une telle intensité. Une telle détermination. Mais sur l'instant je ne m'en préoccupe pas. Je veux simplement qu'elle se calme, qu'elle cesse de pleurer. Elle s'agrippe à moi mais je reste. Un silence s'installe mais ce n'est pas plus mal. De toute façon il n'y a rien de plus à dire. Je la tiens toujours fermement contre moi. Ses larmes ont cessé de couler, sa tête s'est alourdie. Sa respiration s'est régulée. Je crois qu'elle s'est endormie et je suis soulagée. Soulagée qu'elle se soit laissé allée contre moi. J'ai perdu la notion du temps tout ce que je sais c'est que je ne sens plus mes jambes et mes bras me font mal mais ça n'a pas la moindre importance, le fait qu'on soit assis sur le sol des toilettes non plus. Je prie d'ailleurs pour que personne ne décide d'y venir se soulager et ça n'arrive pas. Pourtant, la jolie blonde se réveille brusquement ça allait bien arriver de toute façon et elle semble aussi paniquée et apeurée que comme je l'ai trouvé. Je ne sais pas vraiment de quelle manière réagir. Elle s'écarte, mes bras m'en tombent, ils sont douloureux. « Trente minutes, une heure, peut être deux. Ou moins, j'en sais rien. » Je n'ai pas de montre, y'a pas l'heure dans cette pièce, je n'en sais rien du tout. Je ne sais pas si je dois me lever, je ne sais pas si je dois parler. Elle doit sans doute vouloir que je me taise. « Je ne dirais rien. Jamais. A personne. » Je ressens le besoin de le lui dire. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Difficilement je me lève pour lui laisser un peu d'espace, cette proximité est beaucoup trop étrange pour que je décide de rester planté là. « Harlow... » Je murmure pas très sûr de ce que je m'apprête à faire. « Tu peux me parler. Si tu le souhaites tu peux me parler, de tout, de rien, de toi, des autres, peu importe... » Et si elle ne le désire pas, je m'en remettrais. Je ne sais pas pourquoi j'dis ça c'est débile mais je repense au fait qu'elle m'a hurlé que je ne la connaissais pas. J'en ai pourtant envie. Malgré tout ça. Surtout avec ça. Elle m'a touché, énormément.