Ses doigts se refermant sur le poignet d'Alisk, Deirdre l'éconduisit lentement. S'il n'y eut que de la délicatesse dans son geste, son recul fût conséquent. Elle ne voulait pas que la jeune femme la touchât, et moins encore avec tant d'insistance. Ce n'était même pas que la fébrile poupée fût distance, ou offusquée, elle refusait seulement un tel contact. Pas de la part d'Alisk. Et pourtant, Dieu savait comme Deirdre s'était montrée bien plus intime avec des femmes qu'elle connaissait beaucoup moins... Mais, sur le principe, elle ne connaissait pas non plus la jeune femme à la douceur serbe. « Tu ne sauras jamais. » Stoïque et certaine, Deirdre se contentait de dévisager Alisk, exactement comme si elle avait cherché à se montrer honnête sans toutefois s'embarrasser de trop de scrupules. Selon elle, il n'y avait aucun mal à dire la vérité ou, tout du moins, à énoncer un constat comme elle le percevait. Et rien de plus. Et, effectivement, Alisk ne saurait certainement jamais ce qu'il y avait au-delà des deux prunelles intensément fixées sur elle. Nul ne savait vraiment les pensées qui agitaient alors la jeune irlandaise... à plus forte raison parce qu'elle demeurait là, plantée, droite et implacable, attendant on ne pouvait savoir trop quoi. Probablement qu'elle ignorait elle-même la raison de sa présence, et plus encore de son immobilité. Mais elle, sombre et délicieux, n'avait aucune hâte de découvrir ce qui pouvait bien se cacher derrière cette muraille impénétrable qu'elle avait sciemment bâti à force d'années. « Tu n'as pas besoin de savoir. » Qu'importe la curiosité d'Alisk, il y en avait eu, il y en avait et il y en aurait certainement. « Tu n'as pas le droit de savoir. »

La plupart des gens se serait certainement offusquée d'être comparée à une simple cigarette, d'autant plus quand l'on pensait à sa nocivité et sa pourtant constante futilité... mais Deirdre conçut certainement avec aisance ce qu'Alisk voulait dire. L'envie, le besoin même, d'une cigarette, elle se le connaissait si bien que ses doigts cherchèrent d'instinct dans sa poche. Elle voulait le goût du tabac. Elle voulait l'idée du cancer. Elle voulait tout cela, ici et maintenant, sans chercher à comprendre s'il s'agissait d'un besoin, ou même d'un droit. Elle voulait seulement incendier le bout de ses doigts, et inhaler jusqu'à l'extase, libératrice. Et puisque les mots d'Alisk venait inciser sa peau, lacérer son visage et pénétrer ses entrailles à grands renforts de mots sublimes comme "le vide" ou "le néant", Deirdre eut l'ombre d'un sourire qui, peu à peu, choisit de s'affadir de lui-même, farouche et contestable. « Peut-être. » D'instinct, et pourtant en toute délicatesse, l'irlandaise s'approcha d'Alisk. Par la taille comme la carrure, les deux jeunes femmes se jouxtaient de sorte que, très bientôt et toujours subtilement, Deirdre fût suffisamment proche pour anéantir son souffle à même ces lèvres étrangères. Il n'y eut jamais de baiser. Il n'y eut même jamais l'intention d'un baiser. Ce n'était pas cela qui animait alors la fragile poupée. Au contraire. Son regard abîmé dans celui d'Alisk, elle se contenta d'un geste leste qui lui abandonna sa dernière cigarette. « Que l'envie passe. » Puisque c'était une cigarette qu'elle voulait, c'était une cigarette que Deirdre lui confia. Après quoi, elle entama de contourner la jeune femme dans l'idée de monter à l'étage éteindre la fièvre entre ses tempes... ou juste la savourer.