Je le sais que c’est stupide. Typiquement stupide. Comme toujours. Mais je suis décidée, c’est vrai, ça. C’est pour ça que je suis partie pour aller dans les studios, comme ça, toute seule. Je ne veux pas que les autres me voient, ils trouveraient ça bête, et stupide, et ils auraient raison, je pense. Il fait nuit, et c’est pas évident pour se repérer. J’y arrive pas beaucoup, d’ailleurs. Je tâtonne un peu, mais je crois que je suis dans la bonne direction. J’en suis presque sûre, j’y suis déjà allée, une fois, mais j’ai pas pu faire ce que je voulais, cette fois, et puis je n’en avais même pas envie. C’est la gare. Les décors de la gare. Je m’approche des rails, je crois que c’est là qu’il faut être, pour le train. Je veux le prendre. Moi, j’attendrais toute la nuit, s’il le faut. Des heures, des heures. Je m’assiérai par terre, et j’attendrai, voilà. Parce que je suis patiente, parfois. Et je suis vraiment, vraiment décidée. Je veux voir ça. Je sais que c’est bête, d’être autant rattachée à une idée qui n’a pris pourtant qu’une poignée de seconde pour venir s’implanter dans mon crâne. Mais avec moi, ces idées spontanées, elles restent dans ma tête, et ça devient important, très vite. Pour pas grand-chose, ils pensent, les autres. J’attends, je suis encore debout, je ne suis pas fatiguée, je peux attendre, moi, ça ne me dérange pas d’attendre un peu. Au bout d’un moment (quelques minutes ? une heure ? aucune idée) un candidat vient aussi. Je souris un peu. Je ne suis pas la seule à avoir de drôles d’idées au mauvais moment. Il dit qu’il espère que le train passe la nuit. Je n’avais pas pensé une seule seconde qu’il pouvait ne pas passer, cette nuit. Mes plans, ils ont toujours des failles. « Il faut qu’il passe cette nuit. » je réponds, simplement. Je veux qu’il passe. Il le faut. « Je n’ai jamais pris de train, moi. Je veux essayer, je veux voir. » Même si ce n’est pas un vrai train, je crois. Ce n’est pas grave. Je n’ai jamais pris de faux train non plus.

« jamais, comme jamais. » j’affirme. C’est vrai, je ne mens pas, je ne vois pas pourquoi je mentirais à Sully à propos de ça, et puis, je n’aime pas trop mentir, moi, ce n’est jamais bien, de mentir. Je vois bien qu’il a l’air surpris, un petit peu. Peut-être que c’est vrai, que c’est surprenant. Je ne sais pas trop. Je ne sais pas grand-chose, moi. Peut-être que j’aurais dû prendre le train, une fois, si c’est quelque chose de courant. « j’ai jamais quitté Allentown. » j’explique, un petit peu. C’est pour ça que je n’ai jamais pris le train, je crois. Parce que je suis à Allentown depuis toujours. Peut-être que je le prendrais un jour avec Jamie et Kat. Ce serait bien. On voyagera tous les trois. Mais pas maintenant. On a pas suffisamment d’argent. Et Jamie, il dit qu’il faut de l’argent pour ça, qu’il faut de l’argent pour tout. Je trouve ça bête. C’est stupide, d’avoir besoin d’argent pour faire ce que l’on veut. Ce n’est rien, ce n’est que des papiers, des fichus bouts de papiers. Je sors de mes rêveries lorsque le train approche. Ah. Au moins, je n’aurais pas à attendre longtemps, c’est mieux, je crois. Je fronce un peu les sourcils lorsqu’il parle de Dieu, Sully. Il ne devrait pas parler de Dieu comme ça, je crois que Dieu n’a rien à voir là-dedans, moi. Je suis presque sûre que Dieu ne me surveille plus maintenant. Mais je reste silencieuse. Je ne veux pas le sermonner sur ça. Je n’aime pas parler de ça, en plus. Le train s’arrête. J’ai les yeux rivés dessus, les yeux pétillants. Ce n’est pas vraiment « le train » mais tout de même. C’est quelque chose. Il me tend sa main, je l’attrape, pour monter dedans. Je regarde un peu tout, rapidement, peut-être trop, mais j’essaye de tout capter, là, en même temps. « dis, tu prends souvent le train toi ? tu voyages ? t’habites où ? » je demande, en le regardant, rapidement, j’arrive pas à poser les yeux sur quelque chose pendant plus de deux secondes, j’y arrive pas.

J’hoche la tête lorsqu’il dit que j’en aurais peut-être l’occasion. J’aimerai beaucoup, moi, avec Kat et Jamie. Un jour, on voyagera tous les trois, quand on aura assez d’argent, et on ira partout. On découvrira tout, et je ne serais pas seule, comme dans le jeu, ils seront là, ils auront le droit cette fois. Ce serait bien qu’on découvre d’autres pays. Jamie et Kat sont déjà allés autre part, ils ont déjà quitté Allentown eux. Mais ils n’ont jamais changé de pays. Sully a déjà pris le train, lui. Occasionnellement, qu’il dit. Il voyage. J’aimerai bien lui demander de m’emmener avec lui, parfois. Mais je me retiens. Ce serait bête. On ne se connait pas. Et je suis presque sûre qu’on ne se verra plus une fois le jeu terminé. Alors, je l’écoute, et je suis un peu déçue d’apprendre qu’il ne quitte jamais le pays. S’il peut le quitter, c’est bête de ne pas le faire. Mais peut-être qu’il ne peut pas. Ou qu’il n’a simplement pas envie. « moi j’aimerai bien quitter le pays. » je dis, calmement. Pas pour partir, pour toujours, mais pour voir autre chose. « mais pas toute seule, avec Kat et Jamie. » je m’empresse de rajouter. Déjà que c’est difficile d’être séparée de Kat dans le cadre du jeu. Ah, moi, je ne la quitterai plus jamais, ma Kat, une fois que je serais sortie d’ici, non, non, plus jamais. Et là, Sully dit qu’il n’habite pas loin de chez moi. Je me demande s’il connait Jamie. Peut-être que non. Je ne sais pas. « J’ai jamais vu Philadelphie. » je connais, juste le nom, mais c’est tout. « Ce n’est pas différent d’Allentown, si ?» je ne sais pas trop, je sais pas comment sont les autres villes, moi. C’est pour ça que je veux voyager. Pour voir si tout est comme à Allentown ou non. « je veux tout faire, bien comme il le faut. » c’est vrai, je veux tout voir, c’est mieux de faire tout en entier je crois. « enfin, ça te dérange pas, dis ? » je lui demande. Parce que maintenant qu’il est là, j’aimerai bien tout voir, mais avec lui.