Tiago & Danaé
#1

Ce n’est pas parce que je me trouve dans un château avec trente personnes que je dois en perdre mes bonnes habitudes. Je me réveille assez tôt le matin, comme si je devais aller m’occuper de mon petit bout. Je vais boire un café bien noir, comme si j’avais une dure journée à venir. Je vais prendre ma douche de bonne heure, comme si je craignais de ne plus avoir d’eau chaude au beau milieu de la matinée. En fait ici, c’est comme à l’extérieur. C’est presque la même routine. Une fois mon petit noir au fond de l’estomac, je grimpe les escaliers quatre par quatre pour regagner ma salle de bain. C’est encore silencieux. Tant mieux. Je ferme la porte derrière moi, mais sans la verrouiller. Je chantonne un air connu tout en me débarrassant de mes habits de nuit pour finir par enfiler un maillot de bain deux pièces. Un truc simple, mais tout de même assez joli. Je n’aime pas le moche, mais je ne suis pas superficielle pour autant. Je me dépêche de gagner la douche italienne et tout en tournant le bouton de l’eau voilà que je me mets à chanter de plus belle. Je ne sais pas vraiment ce que j’ai, mais je suis plutôt de bonne humeur ce matin. Je m’amuse même à faire quelques pas de danse sur le sol glissant. Tant pis si je glisse. Ce sont les risques du métier. En tout je m’éclate plutôt pas mal. J’enduis mon corps d’un gel douche à la vanille dont l’odeur embaume toute la pièce lorsque la porte vient claquer. Le show est terminé. Je suis à présent comme paralysé par la peur. Je n’aime vraiment pas me retrouver à prendre ma douche dans une salle de bain alors que quelqu’un est là. Je n’ose pas bouger. Je n’ose pas allumer l’eau. Je reste là comme une idiote avec mon gel douche dans une main et du savon sur tout le corps. Au bout de quelques minutes je me décide enfin à sortir la tête pour savoir de qui il s’agit. Un jeune homme brun, plutôt bien fait ne nous mentons pas, se trouve à quelques mètres de moi en train de faire je ne sais quoi. Je l’observe un instant sans faire de bruit. Lorsqu’il tourne la tête je me dépêche de rentrer à nouveau dans mon terrier pour me cacher. C’est comme j’ai horreur des situations de ce genre. J’espère juste qu’il ne va pas m’égorger ou un truc du style.

Pour un réveil matinal c’en était un. Je n’étais plus vraiment habitué à me réveiller à une telle heure mais l’insomnie me guettait en cette deuxième semaine d’aventure. Une seconde semaine qui était déjà bien égrainée et qui me laissait déjà pensif quant à dimanche et donc, au prime auquel j’espérais pouvoir assister dans de meilleures conditions que la semaine précédente. Lors du précédent prime en plus d’être nominé j’étais tombé malade, un méchant rhume qui m’avait complètement vidé et qui avait donc rythmé les dernières heures de ma première semaine de jeu. A présent j’étais à nouveau en forme et malgré mon incapacité à dormir depuis quelques jours je conservais une lueur vraiment très rare dans les yeux, une certaine bonne humeur qui me poussait à adopter une attitude positive par rapport à ce que j’avais l’habitude de laisser transparaitre. Ainsi je m’étais levé pour aller aux toilettes puis, après avoir fait ce que je devais y faire je m’étais rendu à la salle de bain, je n’allais pas prendre ma douche tout de suite puisque je m’apprêtais à suer pendant deux bonnes heures de footing puis plus généralement d’athlétisme mais je comptais tout de même me brosser les dents, ayant bien trop eu l’occasion de sentir des haleines de chacal au réveil depuis le début de mon aventure. Entrant dans la salle de bain j’avais constaté que quelqu’un se trouvait dans l’une des cabines de douche. Au départ je n’y avais pas prêté attention mais ce n’est que lorsque j’avais aperçu la tête de la personne en question que je m’étais arrêté net. Il s’agissait d’une personne qui ne me laissait jamais de marbre… Danaé, une fille que je connaissais de mon passé, bien avant l’émission et qui, aujourd’hui vivait grâce aux organes de ma sœur jumelle décédée. Me retournant pour la regarder se cacher je n’étais pas parvenu à contenir une certaine froideur dans ma manière de m’adresser à elle. « Je ne vais pas te bouffer tu sais ! »

Je ne suis pas étonnée de voir Tiago ici puisque je ne vis pas dans une grotte et que je sais très bien qu’il partage la même demeure que moi depuis maintenant une semaine, mais j’avais l’espoir de ne jamais me retrouver en tête à tête avec lui. Ce n’est pas qu’il me fait peur ou quoi que ce soit, bien qu’un tout petit peu quand même, mais je ne l’aime pas beaucoup. Je l’observe durant un assez long moment avant qu’il ne tourne la tête vers moi. Je me cache. Je sais très bien qu’il m’a vu, mais je ne veux pas le voir et encore moins lui parler alors je prends une attitude de gamine et je vais me réfugier tout au fond de la cabine de douche. Je ferme brièvement les yeux. Pourvu qu’il ne m’adresse pas la parole. Il ne semble pas vouloir le faire. C’est juste au moment où je me décide enfin à regarder de nouveau que j’entends sa voix qui s’élève dans la pièce. « Je ne vais pas te bouffer tu sais ! » Il me parle sèchement et avec une certaine froideur qui ne me plait pas du tout. J’ai bien envie de sortir de mon antre pour aller lui cracher à la figure, mais je suis plutôt bien élevée alors je me contiens et je reste à ma place. Je pousse un soupir. « Non t’es juste capable de m’égorger avec ta brosse à dent où un truc du style. » que je lâche tout en ouvrant l’eau à nouveau pour me rincer. Je ne sais pas s’il parle. Je ne l’écoute plus. Une fois que j’ai terminé je tends mon bras pour attraper mon peignoir, mais … rien. Je panique un petit peu. Je ne vais tout de même pas rester là comme une idiote. L’air de rien, je sors à nouveau ma tête de la cabine. « Excuse-moi. » J’attends qu’il se tourne, qu’il bouge, qu’il ait une réaction pour reprendre : « Tu veux bien m’passer la serviette qui est juste à côté de toi s’il te plait. » S’il me la jette à la gueule je crois que je me jette sur lui pour lui arracher les yeux. Beh ouai je ne suis pas un chien non plus tsei.

Danaé n’était pas vraiment fautive, elle n’avait rien fait qui justifiait toute la haine que j’éprouvais envers elle, hélas je pense qu’il aurait été préférable que nous nous soyons trouvés dans une autre situation puisque la rancœur que je développais encore quotidiennement vis-à-vis d’elle était très puissante bien que totalement injustifiée. J’aurais surement pu me réjouir du fait que la petite blonde se soit sortie de son horrible maladie grâce à une greffe de cœur mais cela ne me parvenait pas à m’apaiser parce que j’avais immédiatement l’impression que ma sœur était uniquement morte pour sauver quelqu’un d’autre. En réalité je me conduisais comme un égoïste mais savoir que ma sœur pouvait vivre à moindre mesure dans le corps d’une autre me tuait et j’avais eu du mal à respecter sa décision de donner ses organes. De là je m’étais montré désagréable lorsque Danaé était arrivée, sans aucun tact, me rencontrer pour me faire comprendre que la mort de ma sœur n’avait pas été vaine… J’aurais pu apprécier mais je ne l’avais pas accepté. « Non t’es juste capable de m’égorger avec ta brosse à dent où un truc du style. » Je crois que l’énorme soupir que je venais de lâcher très naturellement exprimait à merveille l’étendue de mon exaspération, inutile de répondre puisqu’elle ne semblait pas apte à m’écouter de toute manière. Je m’étais donc emparé de ma brosse à dent que j’avais brièvement passée sous l’eau avant de la recouvrir d’une petite quantité de dentifrice, je n’avais plus vraiment fait attention à elle, je m’étais contenté de me brosser les dents tranquillement en contenant une rage mal exprimée et qui mettait malheureusement en exergue toute la peine que j’éprouvais, mon deuil que j’avais voulu étouffer pour faire croire que j’étais fort. « Excuse-moi. » Tiens, la princesse s’adressait finalement à moi, je m’étais légèrement retourné, le regard interrogateur. « Tu veux bien m’passer la serviette qui est juste à côté de toi s’il te plait. » Je pouvais être le pire des connards mais je conservais tout de même une certaine part de… Appelons-ça de la galanterie. Je m’étais donc penché pour pouvoir attraper sa serviette après avoir craché dans le lavabo afin de retirer une bonne partie du dentifrice que j’avais sur les lèvres et sur les dents, j’avais ensuite fait quelques pas vers elle. « Tiens ! » Prêt à repartir vers le lavabo je m’étais arrêté pour ajouter. « Et… Pour info… Si j’avais voulu t’égorger ça ferait longtemps que tu ne respirerais plus, mais ça serait du gâchis pour les organes de ma sœur ! » L’admettre à haute voix me tuait.

Si j’avais su que Tiago allait se retrouver avec moi dans ce château, dans cette aventure j’aurais clairement refusé de participer. Il ne m’apprécie pas. Il a certainement envie de me tuer d’une façon très lente et très douloureuse. Il éprouve de la haine envers moi. Il a envie de me voir malheureuse pour le restant de mes jours. Bref, il me déteste et tout ça car les organes de sa sœur m’ont sauvé de mon insuffisance cardiaque majeure. Si j’avais su je n’aurais jamais demandé à rencontrer la famille de mon donneur. Je sais très bien que c’est interdit puisque le don d’organes est anonyme, mais j’ai fait du charme à mon chirurgien pour qu’il accepte de me donner les coordonnées de l’un des proches de la personne qui m’avait donné son cœur. J’avais ainsi eu le numéro de téléphone ainsi que l’adresse du frère de la personne. Personne qui était une jeune femme. Le courant été très mal passé entre nous dès le début. Il avait comme l’impression que c’était de ma faute si sa sœur n’était plus de ce monde aujourd’hui. J’avais tenté de lui expliquer ma situation, de lui dire que cela aurait pu être sa sœur comme une autre personne, bien qu’avec mon groupe sanguin plutôt rare ce n’est pas gagné, mais il ne voulait absolument rien savoir. Le médecin m’avait prévenu que ce serait difficile, mais je ne m’attendais pas à ça. Je ne m’attendais pas à me retrouver en face d’un bout de bois qui ne voulait rien voir et surtout rien entendre. En tout cas je ne suis pas franchement super contente de le savoir ici et encore moins de me retrouver en tête à tête avec lui. On n’échange que quelques mots puis, plus rien. Plus rien jusqu’à ce que j’ai besoin d’une serviette de bain pour me sécher. Je n’ai pas d’autre choix que de lui demander à lui. Il attrape l’objet de mes convoitises pour venir faire quelques pas vers moi et me la donner. « Tiens ! » Il n’a pas l’air si méchant que ça en fait. Je lui adresse un petit sourire gêné. « Merci. » J’ai à peine le temps de finir qu’il s’arrête net et enchaîne. « Et… Pour info… Si j’avais voulu t’égorger ça ferait longtemps que tu ne respirerais plus, mais ça serait du gâchis pour les organes de ma sœur ! » Je ne sais pas vraiment quoi répondre. Je l’observe un long moment avant d’enrouler la serviette autour de moi et de sortir de la cabine de douche. Je peux comprendre sa réaction, mais tout de même, je n’y suis vraiment pour rien. Je prends le risque de venir m’installer au lavabo qui se trouve juste à côté du sien. Je sors ma brosse à dent et du dentifrice. « C’est moi comme ça aurait pu être quelqu’un d’autre. Je n’ai rien demandé et si j’avais pu me passer de cette opération crois que je l’aurais fait. Ce n’était une partie de plaisir pour personne alors ne crois pas que je me réjouis du décès de ta sœur juste parce j’ai pu avoir ce dont je rêvais depuis des années. » L’acceptation à était tout aussi dure pour moi que pour lui et ça j’en suis certaine.

J’étais injuste avec Danaé et ne croyez pas que je l’ignorais. Je pouvais parfois être insupportable avec mon air suffisant mais je savais très bien où est-ce que j’allais et je faisais surtout parfois semblant d’être plus con que la moyenne pour qu’on me laisse dans mon coin à me lamenter en silence sur ma vie merdique. Oh et puis, la petite blonde n’avait pas à se poser des questions, j’en voulais à la terre entière de m’avoir privé de la seule personne sur qui je pouvais compter d’une manière aussi brutale et torturante psychologiquement. Choisir de débrancher les machines qui maintenaient ma sœur en vie n’avait pas été une décision aisée mais j’y étais parvenu après de longues heures à rester à son chevet. Je ne sais pas si j’aurais pu le refaire une seconde fois, je n’avais déjà pas eu à subir l’arrêt des machines et l’horrible bip signalant la cessation d’activité du cœur et toutes les alarmes prévenant les médecins puisqu’elle avait été amenée au bloc en urgence pour retirer les organes qui pouvaient encore être sauvés afin de les implanter à d’autres patients dans le besoin. Cette journée allait à jamais demeurer dans mon cœur, je m’en voulais dans un sens d’avoir mis fin aux jours de Lucy mais il n’y avait plus rien à faire, elle était en état de mort cérébrale et la laisser dans un tel état aurait juste endommagé ses organes, rien de plus et je ne voulais pas qu’une telle chose se produise. Peut-être que notre aventure commune dans Fake Lover allait nous rapprocher Danaé et moi mais j’en doutais fort, n’étant pas sûr de parvenir à aller de l’avant facilement, il aurait pour cela fallu que j’écoute mon cœur et je ne savais pas vraiment comment faire quelque chose de tel. « Merci. » Lui apporter sa serviette de douche était encore dans mes cordes, et puis, par simple politesse je n’aurais pas pu refuser mais qu’elle ne m’en demande pas trop, je risquais très rapidement de l’envoyer balader à nouveau. « C’est moi comme ça aurait pu être quelqu’un d’autre. Je n’ai rien demandé et si j’avais pu me passer de cette opération crois que je l’aurais fait. Ce n’était une partie de plaisir pour personne alors ne crois pas que je me réjouis du décès de ta sœur juste parce j’ai pu avoir ce dont je rêvais depuis des années. » J’en avais bien conscience, qu’elle ne doute pas de cela mais… Il était plus facile pour elle de le dire qu’il n’était aisé pour moi de l’avouer à haute-voix. « Je sais… » Parvenais-je péniblement à dire, submergé par une émotion que je contenais au maximum, repenser à ma sœur était douloureux, putain elle avait été la seule personne présente pour moi de toute ma vie, nous avions vécu les mêmes galères, le même changement incessant de familles d’accueil et nous avions compris dès lors que nous n’aurions plus que l’autre sur qui se reposer. A qui pouvais-je me confier à présent ? A personne et cette solitude que je m’imposais me brisait autant le cœur qu’elle ne me paraissait nécessaire pour ma survie. Ravalant péniblement un sanglot pour ne pas montrer que je pouvais être encore très sensible à ce sujet je m’étais contenté de fuir son regard au maximum en remontant en scelle avec ma froideur extrême, ma seule arme pour me défendre. « Que dire de plus, elle est morte et tu es aujourd’hui en vie grâce à elle, grâce à son inconscience lorsqu’elle a voulu escalader cette putain de montagne ! »

C’est assez pénible de se trouver dans une telle émission et de savoir que quelqu’un vous déteste au plus haut point. C’est frustrant. Je sais déjà que la totalité des gens qui soutiennent Tiago doivent me détester. Tant pis. De toute façon on ne peut pas plaire à tout le monde. On ne parle que très peu. On n’a pas grand-chose à se dire en fait. Le sujet de discussion que nous pouvons avoir concerne sa sœur. J’ai envie d’en savoir bien plus sur elle, mais je ne me sens pas la force nécessaire de lui poser des questions sur elle. Il n’a même pas voulu me dire son prénom la fois où l’on s’est vu pour la première fois. Me retrouver seule avec lui me fait un petit peu peur, mais je prends tout de même le risque de venir m’installer à ses côtés pour terminer de me préparer. J’en profite pour échanger quelques mots avec lui. J’en profite pour lui donne mon point de vue sur toute cette histoire. « Je sais… » C’est le genre de réponse assez étrange qui a le don de couper court à toute conversation. Je ne sais pas vraiment quoi lui dire s’il sait déjà cela. Je ne sais plus comment lui expliquer que je suis désolé. Je ne sais même pas si je dois le lui dire. Je baisse brièvement la tête alors qu’il reprend la parole : « Que dire de plus, elle est morte et tu es aujourd’hui en vie grâce à elle, grâce à son inconscience lorsqu’elle a voulu escalader cette putain de montagne ! » Sans le vouloir il vient de me donner une indication sur les circonstances de la mort de sa sœur. La montagne. Elle avait très certainement dû faire une mauvaise chute. Un bref sourire idiot s’installe sur mes lèvres durant une toute petite seconde avant que je me rende compte que ce n’était certainement pas le moment. J’étais juste contente d’en savoir enfin un petit peu plus. Je ne veux pas qu’il pense que je suis heureuse de la mort de cette jeune femme. C’est entièrement faux. Enfin en partie. Un silence pesant commence à s’installer entre nous. Je l’observe à travers le miroir. « C’est … délicat comme situation. » La question que je vais lui poser l’est peut-être tout autant. « Elle … était comment ? » Je sais que c’est stupide, mais j’ai besoin de savoir. J’ai envie de la connaître un petit peu plus vu que je ne pourrais jamais faire sa connaissance et que pourtant je dois vivre avec un morceau d’elle en moi.

Je ne me sentais pas très bien en la présence de Danaé, cela ne datait pas d’hier mais de notre première rencontre. Nous avions été mis en contact dans une situation pour la moins étrange et qui avait immédiatement donné un sens à notre relation qui était peut-être un peu injustifiée. Nous n’y pouvions rien mais avec des efforts peut-être qu’il y aurait moyen de faire changer les choses encore un peu, pour être honnête je ne croyais pas trop à un tel discours mais si j’en voyais l’utilité alors peut-être que je finirais par faire un effort. Le problème resterait pourtant le même, je ressentais toujours cette sorte de mal-être lorsque je me retrouvais face à Danaé parce que je me demandais si cette dernière pouvait parfois se retrouver avec des souvenirs qui ne lui appartenaient pas, des impressions de déjà vu qui pouvaient être liées au passé de ma sœur… Des idées qui me perturbaient au plus haut point et je ne devais d’ailleurs pas être le seul à me poser la question. « C’est … délicat comme situation. » Qu’est-ce qui était délicat ? Je n’en savais strictement rien mais je ne doutais pas qu’elle allait me donner une réponse plus précise dans quelques secondes, elle ne semblait pas avoir sa langue dans sa poche après tout et c’était une chose, peut-être même la seule, que j’appréciais chez elle à l’heure actuelle. « Elle … était comment ? » Sur le moment je m’étais refermé sur moi-même mais dans un autre sens je comprenais très bien qu’elle puisse avoir envie d’en savoir plus. Etais-je pour autant capable de parler de Lucy sans fondre en larmes ? J’y étais difficilement parvenu depuis son décès en avril dernier mais je ne savais pas si le fait d’en parler en détails n’allait pas me retourner de l’intérieur et faire se briser une carapace déjà bien fragilisée par mon passé. Prenant une grande inspiration j’avais relevé la tête pour la regarder dans le miroir. « Elle s’appelait Lucy… Elle avait 22 ans, c’était ma sœur jumelle ! » Voilà une bonne étape de franchie. « Elle n’a jamais vraiment eu de chance, nous n’avons jamais connu nos parents et elle était en quelque sorte l’optimiste, celle qui avait toujours de l’espoir nous concernant alors que nous enchainions les familles d’accueil et qu’aucune ne nous adressait la tendresse dont nous avions besoin en étant enfants… Elle a toujours été étouffée par notre situation, elle aurait aimé faire des études à l’université, en droit… Mais elle s’est contentée d’un travail de femme de ménage dans un lycée pour qu’on puisse s’en sortir financièrement. » Je m’étais mordillé la lèvre, n’étant pas sûr de pouvoir poursuivre. « Elle m’a convaincu d’aller faire de l’escalade sur un sentier qui n’était pas encadré, elle est tombée et a fait une hémorragie cérébrale. Les médecins ont réussi à la stabiliser mais elle n’avait plus la moindre activité cérébrale donc… Voilà… J’ai dû prendre les décisions difficiles ! » Je m’étais arrêté là, je ne pouvais pas en dire davantage de toute manière.

Il m’observe à travers le miroir. Je ne sais pas s’il fait cela car il ne veut pas me regarder directement ou bien si le fait de parler de sa sœur le rend fébrile au point de ne pouvoir discuter en toute sincérité sans verser une larme. C’est ça, je suis certaine qu’il a peur de verser une larme devant moi, devant les caméras. Je peux le comprendre. Ce n’est pas un sujet facile. Je me demande même pourquoi j’en viens à aborder ce sujet maintenant. Peut-être parce que je pense qu’il ne va pas m’envoyer bouler comme la toute première fois justement en raison de la présence des caméras. « Elle s’appelait Lucy… Elle avait 22 ans, c’était ma sœur jumelle ! » Sa sœur jumelle ? 22 ans ? Je peux comprendre qu’il soit touché à ce point. Ils devaient très certainement être fusionnels, comme une grande partie des jumeaux. Lucy est un très joli prénom. Encore une fois je me mets à sourire, mais je me rétracte bien vite lorsqu’il continu sur sa lancée. « Elle n’a jamais vraiment eu de chance, nous n’avons jamais connu nos parents et elle était en quelque sorte l’optimiste, celle qui avait toujours de l’espoir nous concernant alors que nous enchainions les familles d’accueil et qu’aucune ne nous adressait la tendresse dont nous avions besoin en étant enfants… Elle a toujours été étouffée par notre situation, elle aurait aimé faire des études à l’université, en droit… Mais elle s’est contentée d’un travail de femme de ménage dans un lycée pour qu’on puisse s’en sortir financièrement. » Il me parle un petit peu d’elle, de sa vie et de ses envies. Je me rince la bouche et pose ma brosse à dent pour lui montrer qu’il a toute mon attention. Je ne veux pas faire de commentaires. Je veux voir s’il a terminé avant. « Elle m’a convaincu d’aller faire de l’escalade sur un sentier qui n’était pas encadré, elle est tombée et a fait une hémorragie cérébrale. Les médecins ont réussi à la stabiliser mais elle n’avait plus la moindre activité cérébrale donc… Voilà… J’ai dû prendre les décisions difficiles ! » Les circonstances de sa mort sont vraiment désagréables à entendre et très certainement désagréables pour lui d’en parler. Une petite moue compatissante prends place sur mon visage alors que je l’observe, moi aussi, à travers le miroir. Il semble si froid d’habitude que je ne sais pas si je dois lui avouer que je suis vraiment désolé pour tout. « C’est elle qui a voulait donner ses organes ou bien c’est une décision de ta part ? » Je me doute de la réponse, mais je ne peux m’empêcher de la question. Je trouve ça tellement important que soudainement je me fiche complètement de lui rappeler ce moment-là, la douleur qu’il a dû ressentir. Si lui a besoin de ne plus penser à ça, moi j’ai besoin de connaître la vérité. Je l’observe avec insistance. Il peut bien m’envoyer valser s’il le veut, mais j’ai un début de résultat dans mes recherches alors hors de question que je baisse les bras maintenant.