W. ORSON.

Matinaux (c’est le cas de le dire, il est sept heures du mat’), Orson et moi occupons les douches encore désertes. L’avantage principal est que nous avons eu droit à deux lieux séparés sans être forcés de nous doucher l’un contre l’autre : Orson a pris la grande baignoire, j’ai pris la douche. Le bas du corps enveloppé dans des larges serviettes, le torse nu, nous entreprenons de nous raser face aux miroirs, côte à côte. Encore un point commun qui nous unit (décidément) : on ne se rase pas au rasoir mais bien au couteau, tous les deux. Je déplie le mien tandis qu’Orson fait déjà tournoyer son blaireau dans la mousse. « J’ai eu l’occasion (très furtive, par contre) de rencontrer Donia », je dis sur le ton de la conversation en mouillant à mon tour la mousse dans son petit pot. « Elle est belle », j’affirme sur un ton léger. Des belles femmes, j’en ai déjà vues, ça n’a rien d’un scoop, et n’ayant plus quinze ans, je dois dire que le remarquer ne me fait pas entrer en transe pour autant. « C’est pour ça que ça n’a pas fonctionné entre vous ? » Je lui jette un coup d’œil en biais, croise son regard et lui souris. Il n’est pas aisé de faire perdurer l’amour avec une femme que tous les hommes désirent et qui se sait désirable. J’imagine qu’elle a eu des centaines d’occasions de renoncer à lui, de le tromper, comme c’est souvent le cas des femmes trop belles qui sont trop demandées. Je ne pense pas que ma question heurtera Orson, il sait que je la pose comme je pourrais lui demander n’importe quoi d’autre, parce que c’est lui qui m’intéresse, pas son ex copine. Son ressenti, ses blessures, fermées ou ouvertes. Et on peut dire qu’en matière de problèmes de couple, à mon grand regret, je suis passé expert.

Il était à peine sept heures du matin quand ils entrèrent dans la salle de bain. Le silence qui entourait les lieux l'aidait à émerger en douceur. Ils se posèrent face aux miroirs, se préparant au rituel du rasage quotidien de façon plus classique. C'est le blond qui engagea la conversation en lui parlant de sa rencontre avec Donia. Elle est belle, dit-il. Il acquiesça avec détachement. Était-ce la cause de leur séparation, qu'il demandait. Il garda son calme et répondit posément : - Entre autres. La beauté avait envoûté tant d'autres avec lui. Hommes et femmes confondus. Il croisa son regard et fronça légèrement les sourcils. Il reporta son attention sur son bol à raser dans lequel il continuait remuer le savon à raser pour qu'il ait une texture plus onctueuse, se transformant peu à peu en mousse. Il se tourna de nouveau vers son voisin. Fébrile, il se saisit du coupe chou avec poigne. - C'est en partie de ma faute. Je l'ai poussé à bout., dit-il  avec amertume. Depuis leur rupture, tout s'était alors éclairci dans son esprit. Le problème ne venait pas seulement de Donia, mais de lui aussi. En grande partie, reconnaissait-il. A l'époque, il était un type instable et irascible. Son tempérament bilieux avait été la cause de leurs fréquentes disputes. Il ne supportait pas qu'on le contredise, qu'on lui tienne tête. Il se badigeonna de mousse à l'aide du blaireau sur le bas du visage, des joues au menton.  - Notre relation a été vouée à l'échec dès le départ de toute façon. Ils ne voulaient pas les mêmes choses dans la vie. Beaucoup de choses les séparaient. Il formait un couple incompatible et fusionnel. Donia avait l'esprit bohémien. Quant à Orson, il était ambitieux. Trop ambitieux. Il réussissait toujours à obtenir ce qu'il voulait dans la vie. Son idylle avec la brune avait été un échec total. Ce n'était pas tant le cœur qui avait été atteint, mais l’ego. L'infidélité de son ex avait été le coup de grâce.