Sayid doutait d'avoir un jour véritablement compris la signification du verbe zoner, avant d'avoir intégré cette émission. Jamais encore il n'avait eu autant l'impression de voguer d'une pièce à l'autre sans savoir quoi faire de sa personne, pas même pendant son séjour au centre de rééducation et pourtant dieu sait que les journées lui semblaient interminables là-bas. Mais ici c'était pire, surtout quand on avait comme lui tant de facilité à supporter les autres ... ahem. Il ne faisait que cela depuis le milieu de la matinée, depuis que les autres candidats avaient commencé à émerger les uns après les autres, troublant le calme du début de journée, celui qui continuait à persuader Sayid de se lever tôt chaque matin. Il tournait en rond, cherchant désespérément une façon de s'occuper qui lui paraisse un tant soit peu utile mais sans non plus tomber aussi bas que Mylah par exemple ... Il avait beau s'emmerder, prendre de l'avance sur sa lessive ou bien faire la vaisselle que certains avaient laissé trainer dans les éviers des cuisines c'était au-dessus de ses forces.Et puis il était encore tôt, bon nombre de candidats trainaient encore aux cuisine ou au restaurant et c'était une raison suffisante pour que Sayid préfère se retirer ailleurs, là où ses chances de rencontrer quelqu'un seraient moindres. Dans cette optique de solitude la salle de bal lui semblait être une solution de repli idéale, parce qu'en dehors des annonces de nominations ou autres interventions de Cupidon il ne voyait pas trop ce qu'on pouvait avoir envie de faire là-bas. Mais aujourd'hui c'était centre aéré à priori, du moins c'était l'impression qu'avait eu Sayid en arrivant dans la pièce pour trouver Lamine en train de faire du découpage. « Ah, Sayid ! tu viens m'aider à faire mes poissons d'avril ? » Ses poissons d'avril ? Oh. Il avait presque oublié cette histoire de premier avril, fait tout à fait étonnant pour quelqu'un comme lui, qui semblait à ce point déborder d'humour, n'est-ce pas. Il n'avait en tout cas pas eu le temps de formuler une véritable réponse à cette question que déjà le français embrayait « Ah bah écoute c'est super sympa, parce que comme tu peux le voir il en reste encore pas mal à découper et bon, j'ai pas quatre bras quoi. en tout cas c'est cool hein, merci vieux. » Sayid avait ouvert la bouche, le sourcil froncé et l'air renfrogné, comme pour protester ... et puis finalement, avant même d'avoir dit quoi que ce soit il avait abdiqué. Parce qu'il venait d'en arriver au triste constat qu'il n'avait rien de mieux à faire, à vrai dire ... et puis la compagnie de Lamine n'était pas la pire, au fond. Il donnait moins la migraine à Sayid que la brochette de candidats semblant nés avec une cuillère en or massif dans le gosier, et il avait l'air moins bavard qu'une Sailor ou une Gigi. Pas que Sayid ne leur reproche quoi que ce soit, mais parfois il aurait bien aimé leur apprendre les vertus bienfaitrices du silence, aussi. Soupirant donc tel le mec qui ne pouvait pas lutter contre son destin, il avait attrapé une paire de ciseaux en se risquant tout de même à demander « Tu es vraiment sûr que tu as besoin de tout ça ? » Parce que là y'avait largement plus d'un poisson par personne, y'avait plutôt de quoi s'acharner bien comme il le fallait sur les candidats les plus crédules du nid. Ou sur ceux qui, comme Sayid jusqu'à il y avait encore quelques secondes, n'avait aucunement conscience du fait que nous étions le premier avril. « Donc t'as une paire de ciseaux ici, du papier là s'il faut réapprovisionner ou faire quelques retouches, et voici le modèle. ça va j'ai déjà tout dessiné, y'a vraiment plus qu'à découper. mais proprement hein ! allez, à toi de jouer champion ! et y'a des feutres aussi si tu veux, pour décorer parce qu'avec des couleurs c'est évidemment mieux, moi en tout cas je préfère. voilà, voilà, j'me tais et je te laisse bosser. » Ah mais c'est qu'il était vraiment à fond là, le Lamine, à se demander s'il n'avait pas soudainement échangé de personnalité avec Sailor presque. Et le plus con dans l'histoire c'était peut-être bien Sayid qui s'était donc mis docilement à découper, bien que non sans avoir fait remarquer au préalable « Je ne sais pas si tu as prévu de me laisser faire ça tout seul mais n'y pense même pas. » Parce qu'il le voyait bien venir là, avec la formulation de sa phrase, et dans cinq minutes ce serait "je reviens dans deux minutes je vais chercher à boire" et il se retrouverait comme un imbécile à découper des poissons en papier tout seul pendant une heure. C'était peut-être bien ça, le vrai poisson d'avril. « Tu sais, je pense que tu vas devoir choisir tes victimes avec soin. Certains candidats n'ont pas beaucoup d'humour. » Et à la façon laconique dont Sayid venait de dire ça, on ne se doutait pas du tout qu'il se comptait dans le lot, là. Même si bon, il était assurément loin d'être le seul ... Par exemple, on ne décelait à priori pas vraiment de fibre humoristique chez un Gekko ou une Mylah. « Tu songes à te reconvertir en moniteur de centre aéré ? » Parce que c'était ce à quoi cela ressemblait, là. Mais c'était une voie professionnelle comme une autre, d'autant plus que Sayid n'avait jusqu'à présent pas trop compris ce que faisait Lamine dans la vie, au juste. Il avait - vaguement - cru comprendre qu'il était mordu de jeux vidéos, mais ... ce n'était pas un métier ça. Pas selon Sayid en tout cas.

Y'avait des tas de poissons, bien plus que de candidats, alors soit Lamine avait vu un peu grand soit il avait prévu de noyer les autres sous les poissons, auquel cas Sayid préfèrerait sans doute que sa participation là-dedans reste un secret, hm ... Manquerait plus que certains s'imagine qu'il avait un sens de l'humour, après. Douteux, mais tout de même. « Oui j'ai pas su m'arrêter en fait, du coup vaut mieux découper les mieux dessinés. tu peux voir que certains sont plus réussis que d'autres. » Oui, enfin non, Sayid ne voyait pas vraiment la différence entre un poisson ou un autre à vrai dire, pour lui cela revenait un peu au même, mais Lamine semblait tellement à fond dans son histoire de découpage que le britannique avait préféré se contenter d'acquiescer d'un vague signe de tête pour lu faire plaisir. On appelait ça la diplomatie, parait-il. Et puis bon probablement qu'il espérait aussi échapper aux blagues de Lamine en se faisant assistant, certes. Assistant parce qu'il était bien entendu évident que Sayid ne comptait pas s’acquitter de cette tâche tout seul « Maaais non qu'est ce que tu vas t'imaginer là ! c'est un travail d'équipe je prévoie pas de me barrer t'inquiète. Et puis je veux garder un oeil sur toi au cas où tu fais des bêtises. » Sayid s'était interrompu dans la découpe de son poisson, scrutant Lamine d'un air curieux ... parce qu'une fois encore il devait chercher, réfléchir pour essayer de déterminer si oui ou non il avait affaire à du second degré. Essayant donc de ne pas paraitre trop suspicieux il avait répondu « Je vais essayer d'être raisonnable, alors. » et puisque l'on avait de toute façon aussi du mal à distinguer quand il était sérieux ou non tant il était du genre pince sans rire, cela ne faisait pas grande différence. En parlant de ça d'ailleurs, Lamine n'était peut-être pas au courant mais dans cet hôtel tout le monde n'avait pas fait l'école du rire et certains arriveraient limite à faire pleurer un clown. Même pas sûr que Sayid soit le pire du lot, et pourtant il avait déjà du niveau. « Ah non les plus coincés font partie de mes cibles eux aussi ! Ces gens-là sont un mystère pour moi et si quelqu'un peut réussir à leur retirer le balai qu'ils ont dans le cul, je crois que c'est bibi. » Faut dire qu'il y avait quand même un sacré fossé entre ne pas avoir d'humour du tout, et avoir un humour de gosse de primaire à vingt-cinq piges et des poussières ... Mais soit, la production avait peut-être cherché à équilibrer « Je t'ai aidé à découper, je veux une immunité. » Une immunité contre la blague à coup de poiscaille collé dans le dos, il entendait. Et comme avec sa poisse habituelle ce serait de toute façon probablement le seul genre d'immunité qu'il récolterait dans cette émission il ne comptait pas passer à côté. Bref, pour le moment ils en étaient de toute façon encore à découper, en suivant les lignes et en s'appliquant, une activité fort sympathique qui pourrait éventuellement rappeler des souvenirs à Sayid s'il avait fréquenté un centre aéré plus jeune ... sauf que non. Pour ça il aurait au moins fallu que papa lâche un peu la bride, et ce n'était clairement pas dans ses prérogatives. Mais si Lamine cherchait à se reconvertir en revanche c'était toujours envisageable « Ah bah écoute, quand mes vidéos n'intéresseront plus personne et que je serai boudé dans le monde du gaming, j'y penserai ! » Preuve supplémentaire qu'aux yeux de Sayid Lamine ne faisait pas un "vrai" métier, il n'avait pas compris un traitre mot de ce qu'il venait de dire ... Mais parce que le britannique savait aussi, de temps à autre, faire preuve de bonne volonté il avait fait remarquer « Tu me parles chinois, là. Je ne sais même pas utiliser twitter. » en espérant que Lamine comprendrait tout seul qu'il lui demandait en fait d'expliquer un peu. Son métier, pas twitter, ça il avait définitivement lâché l'affaire après le seul tweet que Claudia l'avait poussé à faire, exploit qu'il ne serait pas capable de reproduire tout seul parce que, c'est vrai, il n'avait pas mis beaucoup de bonne volonté dans le fait d'écouter les explications. « Tu t'en sors ? J'ai oublié de te dire que cet atelier découpage était une formation diplômante express ! Bon j'ai pas le budget pour t'organiser une remise de prix, le diplôme est également inexistant pour le moment mais eh, tout à l'heure tu seras officiellement spécialiste de la découpe aux ciseaux, si c'est pas beau ça. » Il parlait toujours autant, comme ça ? Y'avait presque de quoi concurrencer Sailor, là. « Si jamais tu trouves que je parle trop pour rien dire, me réponds pas et normalement je devrais la mettre en veilleuse très vite. » ... Est-ce que Sayid venait encore de penser à voix haute sans s'en apercevoir ? Cela lui arrivait tellement souvent, et contre sa volonté, que maintenant il ne savait plus trop faire la différence entre les fois où il parvenait à garder ses pensées pour lui et les fois où elles quittaient malencontreusement sa bouche. « Ce n'est pas de parler trop, qui est un souci. » avait-il alors fini par préciser, tenter d'expliquer « Mais je ne sais pas faire la conversation. Je n'en ai pas vraiment besoin, habituellement. » Alors il écoutait, même quand il donnait l'impression que non, mais il ne savait pas quoi répondre. Parce que là où il vivait les gens qu'il côtoyaient avaient fini par comprendre que son silence n'était pas simplement du désintérêt ou de l'indifférence, et que Sayid ne se sentait pas obligé d'être loquace simplement pour le principe. Et puis ses singes, eux, n'avaient pas besoin de mots pour communiquer, c'était plus simple.