“ singing my life with his words,
killing me softly with his song ”

feat. orson

De toutes les choses que l'on pouvait parfois raconter au sujet de Freddie, il est vrai qu'il arrivait que l'on soit tenté de dire qu'elle n'était pas tout à fait saine d'esprit. Disons qu'elle avait parfois une imagination un peu trop débordante et une capacité assez remarquable à se fourrer dans d'incongrues situations. Mais surtout, elle aimait parfois contourner la morale et agir moins raisonnablement qu'on l'attendrait de sa part, surtout lorsqu'elle était susceptible de trouver le temps long. Et justement, en cette après-midi, l'anglaise ne savait pas tellement quoi faire de ses dix doigts et avait ainsi développé l'envie de leur trouver une occupation peu singulière. C'est alors qu'il lui vint une impensable idée. Jugeant sans mal que sa vie à l'extérieur commençait à lui manquer et sachant pertinemment qu'elle avait toujours fait passer son travail en premier, qu'ainsi donc c'était très logiquement la chose qu'elle se tardait le plus de retrouver, Freddie décida de se lancer dans un semblant de jeu de rôles qui la ferait très certainement passer pour une folle aux yeux de ses camarades et des téléspectateurs, mais qui lui donnerait l'impression, un court instant, de ne pas être si éloignée de son quotidien que ça. Alors elle se rendit tout d'abord dans la cuisine, s'empara d'une boite de conserve d'une façon très hasardeuse, de ce qui lui permettrait de l'ouvrir également, puis prit la direction de la salle de bain, pénétrant bien vite dans la douche de celle-ci, pourtant encore toute habillée. Et pour cause, elle n'avait pas l'intention de s'y doucher. Non, à la place, elle saisit son ouvre-boite et répandit le contenu de ce qu'elle tenait sur les parois de la douche. Fière d'elle, elle en ressortit, se posta face à son œuvre et attendit la première intrusion pour commencer son cirque. L'heureux témoin de sa folie mentale serait alors Orson, qui y réfléchirait sûrement à deux fois avant de rentrer ici à l'avenir. « La victime est une boite d'haricots rouges, de marque, entre 500 et 550 grammes, probablement là depuis peu de temps. » qu'elle énonça alors, sur un ton tellement convaincu qu'il en deviendrait presque préoccupant. « A en juger par la façon dont s'étendent les éclaboussures, j'aurais tendance à supposer que le meurtrier a agi avec l'intention de donner la mort. Peut être avaient-ils un passé commun, peut être lui aura-t-elle donné une raison d'en arriver là … Quelque chose a du déclencher ce passage à l'acte, mais quoi ? C'est ce que nous allons tâcher de découvrir. » Que Pierre Bellemare se tienne près, il allait devoir enchainer là, hm.

A ma grande surprise, je peux être paresseux quand l'envie me prend. Et pour cause, je n'ai fais que de traîner au lit toute la journée. Cela s'est prolongé en début d'après-midi. L'enfermement me fatigue de jour en jour et ce, de façon considérable. J'ai l'impression de me laisser aller, ces derniers temps. Le travail me manque, je l'avoue. A part lire ou croquer, je replonge dans un ennui mortel. Aujourd'hui ne fait pas exception et cela se répercute sur mon humeur du jour. Pour me changer les idées, je me suis baladé dans la forêt après le thé. Histoire de me dégourdir les jambes. L'automne est là, avec des feuilles de feu dans les arbres et au sol. Le temps s'est couvert. La pluie s'est abattue alors sur le domaine. Je me suis dépêché de rentrer au chaud. J'arrive dans la salle de bain, prends une douche rapide et me sèche. Je m'habille dans la pièce d'à côté. Je reviens au lieu précédent pour chercher ma montre. Puis, j'entends une voix m'interpeller. Freddie, pensai-je. Je m'avance vers la candidate et découvre alors le mur recouvert d'une teinture étrange. Je hausse un sourcil interrogateur. L'anglaise se met à parler de boîtes de haricot en employant des termes propres aux journaux d'investigation. J'ignore ce qu'elle a en tête, cette fois-ci. A chacun de nos rencontres, elle parvient toujours à me surprendre. Dans le bon sens, je veux dire. Je ris légèrement et me prends au jeu. - Hmm. En plein réflexion, je contemple quelques instants cette éclaboussure de rouge sur la paroi carrelée. On dirait une fresque, avec ce jet rougeâtre sur une surface polie et lisse. Il va s'en dire que cet acte de vandalisme dégage un certain sens artistique. Que l'acte soit prémédité ou purement fortuit, là n'est pas la question. Des haricots rouges, je crois, en les examinant de plus près. Je me tourne vers mon interlocutrice et lui dit : - Des idées, inspecteur ? Je présume que ce crime ne restera pas impuni. La jeune femme se fera un plaisir de résoudre ce mystère des plus étranges. Je la suspecte d'un élan de folie causée par l'ennui. Mais je joue le jeu pour entrer dans le rôle de Docteur Watson tandis que la version féminine de Holmes tente de résoudre un énième crime. - Pour l'arme du crime, je dirai un ouvre-boite de toute évidence. Mais la boîte n'a pas pu s'ouvrir toute seule, si ? Celui qui l'a ouverte est sans doute encore dans les parages, je dirai. Simple supposition. Il se peut que j'ai tort sur ce point. Mes talents d'observateurs sont piètres, comparés à ceux de la jeune femme qui doit avoir une intuition plus aiguisée que la mienne. Je suis là uniquement pour l'assister dans cette affaire.

Cette semaine, c'était manifeste, Freddie s'ennuyait. Sans doute sa petite vie commençait-elle sérieusement à lui manquer et cet environnement ne l'occupait-il plus autant qu'elle le voudrait. Il était alors peu surprenant qu'elle cherche à se distraire comme elle le pouvait, elle qui allait certainement passer sa semaine à ça. Car de toutes les idées saugrenues qu'elle avait eu, celle de constituer une scène de crime en faisant d'une boite de haricots une victime à qui rendre justice, clairement, ça n'était pas loin d'être la plus critique du genre. Aussi, il est évident que cette mise en scène n'aurait eu aucun intérêt si elle était restée seule face à la douche éclaboussée, qu'ainsi donc la venue de l'un de ses camarades lui donna d'autant plus envie de jouer son petit délire, d'autant plus qu'il s'agissait ici d'Orson, à savoir de quelqu'un qu'elle croyait connaître suffisamment pour qu'il ne la juge pas trop facilement. Quoi qu'il en soit, vous pensez bien qu'elle avait conscience de l'absurdité de la situation mais que ça ne risquait pas de la dissuader de continuer dans ce sens, comptant donc impliquer son camarade dans l'élucidation de cette affaire, lui qui saurait certainement s'amuser de tout ça. Lui communiquant alors les premières informations qu'elle avait été en mesure de déterminer, elle perçut toute la perplexité de son camarade, tandis que celui-ci souhaita savoir si elle avait déjà quelques idées quant à tout ça, l'honorant du titre d'inspecteur, ce qui la fit sourire. « Je ne serais pas étonnée d'avoir ici à faire à un crime passionnel. Une histoire dont la fin aurait été tragique, expliquant l'implication personnelle que j'ai perçu dans la façon dont a du être commis l'homicide. La jalousie, le désir d'appartenance, la peur de l'abandon ... tant de sentiments qui conduisent parfois au pire, même au meurtre de l'être aimé. » Et on en oublierait presque, du coup, qu'elle parlait ici du 'meurtre' d'une boite de haricots rouges. C'est qu'elle se prenait facilement au jeu, et pouvait se laisser gagner par son rôle. De toute façon, Orson ne s'étonnerait plus de rien venant d'elle, c'était maintenant certain. Celui-ci y alla alors aussi de sa petite supposition, concernant l'arme du crime, ainsi que sur le responsable. « En effet, ça me semble bien pensé. Comme toi, je pense que le coupable n'a pas pu aller bien loin. L'idéal aurait été d'avoir des témoins, hélas j'ai bien peur qu'on doive faire sans. » C'est que généralement, oui, les témoignages de témoins facilitaient grandement l'identification des coupables, mais ici, à moins d'aller jusqu'à interroger le gel douche, hm ... « Qui peut bien avoir un passé amoureux avec la victime ? D'instinct, je soupçonnerais une boîte de lentilles, on dit dans le milieu qu'elles prennent tout vachement à cœur et qu'un rien prend avec elles des proportions démesurées ... En se débrouillant bien, il n'est pas exclu que l'une d'elles ait su manipuler un ouvre-boîte. » Et puis, c'est bien connu, lentilles et haricots avaient toujours eu des atomes crochus. Non vraiment, elle allait finir par s'inquiéter elle-même à ce train-là.