C’est l’heure fatidique où tout le monde y va de sa petite préparation personnelle pour le prime. C’est pas comme si les yeux des caméras, de la prod et du public étaient rivés sur nous en permanence, hein, mais il faut croire que le côté « soirée » de la chose incite les uns et les autres à se faire plus beaux que jamais. Je me faufile entre les corps, les robes de soirées, les odeurs de parfums qui se mélangent à celles de la poudre et du maquillage féminin, à la recherche de ma partenaire. J’ai le jean encore ouvert, la chemise déboutonnée, les cheveux mouillés parce que je viens de sortir de la douche, mais peu importe, je ne réalise que maintenant qu’il est impératif que je dise à Freddie ce que j’ai à lui dire avant que le prime commence. Pourquoi ? Parce que devant tout le monde, sur le plateau, je sais que je ne le lui dirai jamais. Je viens d’ailleurs à peine d’y penser alors que je sais depuis jeudi qu’elle est sur le banc des nominés, pour vous donner une idée de ma lenteur à ce sujet. J’ose pas, tout simplement. Freddie et moi on ne se parle qu’en déconnant, on ne se dit jamais rien de sérieux, alors… Mais je sais que si je ne le dis pas, je le regretterais. Alors je la cherche, inlassablement, mon regard tombe puis dénigre automatiquement toutes celles qui ne sont pas elles, et j’entre sans gêne dans la chambre, au milieu de certaines filles à moitié nues que je ne remarque pas, me faufile dans le dressing et la trouve enfin. Au fond de la minuscule pièce, deux chemises garçonnes dans les deux mains, semblant hésiter entre l’une et l’autre. Je me pointe devant elle, nous sommes déjà trop à l’étroit à deux dans cette antre étroite, je n’avais pas besoin de ça, moi qui suis à cet instant plus gêné qu’un ado qui va taper sa petite déclaration. Et merde. Freddie lève les yeux sur moi, son air rieur toujours à l’affut de la vanne que je vais sortir, sauf que ce soir, je n’ai pas de plaisanterie sous le coude. J’ouvre la bouche pour déclamer ce que j’ai dans l’idée, mais rien ne sort, alors je baisse les yeux jusqu’à ses chemises, les observe toutes deux et en désigne une – la plus jolie selon moi – du menton. « Celle-là. » Je repose mon regard sur elle, prends mon inspiration. Pourquoi ça veut pas sortir alors que c’est rien, rien du tout à dire ? Allez, Celse, t’as plus douze ans mon vieux… « Juste pour te dire… » Ouais, super. Non mais honnêtement, t’avais pas pire comme entrée en matière ? La ferme, le cerveau. « Mon instinct ne me trompe jamais. C’est toi que je voulais comme partenaire, et si tu pars ce soir… » Non, ça, c’est pas envisageable. Si, ça l’est, abruti, puisqu’elle est nominée et que tu le sais parfaitement. « … Je ne veux pas d’autre partenaire que toi. » Mon regard se détourne pour se poser quelque part au-dessus de son épaule, où il n’y a … absolument rien à regarder, oui. « C’est cool avec toi. Tu es… simplement… » Mais allez ! « La partenaire idéale, en fait. » Je glisse mes deux mains au fond de mes poches, oubliant totalement que mon jean n’est pas boutonné et qu’à y enfoncer comme ça mes mains, je risque de me retrouver en caleçon. Sympa pour un message d’au revoir, non ? J'ai l'air con, je le sais, mais mieux vaut que ce soit dit, parce que si elle part ce soir, une fois sur le plateau, je me contenterais de lui faire la bise et de lui souhaiter bonne chance dans la vie, je me connais.

Le prime débuterait d'ici une petite heure, et celle-ci était justement aux habillages, comme c'était en fait le cas chaque dimanche, aux environs de la même heure. Freddie, comme chaque fois, ne comptait pas mettre ce temps à profit pour en faire plus qu'il ne le faudrait selon elle, ne voyant toujours pas l'intérêt qu'il y aurait à mettre le paquet pour ressembler à autre chose qu'à une candidate tout juste disposée à jouer le jeu et à ne pas avoir l'air de se rendre au prime avec un air trop je-m'en-foutiste. Elle n'était pourtant pas beaucoup plus que ça, elle qui peinait il est vrai à se sentir relativement concernée par tout ça, tout simplement parce que ça n'était pas ce à quoi la vie l'avait habituée, que les soirées du genre, ça ne la connaissait absolument pas avant qu'elle ait mis les pieds dans cette aventure. A noter que ce soir, d'ailleurs, la jeune femme risquait sa place. Nominée depuis jeudi, sans que c'eut été une quelconque surprise pour elle, l'anglaise risquait de quitter l'aventure d'ici quelques heures, et bien que ça n'était pas une source de préoccupation suprême pour elle, il est certain qu'elle n'était pas aussi confiante qu'elle pouvait en avoir l'air. A cet instant, en tout cas, c'est dans le dressing que la candidate se trouvait, hésitant plus ou moins entre deux chemises à porter, pas parce qu'elle était réellement en plein doute mais parce qu'elle était assez pensive, tout de même. C'est alors que son partenaire arriva dans son champs de vision, sans qu'elle s'en étonne vraiment, mais pas sans qu'elle s'en réjouisse intérieurement, étant donné que la présence de Celse, à cet instant, lui était mine de rien d'un certain réconfort, expliquant alors la moue souriante qui se dessina sur ses lèvres. Il lui conseilla alors d'opter pour l'une des deux chemises, ce qui la fit sourire d'autant plus, parce qu'elle avait le sentiment qu'il s'était servi de sa pseudo-hésitation pour placer cette réplique mais qu'il n'en avait nullement l'intention au départ. Après tout, ils n'avaient pas pris l'habitude de jouer les conseillers en stylisme de l'un et l'autre. « C'est celle que j'aurais fini par choisir » souffla-t-elle alors, sans ajouter qu'il la connaissait bien, au final. Bien sûr qu'ici, il était celui qui pouvait prétendre la connaître le mieux, sans vraiment la connaître en fait, parce qu'ils avaient eu une façon bien à eux de s'apprivoiser. C'est alors qu'il reprit la parole, laissant planer un certain suspens après le début d'une phrase qui pouvait mener à divers aveux, sans qu'elle sache au départ ce qu'il pouvait bien vouloir lui dire. Et puis elle comprit, bien sûr, lorsqu'il reprit. Elle comprit qu'il voulait lui dire maintenant, loin de l'agitation du prime, tant qu'ils étaient au calme, ce qu'il avait sur le cœur. Ses propos la touchèrent, mais elle se garda bien de le montrer. Ce n'était pas maintenant qu'elle se dévoilerait, parce qu'il suffirait qu'elle ait une petite chance de rester ce soir pour qu'elle le regrette ensuite. Elle ne voulait pas lui apparaître comme autre chose que ce qu'il avait vu jusqu'à présent, néanmoins elle n'était pas insensible à ses paroles. Il parla d'une 'partenaire idéale', et bien qu'elle ne se reconnaisse pas en ces termes, ça la ravissait de savoir qu'il la voyait ainsi, bien sûr. « Si je pars ce soir, tu auras une autre partenaire, mais personne ne te forcera à l'aimer autant que tu as aimé la précédente, rassure-toi. D'ailleurs, moi je te l'interdis » qu'elle glissa alors, sur un ton qu'il lui connaissait bien, comme si elle avait inévitablement besoin d'en passer par un trait d'humour avant d'adopter un ton un peu plus sérieux. « Et si tu me vois comme la partenaire idéale, c'est plutôt une bonne chose, parce que ça signifie que je t'arrive presque à la cheville, mine de rien » qu'elle reprit, plus sérieuse qu'on le penserait, insinuant bien sûr que là où il la voyait comme la partenaire idéale, elle était comme incapable de mettre un adjectif sur le genre de partenaire qu'il était, lui, tant il était pour elle d'une grandeur inestimable à ce niveau-là. « Et si je pars, ce sera avec quelques regrets, inévitablement, mais surtout avec la satisfaction d'être tombée sur le seul partenaire qui me correspondait vraiment, sur le seul à avoir été parfaitement conditionné pour m'accepter telle que j'étais. Plus qu'une satisfaction, à mes yeux, ce sera surtout une fierté. » Et elle ne disait pas ça avec les larmes au bord des yeux, la lèvre tremblante et la respiration haletante. Non, elle le disait avec cet air faussement serein qu'elle maniait à la perfection, avec ce regard tout juste concerné avec lequel elle pouvait tromper son monde et de cette voix presque monotone, minimisant peut être la sincérité de ses dires, sans que ce soit grave toutefois, puisqu'en partenaire plus qu'idéal, Celse saurait comment interpréter cet aveu, elle n'en doutait pas.