Je crois qu'au bout d'une semaine passée ici j'avais eu le temps, petit à petit, de me construire une sorte de routine. Et je devais bien avouer que c'était une sensation extrêmement reposante, peut-être parce que la routine n'était d'ordinaire pas quelque chose auquel je sois habitué ... Mais après tout, je crois que si j'avais recherché la routine je me serais assurément tourné vers une autre carrière que la mienne. J'essayais de prendre cette parenthèse comme des vacances, bien que ce ne soit pas le but premier, et dans un cadre aussi idyllique que celui-ci je n'avais pas trop besoin de me forcer. Mais j'allais me mettre au boulot, bientôt. Demain, ou peut-être même ce soir. Allez, ce soir, une fois que je me serais rempli l'estomac cela devrait pouvoir se faire. Du coup, j'avais pris le chemin de la cuisine sur le coup de dix-neuf heures trente ; Cela faisait de toute façon dix bonnes minutes que Tixy me tournait autour, elle savait très bien que c'était vers cette heure-ci que je lui donnais à manger depuis le début de la semaine (quand je parlais de routine, justement). Ces animaux étaient vraiment tous les mêmes, de vrais estomacs sur pattes. Ce qui changeait des autres jours de la semaine en revanche, c'était la présence de Sido. J'avais retenu son prénom, ce qui était un exploit en soi, puisque j'en avais pour le moment retenu très peu. « Tu tombes bien toi. » Ah, vraiment ? Le hasard faisait donc bien les choses, et Tixy elle ne semblait pas mécontente de la compagnie qui occupait présentement la cuisine. Je ne l'étais pas non plus. « C'est tout moi ça, j'arrive toujours au bon moment. » que j'avais alors répondu en plaisantant, et en français moi aussi, un léger sourire sur les lèvres. Dieu que cela faisait du bien un peu de parler dans sa langue natale ; J'en avais trop peu l'occasion, pas seulement ici mais aussi quand je voyageais pour le boulot. Traversant la cuisine j'avais rejoint l'entrée du cellier, où j'avais rangé le paquet de croquette. Je pouvais le laisser en évidence celui-là, ce n'était pas comme les paquets de biscuits, personne ne risquait de venir piocher dedans à tout va. Sauf si nous avions parmi les candidats un mangeur de croquettes pour chat, mais avouez que c'était un peu léger, comme secret. « C'est l'heure de l'apéro. » m'apprend en tout cas Sido avec enthousiasme. Voilà qui sonnait joliment à mon oreille, apéro, et avouons que cela se mariait parfaitement bien avec le reste du décor ... Le soleil, la mer, et les journées à ne rien faire d'autre que buller gentiment. « Là tu m'intéresses encore plus. » Apéro, quoi. J'avais décidément bien fait de descendre et de succomber moi aussi à l'appel de mon estomac. Tandis que je passais la gamelle du chat sous l'eau elle m'avait ensuite demandé « Qu'est-ce que je te sers, mon joli ? » et sans vraiment prendre le temps de réfléchir à la question j'avais opté pour la solution de facilité « La même chose que toi, fais-toi plaisir. » De toute façon je n'étais pas difficile, je buvais peu mais je buvais un peu de tout. Déposant sa gamelle pleine dans un coin de la pièce, j'avais laissé la chatte engloutir son dîner, et étais allé me poser contre le plan de travail, observant Sido œuvrer à la préparation de ses verres « Et sinon, tu as d'autres talents cachés en plus de servir l'apéro ? Tu fais quoi dans la vie d'ailleurs ? » Autant en profiter pour se renseigner un peu, surtout que si y'avait bien un truc que j'avais retenu au fil de la semaine c'était qu'il y avait sur cet îlot une ribambelle de nationalités, d'âges et de métier. Mais je supposais que c'était ce qui intéressait la production, un mélange aussi hétéroclite que possible, c'était toujours plus intéressant.

La notion d'apéro à mes yeux, c'était surtout une chouette excuse de prendre un verre chez ces gens que l'on ne voyait parfois pas souvent, et avec qui on avait envie de rattraper un peu le temps perdu, de discuter, même si ce n'était qu'une demi-heure ... Du moins c'était mon cas. C'était rire sur le passé et imaginer le futur, avec ces gens de tous les âges, que je connaissais parfois depuis tellement longtemps que j'avais l'impression qu'ils avaient toujours fait partie de ma vie. Alors ici forcément, la chose était différente ... Mais pas forcément dénuée d'intérêt, parce qu'après tout il était de notoriété qu'on n'apprenait pas à connaître quelqu'un mieux que derrière un verre. « Bon, ça sera un margarita alors. » M'accoudant au plan de travail en la regardant s'affairer avec ses verres, j'avais levé un pouce en l'air pour signifier mon approbation. Les cocktails à base de tequila étaient généralement ceux que je préférais, alors elle était bien tombée. Et de toute façon peu importe ce qu'il pouvait y avoir dedans, refuser un verre qu'on se voyait proposé de cette façon aurait été totalement ridicule. S'interrompant tout de même un instant la voilà qui s'adressait à Tixy « Tiens, du lait pour toi, ma belle. » Un point supplémentaire pour elle ; Je préférais mille fois ça à ceux qui regardaient cette pauvre bête comme si elle était un envoyé de Satan dans le nid. Je comprenais qu'on ne soit pas trop animaux de compagnie mais enfin bon, elle se tenait tranquille jusqu'à présent ... « Je préfère te prévenir, elle a une très bonne mémoire. Demain à la même heure elle viendra certainement quémander pour en avoir de nouveau. » Bon et du coup dans tout ça, elle servait à boire au chat, elle me préparait à boire à moi aussi ... Alors j'étais presque obligé de me renseigner, de chercher à savoir si elle avait d'autres talents que celui de préparer les boissons dans sa manche. « J'ai plus d'une corde dans mon arc. » Tant de mystère pour une seule personne. C'était un peu frustrant et en même temps cela m'avait arraché un sourire, tandis que ma curiosité se trouvait forcément piquée. Et j'aurais mis ma main au feu que c'était justement ce qu'elle souhaitait « Sinon, je suis hôtesse de l'air. Et toi ? » Okay, donc elle avait un métier qui faisait rêver, en plus du reste. Et le genre de métier que l'on faisait généralement quand on était du genre à ne pas tenir en place et à avoir de l'urticaire rien qu'à s'imaginer travailler toute la journée au même endroit, derrière un bureau ... Et ça, inutile de dire que je ne le comprenais que trop bien. « Journaliste. Reporter. » Y'avait tout de même une nuance, un reporter n'étant pas juste un journaliste, et un journaliste n'étant pas forcément un reporter. Et je n'avais pas précisé dans quelle branche, mais c'était plutôt un oublie volontaire. Bref, j'aurais pu perdre encore du temps à vous expliquer cette nuance, mais au lieu de ça Cupidon sembla décidé à s'amuser un peu, à nos dépends cela allait de soi. J'avais comme l'impression que ce serait chose courante, d'ailleurs. Plantant mon regard sur Sido comme celui qui attendait de voir quelle serait sa réaction, je l'avais regardée se pencher au dessus de la table et j'en avais fait de même, mes lèvres rencontrant les siennes le temps d'un baiser impromptu, mais dont ni elle ni moi n'avions cherché à nous défiler. « Si tu voulais un baiser, il suffisait de demander. » qu'elle avait fini par me demander, après avoir retrouvé sa place et repris sa préparation. Haussant les épaules d'un air faussement innocent j'avais attrapé un gain de raisin dans la corbeille de fruits toute proche, avant de répondre « Pourquoi se fatiguer quand Cupidon peut le faire à ma place, et en musique en plus de ça. » J'en arrivais même à légitimer ses farces, à cet angelot joufflu, si avec ça il doutait encore de ma bonne volonté je ne m'appelais plus Maxence. Quoi qu'il en soit il avait interrompu notre conversation, si bien que je n'avais pas eu le temps de poser la question qui m'était automatiquement venue à l'esprit en apprenant le métier de la jeune femme « Hôtesse de l'air alors. Sur de longs trajets ? T'as du visiter tout un tas de pays ... » Enfin, je savais bien que le personnel naviguant ne devait pas non plus avoir énormément de temps pour jouer les touristes, mais bon je me disais qu'ils devaient bien profiter un peu ... Moi j'en profiterai à leur place, et pas qu'un peu. Mais faut dire aussi que y'avait rien qui ne me fasse plus rêver que de voyager et de voir du pays ... Une des autres raisons au fait d'aimer autant mon boulot, d'ailleurs.