« Allez viens s’il te plait ! Je t’assure qu’il y a quelque chose à voir, j’ai cru rêver lorsque j’ai remarqué ça ! » Je le tire par le bras, sautillant dans le but de le motiver à venir. A vrai dire c’est surtout moi qui suis très motivée à ce qu’il me suive, j’ai vraiment envie de lui faire essayer les auto-tamponneuses comme je me l’étais personnellement promis ! Mais ça bien sûr il ne le sait pas, il pense qu’il y a une crique caché entre les arbres et que ô miracle je l’ai vue et qu’il faut absolument s’y rendre. Comprenez je lui fais croire que je ne veux pas y aller seule et qu’il faut qu’il voit ça pour prendre un peu connaissance du chemin à prendre. Tout ça pour le faire grimper dans une auto-tamponneuse, et encore ce n’est pas encore fait. Le trainant jusqu’à la terrasse dans une hâte incontrôlée tellement il me tarde d’essayer ça avec lui –et principalement parce que je sais qu’il est contre. Le tirant par la main comme une enfant, je réalise que j’ai pas vraiment envie de lui renvoyer cette image-là bien qu’on commence à se connaître un peu maintenant. Rompant le contact, je me fais tout à coup plus sérieuse. « Tu vas voir c’est très intéressant. » Je prends mon air de femme de bureau, joignant les mains devant moi comme si je lui faisais visiter des locaux avec l’air le plus sérieux que je possède. Finalement nous arrivons sur la terrasse et je le conduis en l’attrapant par le bras vers les auto-tamponneuses. « Alors ? Tu montes dans la verte ? » Je lui accorde un grand sourire m’apprêtant déjà à essuyer un refus mais on est jamais plus convainquant qu’en étant sûr de soi alors je me débrouille pour en avoir l’air au maximum.

Je n'avais pas la foi de grand chose aujourd'hui. J'avais dormi un peu plus longtemps que la nuit précédente, principalement parce que j'étais allé me coucher plus tôt, mais je n'avais pas mieux dormi pour autant. Je m'étais réveillé deux fois, j'avais fini par me lever pour prendre un Normison qui au final n'avait eu pour seul effet que celui de me laisser dans le brouillard même au moment de me réveiller, si bien que j'avais passé toute la matinée et le début de l'après-midi à somnoler à la bibliothèque, mon livre ouvert pour me donner bonne conscience. Somnoler seulement, parce que ce sentiment de stress et d'oppression qui m'avait tiré du sommeil cette nuit ne m'avait pas totalement quitté ... Mais somnoler c'était déjà mieux que ne pas dormir du tout. Affalé dans un des fauteuils de la bibliothèque je relisais donc d'un oeil distrait la même page de mon manuel de malais depuis dix bonnes minutes lorsque Teddy avait débarqué dans la pièce, venant visiblement de trouver ce qu'elle cherchait ... Moi. Elle voulait me montrer un truc, mais elle ne voulait pas me dire quoi ; Franchement, je n'étais pas hyper motivé à bouger, là, je vous avoue. Ce que j'avais gentiment essayé de lui faire comprendre, bâillement à l'appui ... Mais elle n'en démordait pas, d'ailleurs je me demandait si cela lui arrivait parfois. « Allez viens s’il te plait ! Je t’assure qu’il y a quelque chose à voir, j’ai cru rêver lorsque j’ai remarqué ça ! » Franchement je ne voyais pas ce qu'elle avait pu découvrir de si extraordinaire, cela faisait six semaines que nous étions là alors il n'y avait plus grand chose que moi ou les autres n'ayons pas vu sur ce caillou ... Teddy m'avait finalement attrapé le bras, pour me pousser à me lever, on aurait cru une gosse pressée d'ouvrir ses cadeaux de Noël « Ça va, ça va ... je viens. » Oui vous pouvez le dire, je n'avais décidément aucune volonté. Soupirant, j'avais refermé mon livre et que je m'étais levé, réprimant un nouveau bâillement avant de suivre la jeune femme, qui me tirait à moitié par la main sans doute parce que je ne mettais pas assez d'entrain dans la tâche. « Je peux savoir où tu m'emmènes au juste ? » avais-je tenté à nouveau d'un air suspicieux, en réalisant en plus que nous ne prenions pas la direction du rez-de-chaussée et de l'extérieur comme je l'avais pensé, mais bien des escaliers. S'immobilisant un instant elle m'avait subitement lâché la main, pour me répondre sur le ton de l'avocate concluant une plaidoirie « Tu vas voir c’est très intéressant. » Ce qui ne répondait en fait pas du tout à ma question, nous sommes bien d'accord. Roulant légèrement des yeux j'avais tout de même recommencé à suivre, un peu trop docilement d'ailleurs, on voyait bien que je n'avais pas franchement la foi ou la force d'argumenter un peu plus. Nous étions finalement arrivés jusqu'à la terrasse. Je m'attendais à ... Je ne sais pas, à tout et n'importe quoi, mais ce n'est que lorsqu'elle s'était plantée devant les autos-tamponneuses en m'assénant « Alors ? Tu montes dans la verte ? » que j'avais compris. J'avais pourtant été très clair à propos de mon ressenti concernant ces engins de malheur, la semaine passée ... Pas que les autos-tamponneuses en elles-mêmes soient des engins de malheurs, mais elles le devenaient quand elles étaient associées à la notion de vide qui entourait toute la terrasse, puisque nous nous trouvions je vous le rappelle sur le toit. « Avoue, tu formantes ça depuis la semaine dernière. » Depuis que j'avais dit que jamais je ne monterais là-dedans, en fait. Et je n'avais pas changé d'avis à vrai dire, faisant quelques pas jusqu'au bord du toit j'avais regardé dans les yeux la distance qui nous séparait du sol cinq étages plus bas ; C'était haut, très haut. « Je continue de penser que c'est tout juste bon à se tuer, hm. Un choc frontal un peu trop brusque et tu passerais par dessus bord pour aller t'écraser sur le kiosque du jardin ... Et je n'aime même pas le vert. » Oui d'ailleurs, pourquoi vert, je n'aimais pas ça le vert. La rouge encore je ne dis pas ... Non mais qu'est-ce que je raconte, rouge ou vert il était hors de question que je cède, il en allait du bon sens. Et je n'avais pas envie de perdre la face en me contredisant, aussi, hm.

Il m’arrivait d’en vouloir encore à Maxence de me considérer comme une ancienne amie de lycée , pas la sienne évidemment, tout simplement car cette façon de me catégoriser chez les enfants m’exaspérait. Evidemment il n’était pas le premier ici à m’avoir signalé, aussi indirectement soit-il, que mon petit gabarit laisser entendre avoir à faire à une enfant. Or, connaissez-vous beaucoup d’enfants qui possèdent des actions en bourses et les gèrent d’une main de fer. Je ne pense pas. Soit, malgré mon désaccord formel avec ce genre de pensée régressive je m’étais résolue à tourner la situation en ma faveur. Jouer les enfants suppliants auprès de Maxence afin qu’il feigne se lever et me suivre avait porté ses fruits. Sa fille avait de la chance, il devait être un super papa. Parfois je me dis que j’aurais bien aimé qu’il soit le mien, de père. Qu’importe, j’emmène mon partenaire vers son enfance! D’ailleurs il se montre bien curieux mais Maxence n’aura pas le droit à une réponse et puis je stop aussi ce jeu de gamine qui, en fait, se révèle parfois ne pas être qu’un jeu. Je me demande si ça lui fait peur quelques fois. J’étais presque confiante en constatant qu’il me suivait sans broncher plus que ça, pourtant à la vue de sa tête lorsque je m’étais lancée à lui proposer la voiture verte il semblait que j’avais tort d’être aussi confiante. M’efforçant tout de même de garder la face afin de ne pas flancher, ce qui l’inciterait aussi à flancher, je produits un mouvement de tête allant de haut en bas afin de lui confirmer dans un sourire que, oui, je formate ça depuis la semaine dernière. « Je continue de penser que c'est tout juste bon à se tuer, hm. Un choc frontal un peu trop brusque et tu passerais par-dessus bord pour aller t'écraser sur le kiosque du jardin ... Et je n'aime même pas le vert. » En un seul mot : rabat-joie. « D’accord. » Je lui lance dans un sourire contrôlé. En réalité je suis un peu déçue… beaucoup. Je ne sais pas pourquoi je n’insiste pas plus que ça tandis que je me suis vraiment donnée du mal pour l’amener ici. La notion de jeu peut-être. « Je suis sûre que tu aimerais… et puis c’est un jeu intéressant. Tu sais le seul jeu auquel j’ai joué jusqu’ici c’est au jeu d’Ulysse… et… il me fait un peu peur. » Je ne sais pas pourquoi je lui annonce ça comme ça, maintenant, sans doute est-ce le mélange de déception et de réelle envie de lui en parler. J’avais longuement hésité durant toute la semaine mais finalement ça finissait par sortir. « Il faut s’inventer une personnalité. Une nouvelle. » Un peu moins mal à l’aise que quelques secondes auparavant, je ne me sens toujours pas vraiment à mon aise. Il s’en fiche peut-être d’ailleurs… sûrement. Il y a d’autres sujets d’intéressants, autant en changer et peu importe si ça manque de délicatesse cette fois-ci. « Et toi tu joues avec les femmes c’est ça ? » Sortit pratiquement naturellement, mon changement de sujet précipite ma main dans un « Oups » muet devant ma bouche. Je connais ma gaffe et pourtant c’en est pas vraiment une. Une gaffe n’a jamais été volontaire.

Dans la liste des trucs divers et inutiles que j'avais un jour rêvé de posséder, une terrasse sur le toit était en bonne position. Je trouvais ça cool, de pouvoir prendre son petit déjeuner ou siroter une bière le soir tout en ayant une aussi bonne vue ; Ici c'était vue sur la mer. Chez moi je rêvais d'une vue un peu plus dégagée, qui me permettrait de voir la montagne plutôt que simplement la rue en contrebas, mais mes fenêtres donnaient sur le mauvais versant de la montagne de toute façon ... Et puis ce n'était pas comme si j'étais chez moi assez souvent pour me soucier de la vue, au final. Toujours est-il donc que j'aimais particulièrement cette terrasse sur le toit, ici, et que j'y trainais au demeurant assez souvent. Mais jamais encore il ne m'était venu l'idée de tester les autos-tamponneuses installées dans un coin et qui n'avaient à mon humble avis rien à faire là. Ce qui ne semblait pourtant pas être l'avis de Teddy qui aurait bien aimé faire monter là-dessus le vieux rabat-joie que j'étais. « D’accord. » m'avait-elle pourtant répondu quand j'avais baragouiné à quel point c'était une mauvaise idée. C'est tout ? Elle n'était pas très difficile à convaincre, je m'étais déjà attendu à ce qu'elle insiste, batte des cils et fasse trembler sa lèvre inférieure ... C'était presque louche, je vais vous dire. « Je suis sûre que tu aimerais … et puis c’est un jeu intéressant. Tu sais le seul jeu auquel j’ai joué jusqu’ici c’est au jeu d’Ulysse … et … il me fait un peu peur. » Le jeu d'Ulysse ? Lequel, parce que bon Ulysse c'était un peu le genre à inventer des âneries tout le temps, c'était ce qui le rendait si attendrissant dans un certain sens, hm ... « Qui ça, le jeu ou Ulysse ? » que j'avais finalement demandé tandis qu'un léger sourire s'étirait sur mes lèvres. Je doutais qu'Ulysse puisse faire peur ceci dit, c'était plutôt le genre nounours Ulysse, on en arrivait à se demander si il était capable de faire du mal ne serait-ce qu'à une araignée ou une moustique. « Il faut s’inventer une personnalité. Une nouvelle. » m'explique-t-elle finalement en voyant sans doute mon air un peu perplexe. Ah oui, le truc avec Dylan et Pamela ou je ne sais quoi, y'avait aussi Jouko et Danica dans l'histoire me semble-t-il ... Je voyais un peu mieux où était le souci, hm. « Tu sais si, hm, si ça te "fais peur" ou que ça te met mal à l'aise suffit de le dire à Ulysse ... Il se vexera pas, c'est un gentil Ulysse, il cherchait sans doute juste un moyen de te faire te sentir chez toi. » Mais je pouvais comprendre que pour la jeune femme ce soit un peu déroutant, faut dire qu'elle et Ulysse avaient deux caractères assez différents en définitive, bien que partageant tous les deux la gentillesse et la sympathie. Les bras croisés j'observais les autos-tamponneuses d'un air pensif quand ma partenaire avait subitement demandé « Et toi tu joues avec les femmes c’est ça ? » J'avais tourné la tête vers Teddy, l'air un peu pris au dépourvu. Ce n'était pas hyper flatteur comme question, on ne va pas se mentir, ça me donnait un peu l'impression d'être mis dans le même sac qu'un Esteban si vous voulez, c'était pas forcément agréable. Et comme d'habitude avec ce genre de questions, mon réflexe était de faire l'autruche ; Y'avait rien que je fasse mieux que d'éviter les questions qui fâchaient. Et pour ça j'étais même prêt à me contredire, aussi sans répondre j'avais parcouru la distance qui me séparait de l'auto-tamponneuse verte et j'étais monté dedans « Bon alors, je t'attends moi ! » C'était de la pure mauvaise foi ce que je venais de dire, je n'essayais même pas de le nier. Et je continuais de penser que ces autos-tamponneuses n'avaient rien à foutre ici, ne vous méprenez pas. Suivant la jeune femme des yeux, et je ne doutais pas qu'elle était grandement satisfaite du tournant que venaient de prendre les choses, je l'avais regardée choisir une auto-tamponneuse en me disant que j'avais noyé le poisson comme il fallait ... Alors je ne sais pas pourquoi comme ça, d'un seul coup, j'avais demandé « C'est vraiment l'impression que je donne ? » Je crois que j'avais un peu peur de la réponse à cette question, en fin de compte. C'est là que je réalisais un peu comme j'avais perdu l'habitude des relations "normales" avec les gens, à force de me contenter dans la vie de tous les jours de souffler le chaud et le froid sur des relations en dents de scie, au rythme de mes absences et de mes retours intempestifs au pays.

Il n’est pas dans mon habitude de ne pas insister lorsque je souhaite obtenir ou savoir quelque chose. Preuve en est, mes questions vont toujours par paires. Cela dit concernant l’absence de motivation de mon partenaire à l’égard de l’attraction de foire qui trône sur le toit de notre résidence  je passe outre, tout simplement car l’envie de lui parler de quelque chose me démange depuis longtemps et qu’il est temps que ça sorte. Je trouve ça ridicule au fond de lui en parler à lui puisque je pense qu’il n’en a que faire, par ailleurs j’aimerais aussi connaître son avis quant à ce détail, chose dont nous n’avons jamais discuté. Maxence n’avait pas compris directement, pensait qu’Ulysse était le sujet de mes peurs ce qui n’était absolument pas le cas. La seule chose qui me faisait peur était qu’il continue à m’hurler dans les oreilles comme il l’avait fait lors de mon prime d’entrée, or cela semblait n’avoir été qu’une tendance éphémère puisqu’il parlait tout à fait normalement maintenant, sauf lorsque je lui cachais son doudou puant et répugnant. Bien que mal à l’aise par ma déclaration qui me donnait la désagréable impression de me dévoiler un peu trop, mes doigts s’agitaient dans un rythme mécanique tandis que je tentais de ne pas perdre la face. « Tu sais si, hm, si ça te "fais peur" ou que ça te met mal à l'aise suffit de le dire à Ulysse ... Il se vexera pas, c'est un gentil Ulysse, il cherchait sans doute juste un moyen de te faire te sentir chez toi. » Je cligne des yeux une fois. Deux fois. Je ne suis pas une enfant, je sais qu’Ulysse n’est pas méchant, mais c’est bien plus compliqué que ça et au fond ça m’énerve qu’il ne le comprenne pas. « Oui je sais, justement. Le problème c’est que même si ça me fait peur… j’ai envie de le faire. Parce que ça me parait bien. » Tout ça doit lui sembler futile, d’ailleurs encore une fois je n’ai pas envie de passer pour une ancienne camarade de lycée alors je m’abstiens et me contente d’un abrupt « Passons. » avant d’entamer un sujet tout autre. Un sujet qui visiblement ne plait pas du tout à mon partenaire. Un sourire à la fois malicieux et sadique s’était dessiné sur mes lèvres lorsque le regard surpris de Maxence s’était tourné vers moi. Le suivant du regard tandis qu’il allait s’installer dans l’auto-tamponneuse, j’arquais un sourcil. « C’était pas très compliqué finalement. » Dire que j’avais tout prévu serait mentir mais disons que j’aurais presque pu deviner la tournure des évènements. Je voudrais vraiment en savoir plus sur les amourettes de Maxence tout simplement car je suis curieuse et que ça m’intéresse mais visiblement il est bien trop têtu pour que j’en obtienne des informations de cette manière. Choisissant l’auto violette, je commence à m’installer tandis que sa voix résonne de nouveau. « C'est vraiment l'impression que je donne ? » Je le regarde, un peu surprise qu’il revienne sur le sujet tandis qu’il s’était précipité pour l’esquiver quelques secondes auparavant. Hésitante, je lui réponds tout de même. « Pour les autres probablement que non mais moi je ne comprends pas. Je ne comprends pas pourquoi tu les fais espérer alors que tu n’attends rien d’elles. » Mes paroles sont tranchantes, je n’ai d’ailleurs aucune honte à les prononcer cependant je tente de me radoucir quelque peu afin de ne pas l’assaillir d’accusations qui pourraient le fâcher. « J'aimerais savoir comment ça s'est fini avec ton ancienne femme... comment elle s’appelle ? » Je le regarde avec mes yeux de biche, ressentant une sorte d'émotion envers Maxence. De la compassion peut-être ? Je ne sais pas, en tout cas... je pense que j'ai touché la corde sensible.

Je dois avouer que l'idée de prendre Teddy par la main - façon de parler j'entends - pour aller la présenter aux autres et essayer de lui trouver des potes ne m'avait même pas effleuré l'esprit. Parce qu'elle était bien assez grande et bien assez dégourdie pour aller vers les gens elle-même, et parce qu'avec trois semaines de retard le meilleur moyen de se faire une place c'était de passer par la même voie que les autres la première semaine, c'est à dire en se débrouillant par soi-même. Bon, probablement que si elle avait galéré je l'aurais aidée un peu, je ne l'aurais pas laissée comme ça, mais cela n'aurait pas été mon instinct premier, j'aurais attendu de voir. Toujours est-il qu'elle n'avait donc pas eu besoin de moi pour faire connaissance avec le gros des candidats, et en particulier la joyeuse bande qui constituait notre chambre ; Dont Ulysse, qui de toute évidence avait décidé de se servir de son petit jeu pour entamer la discussion avec elle. On adhérait ou on adhérait pas, ce n'était pas méchant mais je pouvais comprendre que la jeune femme soit réticente voir même mal à l'aise dans une telle situation. Alors je lui avais simplement conseillé de ne pas hésiter à le dire cash à Ulysse, il comprendrait sans doute. On parlait d'Ulysse après tout, avec sa bouille d'ange et sa volonté de mettre à l'aise chaque personne qui lui donnait une bonne impression. « Oui je sais, justement. Le problème c’est que même si ça me fait peur … j’ai envie de le faire. Parce que ça me parait bien. » J'étais dubitatif. Parce que je ne savais comment envisager Teddy, elle n'avait pas les réactions d'une fille de son âge, parfois elle s'exprimait comme si elle avait quinze ans de plus, et parfois elle était un mystère à elle toute seule. Je n'avais visiblement pas cerné son souci mais je ne voyais pas quoi dire d'autre ; Elle ne m'en avait finalement pas laissé le temps. « Passons. » Je l'avais scrutée un instant, pensif, mais j'avais décidé de ne pas insister. De toute façon elle ne m'en avait pas laissé le temps, embrayant sans transition sur moi et sur ce qu'elle appelait ma tendance à jouer avec les femmes ... Charmant. Tellement qu'au lieu de répondre j'avais foncé tête baissée vers ce que je dénigrais quelques minutes plus tôt, à savoir ces chères autos-tamponneuses. « C’était pas très compliqué finalement. » Certes, inutile donc pour elle de remuer le couteau dans la plaie, mon orgueil pleurait déjà bien assez tout seul. Pourtant sa question n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd, elle me faisait cogiter. Trop pour que je ne résiste à l'envie de demander des précisions. « Pour les autres probablement que non mais moi je ne comprends pas. Je ne comprends pas pourquoi tu les fais espérer alors que tu n’attends rien d’elles. » J'étais resté stoïque un instant. C'était un reproche, acide et tranchant, le genre de reproche qu'on faisait à ceux qui se complaisaient dans le fait d'utiliser les autres ; Ma réponse n'avait donc pas pu être autrement qu'acide et tranchante, elle aussi. « Je fais pas espérer, j'ai jamais caché mes intentions. » Ou plutôt mon manque d'intention, devrais-je dire. « Tout comme j'ai jamais caché le fait qu'être ici ce soit qu'une parenthèse. » Agréable, certes, mais une parenthèse tout de même. Je savais bien que les chances pour que je garde contact avec qui que ce soit ici étaient minimes, j'avais déjà du mal à entretenir mes relations avec ma propre famille, alors une brochette d'inconnus éparpillés aux quatre vents ? Exception faites d'Ulysse et de Titi peut-être ... Mais nous verrions. Je crois que je m'étais déjà attaché à ces deux-là plus que je ne l'aurais souhaité. « Peut-être que j'ai juste envie d'espérer un peu moi aussi, de temps en temps. » avais-je finalement ajouté d'un ton moins froid, pensif plutôt. Lâchant finalement des yeux Teddy et son auto violette j'avais hésité à m'en aller ; Elle m'avait refroidi, je crois, et je n'en oubliais pas non plus dans quel engin de malheur j'étais assis. Qu'attendaient-elles pour démarrer, ces stupides voitures ? « J'aimerais savoir comment ça s'est fini avec ton ancienne femme ... comment elle s’appelle ? » Son ton à nouveau avait changé. Pour m'amadouer peut-être, je ne sais pas. Je ne voyais même pas ce qu'ils avaient tous à faire une fixation sur elle, ça leur paraissait normal de questionner les gens sur leurs exs de cette façon ? Ça va que je n'avais rien à cacher, là-dessus. « C'était pas ma femme, on s'est jamais mariés. » Je croyais bon de le préciser, entre cette question et l'amalgame du même genre fait par le détecteur au dernier prime. « Elle s'appelle Aurore. » Ma voix s'était radoucie, on pouvait presque croire que c'était de prononcer son prénom qui m'y avait aidé. Mais ce n'était pas pour rien qu'elle faisait partie des trois seules personnes sur cette fichue planète à être capable de me raisonner si besoin, quand je n'en faisais qu'à ma tête. Comme souvent, en fait. « On est juste tombés amoureux quand on était gosses, et à cet âge-là tu penses qu'être amoureux c'est suffisant, que c'est tout ce qui compte dans un couple. Après tu grandis et tu réalises que non, c'est loin d'être suffisant. » C'était cynique comme raisonnement en fin de compte, mais pourtant tellement vrai. « Elle était ambitieuse et indépendante, moi aussi, et deux sous le même toit ça se passe rarement bien. Et de toute façon elle méritait mieux que quelqu'un qui est là quelques semaines par an. » Et je savais bien que viendrait un jour le moment où cette espèce de relation que nous avions toujours prendrait fin. Parce que l'entre deux, l'entre "ensembles" et "séparés" n'avait jamais vocation à durer et disparaissait quand l'un ou l'autre décidait de reprendre sa vie en mains ... Ça serait sans doute elle, avant moi. Pourquoi je racontais ça à Teddy de toute façon, elle m'avait déjà catalogué connard de base concernant les femmes, de toute évidence.

Dans un premier temps ma question n’était qu’une simple rétorque, elle n’avait que but à le bousculer un petit peu pour en savoir plus sur ses aventures puisque de toute évidence Maxence plaisait beaucoup aux candidates encore présentes dans l’aventure. Je comprends tout à fait qu’il plaise autant, il a tout pour lui sauf peut-être ce que je lui reproche justement. Quoi que ce n’est pas une reproche… mais simplement une explication lorsqu’il m’en demanda une. Tranchante, certes, mais explication tout de même. « Je fais pas espérer, j'ai jamais caché mes intentions. » Je ne le lâche pas du regard avec mon air le plus sérieux que j’ai en réserve tandis qu’il qualifie cette aventure comme étant une parenthèse dans sa vie. Je pense que c’est une parenthèse pour nous tous puisque de toute évidence tout ça n’a rien de comparable à la vrai vie. Je l’observe toujours sans prononcer ne serait-ce qu’un mot, aussi distante qu’un public insensible au spectacle. «Peut-être que j'ai juste envie d'espérer un peu moi aussi, de temps en temps. » Mon regard s’adoucit, je sens les muscles de mon visage se relâcher. Maxence me touche, le temps de quelques secondes je me sens presque coupable de lui avoir craché si violemment une méchanceté au visage. Je lui demande alors comment est, ou était, sa femme. J’en entends tellement parler sans savoir ce qu’il en est réellement qu’il me faut lui poser la question et dans ce moment de compassion je me prends à vouloir en savoir plus sur Maxence, sur sa vie. « C'était pas ma femme, on s'est jamais mariés. » Les autres avaient donc tout faux. Depuis quand j’écoutais les ragots du peuple, moi ? « Je croyais… » je ne croyais rien. Elle s’appelait Aurore. Je ne peux m’empêcher d’analyser Maxence à chacune de ses paroles et de ressentir cette forme de vulnérabilité qu’il avait lorsqu’il parlait d’elle. « C’est joli » Je lâche ça à la volée, dans un souffle qu’il n’aura peut-être pas entendu. Mon partenaire devient alors beaucoup plus bavard, me racontant une histoire qui est la sienne. Plus ses mots défilent et plus je me sens bête mais aussi attristée pour lui. C’est un sentiment très étrange. Au fur et à mesure un parallèle avec mes parents s’installe, me rappelant à la triste vérité qu’était mon absence de vie de famille causée par l’absence de ces derniers. Trop de travail, trop de voyages, trop d’ambition. La fille de Maxence avait-elle été aussi seule que moi ? Visiblement Aurore était présente dans leur maison familiale à défaut de Maxence. Hm. Je me sentais beaucoup moins ignorante à son propos maintenant. « Tu les laissais seules ? » J’aurais voulu retenir cette phrase mais elle est malheureusement sortie. J’ai peur que Maxence me trouve trop peste maintenant, comme si creuser dans ses plaies m’amusait. Son avis m’importe, je ne veux pas qu’il me laisse tomber même s’il ne s’agit là que d’une parenthèse, d’après ses propres mots. « Je suis désolée. » Désolée d’avoir été aussi incisive. Instinctivement je baisse la tête, un peu honteuse qu’il se soit justifié de la sorte pour une simple remarque visant simplement à le taquiner un peu. Finalement je me lève de l’auto-tamponneuse. C’est traitre de ma part mais je n’ai plus envie, je n’ai plus l’humeur. « L’absence ne veut pas dire qu’on est pas quelqu’un de bien. » Je me sens d’obligation à le lui préciser. Mes parents sont des bonnes personnes malgré leur inexistence physique. Je lui jette un dernier regard et m’enfuis finalement comme une voleuse, entendant derrière moi les auto-tamponneuses se déclencher, ce qui m’arrache tout de même un sourire malgré moi.