ULYSSE

Je tourne en rond ce soir. Pas de soirées prévues, personne sous le coude avec qui passer du temps, et pas assez fatiguée pour que je file au lit. Je suis condamnée à errer dans les couloirs, jusqu’à ce que mort s’en suive. Bon, d’accord, j’exagère un petit peu, mais si je trouve pas rapidement une activité, je vais filer au phare abandonné, et sauter, fin de l’histoire. Et personne ne veut ça, pas vrai ? Finalement, je me décide à me rendre au salon détente. Dans le pire des cas, si je trouve personne, je trouverais bien de quoi m’occuper, du moins assez pour me fatiguer et aller dormir, vu que c’est bien connu, dormir fait passer le temps. J’arrive dans le couloir, et je vois un blond à l’autre bout du couloir. De dos, j’arrive pas trop à le reconnaître, j’hésite entre Jouko et Ulysse. Je les confonds trop les deux, quelle idée d’avoir la même dégaine, aussi, pfff. Mais je crois que c’est Ulysse, il a l’air plus … Ulysse, quoi, en fait. « Ulysse ! » Que je crie presque, histoire qu’il s’éloigne pas trop. Au pire, je me suis trompée, et voilà, ça arrive. Je pourrais mettre ça sur le compte de l’ignorance, vu que je le connais pas vraiment. Ça passera sans doute. Mais en fait, quand je m’approche, je constate que je me suis pas trompée. « Viens faire un billard avec moi. » C’est un peu trop malpoli, hm. « S’il te plait… » Je supplie presque, j’ai vraiment besoin de me divertir, et je suis sûre qu’Ulysse peut m’aider, s’il accepte ma proposition. En parlant de billard, d’ailleurs, je suis pas spécialement douée à ce jeu, mais qu’importe, l’important c’est de participer, non ? Et vu qu’Ulysse sera mon adversaire, au pire si j’arrive pas à jouer c’est pas grave, je peux toujours apprendre à le connaître un peu mieux, c’est encore le moyen le plus efficace de passer le temps.

Bah... Ulysse n'avait rien de prévu lorsque Rowan l'avait intercepté dans le couloir. Il comptait faire un tour dans le salon justement pour voir s'il y avait quelqu'un avec qui traîner mais apparement, il n'a même pas besoin de prendre cette peine puisqu'il entend son prénom venant de l'autre bout du couloir. Naturellement, il se retourna sur le coup et reconnu Rowan.  « Oui Rowaaan ?! » qu'il crie à son tour avec un sourire amusé. Il garde ce sourire lorsqu'elle s'approche, se demandant bien ce qu'elle lui veut. Il n'a pas fait une bêtise au moins ? Enfin non, il voit pas trop ce qu'il aurait pu faire mais c'est presque un réflexe de se poser cette question pour Ulysse à chaque fois qu'on l'appelle. Bon, il a bien grandi depuis cette époque où il faisait cent mille bêtises mais c'est un réflexe qu'il a gardé.  « Viens faire un billard avec moi. » Ah bon ben c'est bien ce qu'il pensait, il avait rien fait de mal, elle cherchait juste elle aussi quelqu'un avec qui passer le temps. « S’il te plait… » qu'elle rajoute, ce qui lui arrache un rire. « Roooh, tais-toi ! » qu'il continue en riant, en poussant son visage avec sa main au ralenti. En gros, il voulait juste dire qu'elle avait pas besoin de le supplier pour qu'il accepte. Toute façon ça marche pas avec lui ce genre de truc. C'est soit il veut, soit il veut pas, c'est tout. Elle doit être un peu surprise de sa réaction, vu qu'ils ne se connaissent pas tellement. Il est comme ça Ulysse, tellement naturel. Que ce soit elle qu'il connait à peine ou Maxence son frère adoptif de l'aventure, il aurait eu la même réaction, ce qui peut un peu déstabiliser au début. C'est pour ça que quelques fois, il peut se faire détester à cause de ce naturel, ce manque de retenu, de tact. Bon allez, c'est partout pour un billard donc. Il montre la voie en rentrant en premier dans le salon détente, de façon complètement ridicule. En fait, imaginez qu'il a les deux bras devant lui, bien tendus et qu'à chaque fois qu'il s'avançait, il se penchait en arrière tout en se balançant de droite à gauche comme s'il dansait, comme s'il essayait de passer en dessous d'une barre. Bref, ça dure que quelques secondes, histoire de faire le pitre et avant de se saisir d'une queue, il allume la radio histoire de mettre un fond sonore. Il est d'humeur ce soir. « Je suis une quiche au billard par contre. » qu'il fait avec une moue.

Peut-être que s’il se trouve dans ce couloir, c’est parce qu’il a dans l’idée de rejoindre une autre pièce que le salon de détente, parce qu’il a déjà des projets prévus pour la soirée. Mais j’espère sincèrement que non, parce que plus les secondes passent, plus je compte sur lui pour m’aider à me distraire. Je crie son prénom, afin qu’il s’éloigne pas trop, je voudrais pas rater ma chance. Il me répond, et visiblement il a l’air amusé. Ok, c’est bien parti, gentil Ulysse. Je lui propose donc un billard. Et j’ajoute un ‘’s’il te plait’’ parce que je suis polie. Pour toute réponse, j’ai le droit à un tais-toi, et une main sur le visage. Okaaay. Normal. Je dois reconnaître que ça me fait légèrement rire aussi, si je m’attendais à ça. Quoi qu’il en soit, il a l’air motivé vu qu’il prend le chemin du salon. Je dois dire que j’hésite entre pleurer et rire quand je vois la façon dont Ulysse entre dans la pièce. Finalement, j’opte pour la seconde option. Et il me prouve qu’il est la meilleure compagnie que je puisse avoir ce soir, sans aucun doute. « C’est splendide, tu as gagné des prix pour ces mouvements dignes des plus grands danseurs ? » Que je dis, en me moquant légèrement. J’espère que Cupidon va me mettre ces images sur cassette, pour les jours de déprime, ça ira tout de suite mieux après, j’en suis sûre. Il se met à l’aise avec la musique, et m’annonce qu’il est une quiche au billard. « Ça tombe bien, moi aussi. » Qu’il se rassure, donc. À nous deux, on va faire une belle équipe, à ne pas douter. Peut-être qu’au final le jeu consistera à rater les trous, on va certainement assurer là-dedans. « Je te propose un truc. » Un enjeu. Parce que jouer au billard juste pour jouer au billard, c’est sympa, mais dans un bar. Pas ici. Faut quelque chose d’un peu plus sympa, quand même. « Action ou vérité. À chaque fois qu’on met pas de boules. » Ce qui risque d’arriver souvent, sans doute. « Quoi que je sais pas trop ce qu’on peut faire comme action en étant que deux et dans une telle pièce, donc se sera plutôt un vérité-vérité, mais c’est sympa aussi. » Du moins, de mon opinion. « Alors, ça te tente ? » Je demande, au cas où ce jeu serait sa hantise, même si je pense pas, on sait jamais. En attendant, je prends une queue, prête à démarrer la partie.

Ulysse est de très bonne humeur ce soir. Qu'elle ne s'inquiète pas, il n'a pas bu un gramme d'alcool. C'est juste que ça lui prend, de temps en temps. En fait, c'est plus souvent que de temps en temps. « C’est splendide, tu as gagné des prix pour ces mouvements dignes des plus grands danseurs ? »  Il se retourne avec ce petit sourire enjoué et malicieux, exagérant encore plus ses mouvements. « C'est encore à perfectionner voyons ! » Mais oui, c'est un perfectionniste Ulysse, il ne veut que le top du top. Cette danse est presque à sa perfection mais il reste un petit chouilla avant qu'elle ne soit à son apogée. Trêve de plaisanterie, le billard les attend. Ulysse en profite pour lui signaler qu'il n'est pas doué au billard, au cas où elle imaginait faire des parties intenses de haut niveau. « Ça tombe bien, moi aussi. » Ah ben tans mieux. La partie sera donc intense puisqu'ils sont au même niveau, mais bien nul. « Je te propose un truc. » Il lève la tête, intéressé en l'interrogeant du regard. Hm, qu'est-ce qu'elle propose ? « Action ou vérité. À chaque fois qu’on met pas de boules. » Il lâche un rire. Est-ce qu'ils sont aussi nuls que ça ? Après mur réflexion, oui, ils sont aussi nuls que ça. Pour sa part en tout cas, mais Rowan doit être pareille, à moins qu'elle ne lui ait menti. « Quoi que je sais pas trop ce qu’on peut faire comme action en étant que deux et dans une telle pièce, donc se sera plutôt un vérité-vérité, mais c’est sympa aussi. » Ulysse aurait surement trouvé un tas d'idées comme action à lui faire faire mais les vérités ne le dérangent pas non plus. « Alors, ça te tente ? » « Bah ouais, carrément ! » qu'il fait avec enthousiasme. Du coup il se lance le premier. On voit déjà qu'il n'a pas l'habitude de jouer, improvisant comment tenir la queue entre ces mains. Bien, il tape la boule blanche, les autres boules bougent mais aucune ne tombent dans un troue. « Le premier coup, c'est le plus dur... » qu'il se justifie faussement. En vrai il s'en fout. Il est nul, il est nul hein. Donc elle doit lui poser une vérité là, non ?

Il me faut une caméra, et vite. Il faut que je filme la petite danse d’Ulysse, c’est quand même un spectacle hilarant, ça mérite des prix, à ne pas douter. Bon visiblement, il n’est pas encore au top pour prétendre concourir à des prix, hm. Dommage. « Je compte sur toi pour revenir me voir quand tu te seras perfectionné. » Je voudrais pas louper ça, quand même, et passer à côté d’une crise de fou rire. J’ai qu’à le voir se dandiner pour avoir ma dose de rire quotidienne, qu’il est sympa ce Ulysse. Nous voilà donc prêts à en découdre avec le billard. Je lui propose une sorte d’enjeu. Un action ou vérité sans les actions. Je dois dire que la pièce m’inspire pas spécialement pour trouver des actions. À part lui faire danser la Traviata avec une pièce d’échecs, hm, j’ai pas vraiment d’idées. Je suis plus douée pour poser des questions, vu que je suis de nature curieuse. Enfin bref, faudrait déjà qu’il accepte avant, peut-être qu’il aime pas jouer à ça, et je veux pas le forcer. Mais visiblement, ça le gêne pas. Loin de là même.  Tant mieux. Il se lance le premier, je l’observe, espérant qu’il se rate. Bah oui, s’il se rate, je peux poser une question, et c’est quand même plus intéressant que de mettre des boules dans des trous. Sans mauvais jeu de mots. Il se rate. Je laisse échapper un sourire à sa remarque. « C’est ce que disent les nuls. »  Je hausse les épaules. Je suis mal placée pour dire ça, en fait, vu que j’ai pas un niveau supérieur au sien. Je dois donc poser une question. Je réfléchis quelques instants. « Sur quelle candidate ou quel candidat tu as fantasmé ? »  Je mise sur la facilité avec l’aide du détecteur de mensonge, bouh, c’est mal. Mais faut dire que la question peut se poser. Il faut pas que je lui en pose une trop facile non plus, sinon c’est pas drôle. Je me demande si c’est Amy, d’ailleurs, je prendrais presque des paris avec moi-même. En attendant, je joue à mon tour, histoire de pas perdre de temps, et d’essayer de marquer une différence au score. Mais c’est raté. Comme c’est étonnant, hm.