ft ISAAC

Un bouquin dans les mains, je lis sur le chemin, avançant avec une lenteur presque exaspérante pour les autres candidats qui me croisent et me dépassent en soupirant, ou presque. Mais je m'en fous, il faut que je finisse mon chapitre, j'ai la manie de ne pas pouvoir achever ma lecture sur un chiffre de page impair ou en plein milieu de chapitre. Mes yeux, tels des machines, dévorent rapidement les derniers mots qui me séparent de mon objectif. Page 240, je pousse un soupir de soulagement avant de relever avant la tête. Je me trouve presque devant l'entrée de la chambre stellaire, enfin, pas très loin. Curieuse, je me risque à une petite observation et un personnage bien trop familier est maintenant dans mon champ de vision. Mes prunelles s'accrochent sur le corps d'Isaac échoué sur son lit. Perplexe, je fronce les sourcils en me demandant ce qu'il fout. Ce n'est pas l'heure de la sieste, il doit attendre qu'une fille de sa chambre aille se doucher, ou je-ne-sais-quoi, il a l'esprit tordu, de toute façon. Je jette mon livre sur un autre lit vide non loin, pour m'en débarrasser. J'inspire délicatement avant d'aligner mes pas dans sa direction  et de me laisser tomber sur son matelas, en rebondissement légèrement. Ma tête pivote sensiblement vers lui. «  Alors, tu es comment à l’extérieur ? » je lui demande avant de prendre place à côté de lui, légère, me positionnant sur le ventre, m'appuyant sur mes avants-bras pour me surélever un peu. Qu'il n'allait pas croire que je m’intéresse à lui parce qu'il me plait, je me dis simplement qu'il est peut-être pas non plus le dernier des connards comme il peut parfois le laisser penser. Oui, je suis une éternelle optimiste, je me dis que je peux encore arriver à quelque chose avec lui. Ce n'est pas un cas perdu. Je me réfère à ce qu'il m'a dit pendant le prime, lui et son monde d'apparence, de jeu de rôle et d'hypocrisie. J'en déduis qu'il n'est pas forcément toujours comme ça.

Les bras croisés derrière la tête, je fixe les étoiles. Enfin les fausses, puisque finalement il ne s’agit que d’une multitude de petites LED incrustées dans le plafond. Tout n’est qu’apparences ici, jusqu’à la chambre dans laquelle je dors. En fait je n’y connais rien en matière d’astres. La Grande Ourse, la Couronne boréale et toutes les autres constellations, ça m’échappe. Tout ce que je peux faire, c’est éventuellement réinventer la voûte céleste pour essayer de serrer une fille, parce qu’il parait que l’astronomie ça leur plait. La porte s’ouvre dans un filet de lumière contrastant avec l’obscurité de la pièce. Je me redresse légèrement et j’esquisse un fin sourire en reconnaissant Clémentine. Je la suis des yeux, me mordant la lèvre inférieure en suivant son avancée comme celui attendant son amante. Juste pour l’emmerder, elle a même le droit en prime à mon esquisse de connard. Elle s’incruste sur mon lit. Mieux encore, elle s’allonge sur le matelas, me prémâchant déjà le travail qui veut qu’elle finisse un jour sous ma couette. « Tu vois, je savais depuis le début que tu viendrais un jour me rejoindre dans mon lit. » je souffle d’un air malin. Sans préambule, comme si j’obsédais ses pensées à la gueuse, elle me demande comment je suis à l’extérieur. Je l’observe quelques secondes silencieusement, haussant même un sourcil pour marquer un étonnement feint quant à sa question. Genre je suis le plus honnête de tous les candidats ici, jamais je n’oserais jouer un rôle, alors qu’elle sait très bien que c’est faux. « Tu penses qu’on peut se faire consciemment passer pour un connard pervers ? » je demande dans un sourire amusé. Ici tout le monde me considère comme un obsédé, je l’ai compris au dernier prime, et on ne peut pas dire que ce soit l’image la plus glorieuse qui soit. « Quitte à être différent qu’à l’extérieur, ça n’aurait pas eu plus d’intérêt de jouer les grands princes gentils et cultivés ? » je reprends parce que c’est mon truc de répondre par des interrogations. Je pourrais peut-être jouer les Mallaury, les Andreja, tous ces types adorés par les autres candidates. Je l’interroge du regard avec mon air de celui qui sait tout. Sa théorie selon laquelle je pourrais être différent ne tient pas. Ou peut-être que oui, mais j'ai toujours su manier l'art de laisser planer le doute à propos de ma petite personne.

Je fais mine d'ignorer l'air qui se peint sur son visage lorsque je le rejoins. Parce qu'Isaac restera toujours Isaac. « Ne t'emballe pas » Je le tempère avec un sourire un brin amusée parce qu'il est vraiment con, quand il s'y met. Il atteint des sommets. Je me demande combien de phrases comme celle-ci il possède, en stock. « Sinon je repars aussitôt » je balance d'une voix cristalline en roulant sur le côté pour instaurer une légère distance de sécurité entre nous. Je me retrouve sur le côté, j'ai tout le loisir de poser une joue sur l'oreiller, tranquillement. Il esquive et fait admirablement diversion. « Ça ne doit pas être bien difficile d'accentuer à l’extrême un trait de sa personnalité » je propose alors en lui lançant un regard interrogateur comme si j'attendais une réponse de sa part. Il aurait très bien pu endosser le rôle de l'homme parfait, instruit, attentif mais ce n'aurait pas été une bonne distribution dans ce cas là. Il n'incarnait pas déjà, physiquement, quitte à faire dans les clichés, des adjectifs positifs. Je m'octroie une demi-seconde de réflexion. « Parce que ce ne sont pas ceux qui marquent » je réponds alors en me redressant à peine, juste pour chasser une mèche platine squattant ma clavicule avant de reprendre ma position initiale. « Parce qu'à long terme, c'est ceux qu'on oublie le plus rapidement, les parfaits, mais on se souvient souvent des gros lourds à l'humour douteux et remplis de vices » je continue alors ma petite théorie bien élaborée. Personnellement, les candidats des saisons précédents dont je me souvenais principalement avaient mauvais caractère. Le gendre parfait ou la fille idéale n’intéressent pas le téléspectateur qui a souvent besoin de conflit pour aimer les individus. « Alors ? » je lui demande, pressante, en arquant un sourcil, parce que je n'aime pas attendre. Et en plus, j'ai l'impression d'avoir complètement dévié du sujet initiale. « J'attends toujours la réponse à ma première question » je lui rappelle simplement, j'ai l'impression que je peux toujours courir pour cela, vu qu'il semble que je sois face à un menteur compulsif, malheureusement. Je n'aime pas passer mon temps à essayer de démêler le faux du vrai dans tout ce qu'il me balance.

Je roule à mon tour sur le côté par mimétisme, en appuie sur mon coude pendant que ma joue vient se nicher dans la paume de mon côté. Je lui offre un léger sourire alors qu'elle me menace de repartir. « Tu me priverais de ta présence ? Tant de cruautés... » je soupire, la tragédie au bout des lèvres. La voir filer dans le couloir adjacent ne sera certainement pas le plus grand drame de ma vie, qu'on se le dise. Si elle n'était pas aussi distrayante, je pourrais presque justement espérer de la voir dégager de mon paysage. Mais elle est Clémentine. La douce Clémentine que je prends plaisir à emmerder dans l'espoir de la voir rouler des billes pour asseoir le statut du type agaçant que je me suis forgé. Elle laisse entendre qu'accentuer un trait de sa personnalité est facile et j'acquiesce automatiquement. Jouer dans une justesse qui frôle la réalité un méchant est bien plus aisé que quand il s'agit de s'imprimer dans le rôle du gentil qui ne sert à rien. Il y a ça et aussi qu'ils sont bien plus remarquables comme elle le souligne ensuite. On n’entre pas dans la prospérité en se tournant les pouces ou en attendant de tomber sur une demoiselle en détresse à sauver pour flatter son ego. Ça ne fonctionne plus ces histoires depuis que ces foutues féministes ont mis le feu à leurs bustiers et décidé d'embrasser d'elles-mêmes la profession de chevalier plutôt que de s'occuper des gosses dans le donjon familial. On est délaissé, ignoré et la seule façon fiable de reprendre ses droits sur la nature, c'est de crier son existence. Je n'ai pas la plus jolie des réputations au sein du nid, mais au moins on sait qui je suis et c'est l'essentiel à mes yeux. Non satisfaite par le peu qu'elle a déjà reçu, la gueuse réitère. Elle me presse et je lui sers mon sourire de branleur un quoi ? inaudible se dessinant sur mes lèvres. Ah. Sa première question. Je feins un hochement de la tête comme si ça me revenait subitement et que je n'avais pas essayé d'éluder son interrogation à propos du Isaac de l'extérieur. « Je suis pareil. » je lance dans un haussement d'épaules. Ou presque. « Je m'emploie à agir pour obtenir ce que je veux, mais ce que je veux là-bas est différent d'ici alors peut-être bien que je suis moins con. » Mais toujours aussi arrogant, même quand ça ne le mérite pas. Ce n'est pas vraiment ce que l'on demande aux manipulateurs chroniques dans mon genre habituellement. Les mensonges, les omissions ça fait partie de ma vie, me demander un peu de sincérité ça ne marche pas. J'en serais presque à me demander qui je suis derrière tous ces rôles que j'incarne pour obtenir ce que je veux. « Comment tu m'imagines ? » je demande, faute de pouvoir lui fournir une réponse exacte.

Ma présence ... « Elle te semble si indispensable quand tu t'ennuis» je souligne en roulant des yeux. Parce que je suis sûrement pour lui un bon moyen de passer le temps, surtout parce que je suis prévisible, j'imagine, mais je suis comme cela, je m'en moque. M'emmerder doit être un de ses passe-temps de l'aventure. Je m'en fous d'être une distraction, c'est peut-être bien cela le vrai problème chez moi. Je l'observe un instant, en attendant une réponse. J'ai l'impression que si je ne le presse pas, je risque de ne rien avoir. Il est pareil. J'arque simplement un sourcil face à sa pseudo révélation mise en scène. Je m'attendais à mieux. Tout cela pour rien. « Tu mens » je réponds sèchement, parce que si je m'arrête à ça, ma théorie d'un Isaac un peu moins manipulateur tombe à l'eau. Or, c'est la seule chose à quoi je me raccroche pour supporter sa présence pour le moment. Alors j'y tiens. Ses désirs sont différents à l'extérieur et ici. « Et tu veux quoi ici ? » je finis par lui demander avec une voix fluette. « Et tu penses qu'en la jouant comme cela tu risques d'offrir une certaine notoriété à ta boite ? » je lui demande aussi parce que j'avais pu comprendre qu'il était producteur, enfin, une connerie comme cela. Isaac me demande comment je l'imagine. Je me redresse alors en m'asseyant en tailleur sur le lit, calant mes cheveux sur l'une de mes épaules. « Je ne sais pas » je commence alors en me laissant une seconde de réflexion. « Plus réfléchi, ambitieux, moins obsédé par le cul que tu ne laisses penser » je laisse échapper alors que je tente d'exprimer le portrait d'un Isaac qui ne semble vivre que dans mon imagination. « Abruti sans pour autant être un connard» je précise alors, presque naïvement. « Mais il faut croire que j'ai réellement tendance à idéaliser tout le monde » je fais mine de soupirer. « Tu es donc une déception de A à Z» je déplore donc en posant mes prunelles sur sa personne, avant qu'une légère moue boudeuse ne se peigne sur mon minois.