~ Christa

On peut dire que je m'étais pas couché tôt cette nuit. N'étant pas retournée directement dans ma chambre après le prime, ayant eu une discussion avec Maddy, on peut clairement dire que je manquais de sommeil. Connaissant parfaitement les conséquences de mes actes, j'avais calculé dans la matinée combien de temps me faudrait-il de repos pour être en parfaite santé. Une heure, trente-quatre minutes et vingt-deux secondes. Bien évidemment ce genre de sieste devait être prévu en avance. C'est en mangeant mon bol de céréales que j'eus ma réponse. Il faut que je me trouve un endroit silencieux et reposant pour les environs de treize heures. En tout logique cela ne risque pas d'être trop difficile. Nous sommes tout de même dans un grand domaine. Plusieurs options s'offre à moi. La chambre? Choix basique et classique, mais peut-être un peu trop, puis on ne sait jamais, je n'ai pas envie qu'un candidat rentre pendant que je me repose. Pourquoi pas l'extérieur? Dans le jardin? C'est plutôt une bonne idée. J'installe dans en quelques minutes le strict nécessaire. Attends précisément treize heures avant de m'allonger et de fermer les yeux. Mes yeux rivés sur le cadran de ma montre, mon écoute se retrouve très vite à perdre le fil de l'aiguille et se focalise sur des pas. Je relève la tête. Tiens Christa est de nouveau en train de courir. Lorsqu'elle arrive à ma hauteur je lui dis. "Finalement ce ne fut pas trop difficile de sortir de la boue." dis-je en faisant référence à notre première rencontre. "Fais gaffe à ne pas aller au même endroit." J'aurais voulu rajouter ni à faire la même erreur, mais j'étais sûre que ce genre de propos pourrait être mal pris et je ne suis pas apte, nerveusement, à me lancer dans une bataille.

Courir. Cette torture inévitable dont je ne pouvais plus me passer. Ce mal que je m’imposais, au quotidien, et qui torturait mes pauvres muscles endoloris par celle de la veille. Il m’avait fallu plusieurs semaines, voire mois avant de réussir à intégrer ce simple exercice dans ma vie, mais désormais, j’avais fortement du mal à m’en défaire. Tant mieux, songeais-je. Il s’agissait du seul sport que je pratiquais sans – trop – rechigner, et de façon habituelle.  Mon entraineur m’encourageait à en faire plus, mais la paresseuse qui sommeillait en moi préférait s’affaler sur un sofa en s’empiffrant de pizza. Désolant. Évitant soigneusement la plaine boueuse depuis ma dernière excursion sur ce territoire, j’avais choisi de parcourir de mes pas rapides le sol des jardins. Le paysage était magnifique, il n’y avait pas à dire. Les gens qui entretenaient ce lieu faisaient un travail de maître, et ils n’avaient rien à envier aux meilleurs paysagistes de ce monde. Ils les égalaient, les surpassaient même à certains niveaux. J’étais presque envieuse. Les quelques plantes que je possédais avaient très mauvaises mines au côté de celles-ci. En fait, mon talent était tel que j’avais complètement oublié de demander à mon père de les arroser. Elles étaient surement mortes – ou très faibles – à l’heure qu’il était. Une voix me tira de ma réflexion, et je ralentis mon pas, approchant d’une candidate que je supposais être Ana. Vu sa remarque, il s’agissait bien d’elle. J’esquissais un léger sourire. « Promis. Je me contente de rester dans ce secteur. Les jardins offrent des paysages plus intéressants. » Je continuais à courir lentement sur place, mais je ralentissais la cadence, afin de ne pas m’arrêter brusquement, ce que mon corps tolérait mal. Je fini néanmoins par cesser de piétiner le sol, m’interrompant dans mon parcours. J’attrapais la gourde d’eau accroché à ma taille, et en bu quelques gorgées pour me désaltérés. Quel soulagement.  « Tu t’offres une petite sieste au soleil ? » lui demandais-je, alors, ayant observé son emplacement plus en détail.

Je crois que Christa est bien l'une des seules à ne pas me juger (pour l'instant), à ne pas me penser folle pour être plus juste. Je ne dis pas que les autres le font, je l'insinue ce qui n'est clairement pas la même chose. Pourquoi j'ai cette impression ? Parce que mon intervention lors du prime n'est pas passé inaperçu, pour mon plus grand bonheur et que je sens mes oreilles siffler. Suis-je parano ? Je ne peux le nier que cela m'arrive, mais généralement mon instinct ne se trompe pas. Le fait qu'elle me promette de rester dans le coin me fait gentiment sourire. « Bonne idée. Tu peux aussi prévenir quelqu'un que tu y vas pour qu'il joue les sauveurs. » dis-je simplement. C'est aussi une idée. Nous sommes dans un jeu de l'amour, bien que je ne sois pas intéressée, les autres peuvent l'être. Ce n'est qu'après avoir sorti ma théorie que je réalise tout de même mes paroles. C'est bien la première fois que je donne un semblant de conseil amoureux. Il faut vraiment que je me repose. « Oui. Enfin normalement. » dis-je en jetant un coup d'oeil à ma montre. Il est trop tard maintenant. « Mais je vais devoir la reporter. » je tapote le cadran de ma montre. « Ce n'est plus l'heure. Je vais devoir recalculer pour trouver un autre moment. » En même temps comment ne pas paraître dérangée au vu de mes propos ? Je ne me décrirais pas de dingue. Décalé pourquoi pas. « Tu cours souvent à ce que je vois ? C'est pour t'entretenir ou... ? » Je laisse mon dernier mot traîner car, un j'essaye de changer de sujet. Deux, généralement ce comportement linguistique amène l'interlocuteur à intervenir plus rapidement. Enfin normalement. Je l'ai lu dans une étude.

La mauvaise habitude qu’ont les gens se faire une idée sur une personne en ne se fiant qu’à leurs premières impressions me choquait. Chaque personne arrivait dans notre vie avec son propre parcours, ses erreurs, ses bons coups et ses échecs, ses blessures… Qui étions-nous pour les juger ainsi? Tolérante dans ma vie privée – tant et aussi longtemps que on l’a respectait, évidemment – et dans ma vie publique, je prenais toujours le temps de connaître les gens avant d’avoir une réelle opinion sur la personne. Et pour l’instant, dans mon court parcours au sein de cette émission, personne ne figurait dans la liste de ceux dont je pouvais me permettre d’émettre un quelconque jugement. Ana ne faisait pas exception. Je la connaissais assez, devais-je m’avouer. Peut-être qu’au fil de nos discussions, j’en découvrirais d’avantages sur elle. « Je ne suis pas une jolie princesse en détresse, je me débrouille très bien toute seule… enfin, la majorité du temps. » J’esquissais un sourire, me souvenait de la façon dont j’avais rencontré la jeune femme. Loin d'être digne de mention. « Tu m’as trouvé pendant un de mes rares moments de faiblesses. Ça ne compte pas. » lui signalais-je, plutôt amusé de la situation, au final. Être enliser dans la boue, quel mésaventure charmante. Par chance que la jeune candidate ici présente s’est trouvé sur mon chemin, car j’aurais pu passer quelques heures supplémentaires dans cette fâcheuse situation. Je la questionnais quant à sa présence au jardin, et elle me répondit pas l’affirmative. D’une certaine façon. « Oh, je vois, désolé te d’avoir interrompu. Tu planifies tes siestes à l’avance? » questionnais-je, ma curiosité piquée par ces quelques faits. Elle me retourna aussitôt une question, attendant de moi que je lui réponde dans l’immédiat, vu l’état dans lequel elle termina – ou pas – son interrogation. « Tous les jours, dans la mesure du possible. C’est le seul sport que je ne méprise pas. Je dirais même qu’en tant que masochiste, j’arrive même à l’apprécier. C’est un bon moyen de rester en forme et de décompresser. » C’était aussi le seul moment de la journée où je parvenais à faire le vide de tous mes tracas quotidiens. Je me retrouvais lorsque je courais, parce que pour une fois, je ne pensais qu’à moi, et au rythme de mes pas.

Je ne pouvais qu'approuver ses propos. Ce n'est pas un plaisir d'être une princesse en détresse. Rien que d'être une princesse ou de s'imaginer l'être doit être fort ennuyant, fort désagréable. Si l'on veut bien grandir et ne dépendre de personne, il faut apprendre à se connaître. Ses qualités, ses défauts, ses points forts, ses points faibles. Paraître impuissante dans n'importe quelle situation m'est insupportable. Rien que remplacer les rôles, être à la place de Christa ce jour-là m'aurait fortement agacé. Certes j'aurais trouvé une solution et assez rapidement, mais tout de même. Je n'aime pas être prise au dépourvu. « Je n'en doute pas, ça se voit. » dis-je naturellement. C'est vrai qu'à première vu Christa avait l'air plutôt débrouillarde, en tout cas elle m'avait étonné et dans le bon sens la semaine dernière. Elle ne s'était pas énervée ni trop inquiétée. Bien qu'elle n'était pas à l'aise, ce qui se comprend, elle contrôlait un minimum la situation. C'est un comportement que j'apprécie. « Je ferais comme si je n'avais rien vu alors. » Ne pas la mettre en débarras, je respecte cela. Pour affirmer mes propos je pose mes paumes de mains sur mes yeux. Ce geste ne dure que quelques secondes. Juste le temps de marquer ma promesse. « Oui. Je n'arrive pas à me reposer autrement. Tout est calculé chez moi. » dis-je amusée. Un mode de vie peu commun, mais tellement agréable et excitant. Cela fait tellement longtemps que je vis de cette manière que je ne me vois pas changer de rythme. Je l'écoute avec attention lorsqu'elle évoque son désir, son besoin de faire du sport. « Masochiste ? » dis-je surprise par le mot employé. « Tu l'es ? » Ma question est un bon moyen de me discréditer en quelques secondes, j'en ai conscience. Mais sa formulation m'interroge et je déteste rester sur un point non résolu.