~ Percy

C'est précisément vers les vingt-trois heures que je commence à avoir une fringale. Pas avant. C'est à se demander comment mon organisme fonctionne franchement. J'ai beau essayer de faire plaisir à mes camarades, bien que je sois sûr qu'il ne le remarque aucunement, en mangeant avec eux aux heures dites normales. Mais rien n'y fait. Je n'arrive pas à manger. C'est certainement un comportement d'enfant, un caprice même. Mais il m'est impossible d'avaler une bouchée à une heure conventionnelle. Je devrais me forcer, mais rien que le fait de les accompagner et de les regarder déguster les mets est déjà trop. Alors j'écoute. Acquiesce parfois, mime des coups de fourchettes, pour, dès qu'ils ont le dos tourner, mettre la nourriture dans une boîte et la caler dans le frigo lorsque la cuisine ce vide. Cela va faire une semaine que j'utilise ce système et personne ne m'a encore grillé. Je pourrais penser que je suis plus douée que je ne pourrais le penser, mais je ne suis pas dupe. Des gens ont dû le remarquer, ils ne veulent tout simplement pas s'embêter avec ce genre d'histoire. Ce qui n'est qu'avantageux, n'ayant pas particulièrement envie d'en parler ni d'évoquer le pourquoi du comment je suis autant déréglée. Il est donc maintenant onze heures du soir et deux minutes lorsque je rejoins la cuisine. Je sors tout doucement une casserole d'un tiroir. La pose sur les plaques, puis vais chercher dans l'un des placards un sachet de spaghettis. Il manque un ingrédient, l'essentiel. J'ouvre la porte du frigo et trouve exactement l'objet de ma recherche: de petites saucisses. Je referme la porte du frigo et étale tout sur le plan de travail. Remplit la casserole d'eau tout en sifflotant une balade. La met sur le feu et lorsqu'elle bout j'ouvre le paquet de pâtes avec mes dents. Coupe à la va vite les saucisses en petit morceaux puis enfonce ses petits bouts sur des groupes de trois spaghettis. Cela paraît bizarre dans un premier temps, mais c'est délicieux. Pendant que cela cuit, je décide de nettoyer la cuisine, au moins ce que j'ai sali. J'ouvre donc le placard situé en dessous du lavabo pour attraper l'éponge. Lorsque je le referme et que je me relève je me retrouve nez à nez avec Percy. Oui j'avais appris son nom depuis. "Je fais à manger t'en veux?" dis-je naturellement. Je ne suis pas égoïste, quoi que... bon d'accord je le suis. Mais je peux comprendre qu'au senti, parce que ça sent bon, ça donne envie de goûter.

A priori, la cuisine était bien le dernier endroit où Percy était censé se trouver à cette heure-ci, étant donné qu'il avait dîné deux heures plus tôt. Oui mais voilà, l'anglais était resté sur sa faim, au sens propre du terme, et avait ainsi tendance à rechercher quelque chose à se mettre brièvement sous la dent histoire de pouvoir dire qu'il était bel et bien rassasié. Seulement, avec lui le même problème se posait toujours : il ne savait pas préparer grand chose, alors il aurait tout intérêt à miser sur quelque chose de déjà prêt, même s'il était peu probable qu'un yaourt ou un fruit puissent trouver grâce à ses yeux. Toujours est-il qu'il entra donc dans la cuisine aux environs de vingt-trois heures, mais qu'il eut comme l'autre jour la surprise d'y trouver quelqu'un. Il y avait cette fille, Ana, qu'il avait rencontré dans le gymnase, alors qu'elle se la jouait équilibriste. A ses yeux, elle était restée une sorte de tarée, étant donné qu'il jugeait assez facilement ce qui s'éloignait un peu trop de ses propres goûts et qu'il devenait facilement rabat-joie lorsqu'il ne cherchait aucunement à se conformer à ceux des goûts. A cet instant précis, il se demandait en tout cas si comme lui elle était revenue dans la cuisine pour grignoter, néanmoins cette idée lui sortit de l'esprit au moment où il sentit comme une odeur de saucisses, ce qui ne semblait pas correspondre à un encas express. Et puis il s'approcha quelques peu et put effectivement constater que c'était plus un véritable repas qu'elle était entrain de se préparer, tandis que sa camarade chercha à savoir s'il voulait de ce qu'elle était entrain de faire. L'anglais ne savait alors plus ce qui le rendait le plus perplexe : qu'elle dîne à cette heure-ci, ou qu'elle s'imagine qu'il puisse être tenté par des spaghettis aux saucisses. C'est que ça sentait pas mauvais, loin de là, mais quand il était entré ici, il s'était plus imaginé avaler quelque chose de sucré, et pas franchement se retaper un repas. « Non merci, pour moi l'heure maximale propice à l'ingestion de saucisses est déjà passée » qu'il fit alors, forcé d'admettre qu'elle aurait pu ne rien lui proposer du tout, seulement voilà, il ne se voyait vraiment pas goûter à son truc en fin de soirée. Dieu sait pourtant que lui-même faisait parfois tout le contraire de ce que faisaient les autres, mais si son estomac savait s’accommoder d'à peu près tout et n'importe quoi, il en était moins capable passée une certaine heure, où le dégoût le guettait davantage. « Un jour funambule, un autre boulimique ... Tu fais exprès de m’apparaître comme quelqu'un de bizarre ? » Il la questionnait sur un ton relativement léger, puisqu'après tout il n'était pas toujours formellement contre la bizarrerie, c'est juste qu'elle le surprenait cette fois encore, et qu'il se demandait dans quelle autre situation il pourrait bien la trouver la prochaine fois.

Sa réponse ne me fait ni chaud ni froid. Tant pis pour lui ça en fera plus pour moi. Tout de même il ne sait pas ce qu'il rate. Cette recette qui à première vue ne paye pas de mines à tout de même fait ses preuves et comble généralement la fin pour quelques heures. Pile ce qu'il me faut donc. Je retourne à mes occupations, pensant finalement qu'il ne faisait que de passer. Mais apparemment, encore une fois, j'ai tort. Décidément je devrais être plus attentive au comportement physique de mes interlocuteurs. « Je ne suis pas boulimique. » dis-je à moitié outrée par sa supposition. Ce n'est pas parce que je ne mange pas à la même heure qu'eux qu'il faut me déclarer une maladie. Le décalage horaire il connaît ? Bien que ce ne soit pas le cas, ça aurait pu l'être. C'est tout de même fascinant comment les humains supposes le tout et n'importe quoi, emprunter le parcours de la facilité plutôt que de réfléchir un minimum ou même poser tout simplement la question du pourquoi je mange à cette heure. S'il m'avait posé cette question, il n'aurait pas supposé que je suis une personne bizarre, ou il l'aurait fait remarquer, mais en toute connaissance de cause. « Je suis bizarre. Si cela peut te faciliter la tâche. » Je ne dis pas que j'abandonne la partie, c'est juste qu'à un moment donné autant mettre carte sûr table. Oui c'est vrai je ne ressemble à aucune des autres candidates, je trouve que c'est un plus au moins on me remarque. Après cela va certainement apporter des inconvénients dans la suite du jeu. Mais je peux encore être tranquille, au moins pour une semaine. "Mais après si on réfléchit bien... tu l'es aussi. Tout le monde ici l'est. Il y a juste le degrés qui change." Est-ce un moyen de me rassurer? Pas spécialement, car j'ai beau approuver le fait que je ne rentre pas dans les normes, je le vis tout de même très bien. Suite à ma réponse je retourne à la préparation de mes pâtes qui s'avèrent bientôt prêtes.

Les saucisses n'étaient pas nécessairement ce qu'il pourrait manger le plus facilement à une heure comme celle-ci, il fallait bien l'avouer. Il voulait bien croire que certains aient un rythme un petit peu décalé, étant lui-même très bien placé pour le savoir d'ailleurs, mais à vingt-trois heures passées, non vraiment il ne se voyait pas manger ce genre de choses. C'était plutôt sympa de la part de sa camarade de lui en avoir proposé, ceci dit, mais il fut forcé de décliner sa proposition, n'ayant pas particulièrement envie de mettre son estomac à l'épreuve en cette fin de soirée, parce qu'il risquerait de le lui faire méchamment regretter, en l'empêchant de dormir par exemple. Toujours est-il qu'il jugeait quand même assez incroyable qu'après avoir vu Ana jouer les équilibristes, il tombe sur elle entrain de s'apprêter à déguster des saucisses à une heure pas très indiquée pour ça. La jeune femme lui apparaissait inévitablement comme quelqu'un de bizarre, ou tout du moins comme quelqu'un qui avait tendance à faire des choses assez bizarres, et même s'il ne le disait pas sur un ton péjoratif, il devait bien avouer qu'elle commençait à être un peu trop perchée pour lui. Sa camarade laissa alors entendre qu'elle n'était pas boulimique, en soi il ne l'avait pas prétendu d'un point de vue véritablement médical. Ainsi haussa-t-il doucement les épaules, l'air de dire que c'était tant mieux pour elle, hein, bon. Elle consentit alors à reconnaître qu'elle était bizarre, comme si elle était résignée, ce qui l'intrigua. « Tu serais un petit peu susceptible que ça m'étonnerait pas » articula-t-il, l'air de rien, en la fixant un petit instant. Pour une fois qu'il essayait d'employer un ton léger, qu'il disait les choses autrement que sur un ton exclusivement critique, ça ne semblait pas passer. Elle n'avait pas l'air réellement blasée, mais on aurait dit qu'elle n'avait pas complètement apprécié son petit commentaire. En dehors du fait qu'il ne l'ait pas dit tout à fait sérieusement, il fallait bien reconnaître qu'elle faisait des choses que lui ne ferait pas, par exemple. Maintenant, à ses yeux, elle avait au moins le mérite de présenter une certaine originalité. La candidate reprit alors la parole pour affirmer que tout le monde était en soi bizarre, mais à des degrés différents. « Alors, d'après toi, qui est le plus 'bizarre' de nous tous ? » Pour affirmer que tout le monde était plus ou moins bizarre, elle devait bien avoir observé certains de leurs camarades. Percy en serait incapable, lui, parce qu'il avait beau être observateur, il s'intéressait souvent à autre qu'à la propension de chacun à agir bizarrement. En l'état, il serait tenté de dire que c'était elle, Ana, mais d'une elle risquerait de se vexer pour de bon, et de deux il ne serait définitivement pas objectif, alors autant compter sur elle.