+Adnan

Toute mon après-midi a été accaparé, par un but bien précis, une chose qui me tenait vraiment à cœur. Et vous savez, quand ça me tient à cœur, j'y mets toute mon âme, je peux me montrer très assidu, très concentré et complètement dans ma bulle. Rien ne peux me perturber. Ainsi, j'ai écouté une certaine musique en boucle, jusqu'à en écrire les paroles sur un bout de papier. J'ai accaparé la guitare, me suis isolé toute l'après-midi pour répéter, pour que tout soit parfait, pour qu'aucune fausses notes ne puissent gâcher ma surprise. Le soir arrive à grand pas, je ne l'ai même pas vu arriver. Quand je vous dis que j'étais dans ma bulle. Je pense être accordé à ce niveau-là, alors je mets mon stratagème à exécution. Je fais le tour de la maison, regardant en priorité les chambres. Bingo, il est là, sur son lit, avec sa tablette. C'est juste ce qu'il me fallait, tous les éléments sont réunis. Je m'assure que personne ne se trouve au balcon, et fait quelques petits ajustements. Sur la table, je laisse trainer un petit mot avec écris : Regarde en bas. Je me change rapidement, enfilant une veste de costume uniquement en haut, avec un pantalon noir pour paraitre un minimum chic. Puis je redescends, dans le jardin, juste en bas du balcon, guitare à la main. J'envoie un dernier message avec mon ipad pour amorcer la bombe, le laissant deviner aisément de quoi il s'agit avec la photo que je poste. J'attends, quelques secondes, entourés de cinq lampes qui m'entourent, histoire d'être visible puisque l'obscurité montre le bout de son nez. En voyant sa petite frimousse, je commence à gratter la guitare.

 

Les paroles sortent de mes lèvres naturellement, de ma voix posée, mon timbre grave teinté d'une légère cassure. Je ne cherche pas à faire une démonstration vocale, je ne cherche pas à vouloir l'épater -ou pas avec ma voix en tout cas-. Le ton ne monte pas, il reste du début à la fin doux, le rythme est lent, bien plus lent que l'original. Si à la base, les refrains se veulent entrainant et montent d'un cran, moi j'opte pour la sobriété. Je chante, sans le quitter des yeux. Et ces quelques minutes se passent sans aucun soucis. « Surprise. » Je dis, un peu penaud parce que je me retrouve tout de même en bas du balcon, ma guitare accrochée au tour du coup et illuminé par des lampes. Je suis même un peu gêné quand j'arrête de chanter, parce que je sais pas quelle réaction il va avoir. « Il est pas si mal ton boys band finalement. » Je sors, l'air de rien, plaisanter pour mieux cacher mon embarras. Je pourrais remonter, mais j'ai envie de l'entendre le dire en fait.

J'adorais prendre des photos, partout, tout le temps, c'était un peu mon hobby favori en plus de m'occuper des autres. C'était peut-être étrange, mais l'idée même de capturer un moment me plaisait. Vous savez, juste figer le temps, garder un souvenir. Et des souvenirs, j'en avais un paquet puisque les murs de ma chambre étaient recouverts de photos en tous genres, que ça soit de la maison de retraite, de ma famille, de mes copains d'études ou bien des lieux qui m'avaient marqué. Ah ma douce Irlande, ce que j'avais aimé y passer du temps, le retour en Angleterre avait été compliqué, oui, et c'était à ces photos que je m'étais raccroché, si bien que ma chambre était devenue mon véritable jardin privé, personne n'y avait mis les pieds depuis quelques années déjà. Il faut dire que pas grand monde ne comprenait mes goûts non plus, que ça soit vestimentaire ou même décoratif. J'avais toujours été quelqu'un de particulier, de la tête aux pieds, alors forcément, trouver une tortue ninja ou un wolverine sur une de mes étagères, ça n'avait rien de très surprenant une fois que l'on me connaissait. Je collectionnais les photos oui, et les jouets également. Lorsque j'entrais dans un magasin de jouets, j'avais l'impression de revenir en enfance. Bien souvent, je tentais de me convaincre de ne rien prendre, de ne même pas jeter un seul coup d'oeil aux objets qui m'entouraient de peur de craquer, mais c'était toujours ce qui finissait par arriver. Le pire dans tout ça, c'est que ma fascination pour ledit objet ne durait en général pas plus d'un jour. On peut dire que j'étais un collectionneur oui, et que je ne savais absolument pas m'arrêter. Ici, tout me monde me manquait. Parce que je n'avais pas mes photos, parce que rien ni personne ne me rappelait l'ambiance intemporelle et unique que ma chambre m'offrait. Je m'étais considérablement renfermé sur moi ces dernières années, jonglant entre ma famille et mon travail. Il faut dire que j'avais pas mal bougé à travers l'Angleterre, avant de finalement trouver du boulot à Belfast. Je vivais encore chez mon père, oui, et n'avais aucune honte à le clamer. De toute façon, la villa était tellement grande que nous ne nous croisions qu'une ou deux fois par jour, chacun ayant plus ou moins ses appartements. Ça, je ne savais pas vraiment si ça me manquait. Je crois que je rêvais d'avoir un endroit à moi, mais d'un côté, j'imaginais déjà le chaos monstre qu'il faudrait éponger, ne serait-ce que pour déplacer toutes mes affaires d'un endroit à un autre. Ça prendrait des siècles pour des objets qui n'étaient pas importants aux yeux des autres, mais qui l'étaient aux miens. Ce soir là, j'essayais désespérément de trouver quelque chose à prendre en photo, mais rien ne venait. Alors, assis en tailleur sur mon lit, je triturais mon iPad pour naviguer sur mon blog, sans trop savoir quoi poster. J'en avais tellement des photos, peut-être un peu trop pour arriver à me décider, quand soudain, un message m'indique d'aller sur le balcon. Oh, vous savez, en général, j'obéissais sans même trop réfléchir. C'était assez naturel. Je poussais donc la porte pour me rendre sur celui ci, mes prunelles étant rapidement attirées par un bout de papier indiquant "regarde en bas". (...) En bas de quoi ? Un peu au hasard, je passais ma tête par dessus le balcon, et ce même si j'avais le vertige, me tenant bien fermement à la rambarde. La suite, je ne l'avais pas franchement vu venir, puisque c'était un Aaron à la guitare, jouant le morceau que je lui avais recommandé. Et il le jouait drôlement bien, si bien que je n'osais pas l'interrompre, ne le quittant pas du regard alors qu'un immense sourire ne cessait de s'étirer sur mes lèvres. J'aurais pu croquer un bout du globe avec. Une fois terminé, j'applaudissais comme un gosse de cinq ans assistant à son premier concert. « M-Mais... T'as appris ça quand ? » lui demandais-je tout excité, mes yeux crachants littéralement des feux d'artifices. D'accord, il ne m'en fallait pas beaucoup, mais bon, j'étais Adnan, il ne fallait pas l'oublier, et tout ce qui était romantico-cliché avait tendance à me plaire un peu trop, hm. « Evidemment, j'ai les meilleurs goûts au monde. » clamais-je comme si je le pensais réellement. « Euh... Tu voudrais pas monter ? C'est que... techniquement, j'ai le vertige. » Et qu'il serait fort regrettable que mon dernier repas vienne entacher ce si beau costume, qu'on se le dise. M'éloignant du bord, j'attendais donc qu'il me rejoigne, l'observant s'avancer « T'es drôlement chic, mais tu n'aurais pas du en faire autant pour moi. » Oh bien non, je ne le méritais pas, ou du moins, je ne le trouvais pas. « En tout cas, merci, c'était franchement chouette. » mes lèvres s'étirèrent en un nouveau sourire tandis que je passais une main sur ma nuque. « Tu vas pouvoir aller la chanter à Auguste, je suis sûr qu'il te tombera dans les bras ! » Bien oui, comment résister après tout ? Il avait déjà craqué une fois, j'étais certain qu'après ça, il serait forcément fou amoureux du garçon.

Son sourire, c'est toute la reconnaissance dont j'ai besoin en ce moment pour ne pas me sentir complètement ridicule. Ça occulte tout, c'est un remède miracle qui me pousse à continuer. C'est également un soulagement, voir que ma surprise lui plaise, qu'il ne pense pas que j'ai massacré une ses chansons préférés. Il m'arrache un léger rire lorsque je termine, et qu'il applaudit. Je me répète encore, mais il est vraiment adorable. « M-Mais... T'as appris ça quand ? » J'ai pas forcément envie de lui dire toute la vérité, que j'ai bossé là-dessus toute l'après-midi, ça casserait un peu le mystère. « Oh, je la connaissais déjà, j'ai juste pris un peu de temps pour m'en souvenir cet après-midi. » Je lui parle assez fort, parce que je suis toujours en bas, la tête levé vers le haut pour m'adresser à lui. Ce n'est pas totalement un mensonge à vrai dire, mais j'ai tenté de relativiser le temps que j'ai pu passer. Puis, c'était pas une corvée de toute façon, je l'ai fais avec plaisir. « Euh... Tu voudrais pas monter ? C'est que... techniquement, j'ai le vertige. » Oh, je n'avais pas pensé à cette variable dans l'équation, mais puisque ça n'a rien affecté, tans mieux. En tout cas j'entends les mots magiques, et je me décide à monter grâce à l'échelle de secours dépliée. Compliqué avec la guitare au cou alors je la range dans son étui et la porte sur mon dos. « T'es drôlement chic, mais tu n'aurais pas du en faire autant pour moi. » J'arrive au balcon, pose ma guitare sur la table à proximité, et vient déposer un bisou sur sa joue, tout ce qu'il y a de plus mignon et désintéressé. « Qu'est-ce que ça va être quand je sortirais le diner aux chandelles ? » Je plaisante à moitié, ne trouvant pas que j'en ai fais tant que ça finalement. Je lui avais promis après tout, sa chanson et je songe au diner, parce que j'aime voir ce sourire-là, lui faire plaisir, simplement. Il me remercie, je secoue doucement la tête en venant ébouriffer ses cheveux. « Je te l'avais promis cette chanson après tout... » Je fais d'un air détaché, ne voulant pas paraitre trop romantique non plus. C'est pas le but qui plus ait. « Tu vas pouvoir aller la chanter à Auguste, je suis sûr qu'il te tombera dans les bras ! » Sauf que ce n'est pas Auguste la personne que j'ai envie de voir tomber dans mes bras... Hm, je ne sais pas comment je dois prendre cette dernière phrase, surtout qu'il le dit de façon si spontané, si gentiment. Je suis presque déçu finalement, qu'il puisse envisager si facilement de me jeter dans les bras d'Auguste sans once de jalousie. Non vraiment, lui il est content de donner ses conseils. Je suppose que c'est une façon, surement inconsciente, de dire qu'il n'est pas intéressé. « J'y penserais. » Je lâche avec un sourire forcé, m'accoudant finalement au bord pour me mordre la lèvre. Je respire lentement, quelques secondes de répit en plus.