Paloma l'a senti, que le prime serait difficile, intense, haletant et foutrement désagréable. Ca n'a pas manqué. Elle ne comprend pas trop les pressentiments parfois si justes qui l'assaillent alors qu'elle est capable de ne pas percevoir un truc qui traîne juste devant son nez. En fait c'est un peu ça, son paradoxe. Paloma possède un instinct accru, développé. C'est un truc primitif, qui s'explique pas, un signe de sa pleine appartenance au monde qui l'entoure et qu'elle se plaît à observer, étudier, analyser de ses grands yeux qui s'émerveillent d'un rien plus que de raison. Mais en revanche, ça la rend pas meilleure juge de la nature humaine, parce que ça lui échappe. Les hommes sont pourtant plus concrets que la nature qui la berce et la veille mais ils lui échappent inexorablement. Faut croire qu'elle est trop droite, trop franche, trop bêtement sincère pour comprendre les comportements qui dévient tant de son cheminement interne, à elle. Mais l'essentiel est là. Quand quelque chose de sacrément merdique est sur le point de se produire, elle peut souvent le flairer. Ca tend ses muscles sans raison, ça picote sa nuque et balance une impulsion électrique désagréable dans le moindre de ses membres. Et ce soir ça n'a pas manqué. Paloma a perdu son partenaire et c'est con mais ça l'ébranle. Jaheim et elle étaient très différents, dans leurs caractères ou dans leurs passions, mais ils avaient appris à s'apprécier et cela, en dépit de leurs secrets. C'était reposant, ce sentiment-là, cette confiance offerte instantanément parce qu'on sait que l'autre ne nous cache rien. Ou du moins qu'il nous livre quelque chose que le reste du nid ignore. Paloma craint perdre certains de ses camarades après la révélation de son secret ou du leur. Elle a beau se promettre de ne pas juger, de se souvenir uniquement des moments précédant cet ultimatum, elle sait pas si elle aura cette force-là, ce courage-là, cette possibilité de faire table rase même si on l'a pris pour une conne, même si c'était que du vent. Elle a pas envie que ses souvenirs soient souillés comme ceux de sa relation avec son premier amour et qui maintenant lui font l'effet d'un bol d'acide lancé en pleine gueule. C'est con, de penser ainsi. C'est con parce qu'elle a été heureuse, avec lui. Souvent, même. En fait, il suffisait qu'il soit près d'elle pour qu'elle respire mieux, qu'elle vive mieux et que tous ses tracas fondent comme neige au soleil. Mais maintenant, tout ça n'a qu'un goût de cendre parce que Paloma sait que ça voulait rien dire, que tout ce qu'elle croyait partager avec lui, c'était du vent. Qu'elle a toujours été seule à vivre une histoire d'amour parce que l'autre s'amusait avec une poupée. Elle est un peu morose, ce soir. Entre l'abandon, les départs, la grossesse, les humeurs des uns et des autres, Paloma a l'impression d'être une éponge. Le genre d'éponge gonflée aux émotions qui ne lui appartiennent pas mais dont elle s'est gorgée sans le voir. C'est le problème des gens un peu altruistes, ils finissent toujours par souffrir, même quand c'est à travers les autres, pour les autres. Après le prime, elle traîne pas. Elle se faufile entre les candidats, entre les caméras, s'éloigne du bruit et de l'agitation pour se réfugier dans son monde à elle, plus joli, plus poétique aussi. Paloma élude les questions, les gestes, elle se dérobe à tout le monde, glisse comme l'eau vive de la montagne pour retrouver la chaleur rassurante et silencieuse du nid. Elle erre, sans but, et puis finalement décide de rejoindre la salle de bains pour tomber sur le reflet de Mallaury dans le miroir. Elle amorce l'ombre d'un sourire, parce que cette situation est familière ; comme aux castings, elle surprend le candidat devant la glace, le visage constellé de gouttes d'eau et l'air... contrarié. C'est le moins qu'on puisse dire. Paloma vrille ses prunelles concernées sur le reflet du miroir, puis sur Mallaury qui se retourne. « J'ai l'impression de revenir en arrière » glisse-t-elle de son timbre velouté, qui effleure au lieu de percuter. Son maigre sourire se fait la malle devant l'air fermé du candidat et surtout devant la dureté de ses propos. Paloma fronce un sourcil soupçonneux, étonnée par la véhémence de Mallaury, lui qui lui apparaît si doux, si humble, si prompt à apprécier tout le monde, même ceux qui lui rendent mal. « Pourquoi il jubilerait ? Parce que t'es triste ? Allons, il est bien trop égoïste pour se soucier de ce qui ne le concerne pas » qu'elle lance distraitement, d'un ton léger qui sonne un peu faux, comme si elle tentait de réconforter Mallaury sans y croire réellement. En fait, c'est juste qu'elle pige pas. Pourquoi Percy serait heureux ou encore pourquoi Mallaury est persuadé qu'il doit l'être. Comme lors de leur première rencontre, elle chasse ses propres tracas pour englober les siens. Ils disparaissent pas, mais se terrent loin derrière ses pensées vaporeuses toutes concentrées sur son camarade. Et comme la première fois, Paloma se hisse sur la paillasse qui borde les lavabos pour venir observer le visage de Mallaury, les jambes battant l'air. Elles se stoppent bien vite à sa réflexion, qu'elle balaye d'un haussement d'épaule. « Pourquoi tu penses ça ? » Ca fait deux pourquoi en deux phrases mais c'est le sentiment qui l'anime ; l'incompréhension, la volonté, le besoin même - impérieux - de comprendre. Les prunelles de Paloma s'ancrent dans celles de Mallaury et finissent par s'y installer durablement, abandonnant le navire qui les as menées sur l'eau translucides de ses yeux pour mieux sonder son âme. Paloma ignore la dureté de Percy à son égard, à vrai dire elle ne connaît de l'anglais que les quelques facettes qu'il lui livre ; le séducteur, l'arrogant, l'irritable. Le reste ? Encore inconnu, bien qu'elle n'abandonne pas l'idée de conquérir ces terres encore vierges. « Ca t'arrive jamais de penser que certaines personnes sont bien plus que ce qu'elles montrent ? Qu'il suffit de gratter un peu le vernis pour découvrir tout à fait autre chose, un bien plus précieux que les apparences ? Moi j'aime bien, me dire ça. Penser que même la plus dur des cailloux est une pierre précieuse qui attend d'être polie. Faut juste la bonne personne, le bon moment, le bon rythme et tout réunir, c'est difficile. On peut perdre sa vie à essayer là où quelqu'un d'autre arrivera à ses fins en un rien de temps, c'est une question de sensibilité. Ou d'alchimie. » Peut-être qu'Aslam, tordu avec elle, dominant et mauvais, se révélerait meilleur avec une autre. Paloma n'a pas la noblesse d'âme nécessaire pour l'espérer, mais elle y croit. Elle pense que y'a pas vraiment d'hommes mauvais mais qu'ils ne sont seulement pas faits pour tout le monde. C'est peut-être naïf, mais le monde ne serait pas aussi accompli si l'humanité était vraiment déviante... Non ?

Paloma fronce les sourcils et laisse son regard naturellement tendre couler sur les traits perturbés de Mallaury. Elle comprend pas ce qui lui arrive. Elle aimerait l'aider, vraiment, lui faire voir le monde de ses prunelles à elle même si ça dure qu'un instant pour espérer que ça suffise et qu'il se calme. Qu'il redevienne lui-même, angoissé, trop gentil. Parce que ça sert à rien, de s'accrocher comme ça à des sentiments néfastes, ça fait juste mal. Pas à Percy, qui s'en moquera bien, mais à lui-même. Et Mallaury n'est pas le genre de candidat qui mérite de souffrir, lui c'est plutôt le genre qu'on a envie de prendre dans ses bras, de câjoler et de susurrer que tout ira bien. Enfin, c'est ce que Paloma aimerait faire, l'enlacer, dans une réalité parallèle où elle se montrerait plus tactile. Mais la vérité, c'est qu'elle l'est pas et l'a jamais été, sauf lorsqu'elle est en couple. Elle sait pas si aime subitement se repaître de l'autre ou bien si elle souffre d'une forme légère de dépendance affective, un moindre mal qui la force à avoir sans cesse besoin d'être près de l'autre, de le frôler, de l'effleurer, de le dévorer du regard. De l'aimer, en fait. Mais le reste du temps, l'espagnole touche avec les yeux, elle caresse du regard avec la douceur d'une plume et ça suffit. Alors c'est ce qu'elle fait avec Mallaury. Elle le couve de ses prunelles tendres, faute de mieux. Elle dévisage son trouble, se concentre sur lui et espère l'aspirer d'une certaine façon, l'attirer jusqu'à elle et puis en libérer le candidat. Mais ça marche pas, parce que Paloma n'est pas une magicienne, il lui suffit pas de claquer des doigts pour faire s'évanouir le malheur des autres. Même si elle aimerait bien. Mallaury continue à parler, à parler de Percy, de sa personnalité désastreuse et de tous les défauts qu'il lit en lui. Paloma l'écoute, elle essaye de pas juger mais en fait, tout ça, ça la dépasse. Parce qu'elle ne pensait pas que Mallaury avait ça en lui, parce qu'elle ne considère pas Percy d'une façon aussi négative, loin de là. Parce qu'elle se demande comment il agit, avec lui, pour le pousser si loin dans ses retranchements que Mallaury craque. « Tu sais, je l'ai trouvé très con moi aussi de prime abord » qu'elle avoue dans un demi-sourire, espérant ainsi dérider un peu son camarade. Elle aurait pu dire détestable mais en fait, très con, ça correspond mieux. Ca montre le peu d'importance qu'elle lui a accordé, au crétin qu'avait des billets à la place du cerveau. C'est drôle, comme les premières impressions peuvent être faussées. Dorénavant, Percy est l'une des personnes ici qu'elle fréquente le plus et si Paloma n'est pas certaine de pouvoir se fier à lui tant que son secret fera barrage entre eux, elle l'apprécie. Vraiment. « Qu'est-ce qu'il t'a dit pour que tu sois aussi catégorique ? » demande-t-elle sobrement, doucement, recherchant la réponse dans ses prunelles qu'elle couve joliment des siennes. Mallaury n'est pas le genre à juger gratuitement, à consigner des rancunes inutiles et à s'ébattre joyeusement au milieu des provocations. Elle le sait, elle le sent. Paloma continue à promener ses yeux de biche sur lui, et puis elle finit par lancer dans un murmure, la voix étrangement plus basse. « Personne t'oblige à lui redonner une chance ou à aimer tout le monde c'est pas grave, si tu n'apprécies pas Percy. Promets-moi simplement de pas dépenser ton énergie à le détester, d'accord ? » Paloma, elle ordonne jamais. Elle demande, elle supplie, elle implore, elle souffle d'une voix languide, modulée, qu'a jamais l'air d'imposer quoi que ce soit mais qui suggère seulement. Et souvent, ça fonctionne, parce qu'on gagne beaucoup plus dans la conciliation que dans le conflit. Paloma lui demande de promettre, et c'est pas des paroles en l'air. Elle sait que détester quelqu'un, ça demande beaucoup et ça n'offre rien en retour. Doucement, elle se laisse tomber de son perchoir, atterrit gracieusement sur ses pieds et avance en direction de Mallaury. Oh, pas de beaucoup, juste de quelques pas. Juste assez pour que ses paroles, plus intimes, prennent une nouvelle dimension et qu'il soit capable d'en mesurer l'intensité sur sa peau. « Ce genre de sentiment, c'est néfaste. C'est toi que ça blesse, au final. C'est comme avaler du poison et attendre que ça soit l'autre qui en crève. » Paloma plante ses yeux sans fond dans les iris de Mallaury, comme pour acter un pacte silencieux, implicite. Elle sait qu'il n'est pas ainsi, à se raccrocher à sa colère alors elle se fait pas vraiment de soucis. Il finit par affirmer qu'il n'est sûrement pas la bonne personne et elle hoche sagement la tête. Elle prétend pas être cette personne, mais jusqu'à présent, Percy lui plaît et la réciproque, quoique fragile, semble se vérifier. « Je l'espère » note-t-elle simplement dans un sourire sobre, qui orne un instant ses lèvres avant de tirer sa révérence. Le silence tombe de nouveau sur la pièce et vient les entourer comme une bulle. Paloma ne fait rien pour l'estomper alors qu'elle attache avec désinvolture sa crinière brune. Et puis, le visage de Mallaury lui brise toujours autant le coeur, alors elle reprend la parole. Même si c'est son truc. Même si elle est plutôt nulle, avec tout ça. « Si tu en as envie, tu la reverras à l'extérieur... Ce n'est qu'une question de semaines tout au plus » susurre-t-elle, le timbre précautionneux, la voix aux allures de berceuse, comme si elle espérait réconforter Mallaury en le considérant comme un enfant effrayé par un cauchemar. C'est faux, mais Paloma aimerait tout de même balayer ses peurs, chasser ses tourments, faire fuir les monstres qui se terrent ici, même s'ils sont bien dfférents de ceux réservés aux enfants.

HJ ; c'est d'une platitude, j'suis désolée mais entre la fatigue & l'alcool...