Si Pia fumait on la retrouverait sans doute là la clope au bec, crachant aux yeux des nuages une fumée grisâtre qui, elle, s'évanouirait dans le ciel. Mais elle ne fume pas Pia, le drame d'une vie peut-être parce que parmi toutes les répliques de film qui servent à provoquer le coup de foudre c'est sans doute « t'as pas une clope ? » qui fonctionne le mieux. Alors tant pis, elle se contentera de sa vie de non-fumeuse célibataire libre comme l'air, puis toute façon la clope ça coûte de l'argent et c'est moins bon que les caramels. Accoudée à la balustrade, sans cigarette entre les doigts donc, elle regarde les étoiles. Les vraies étoiles, cette fois-ci. Pas celles qui sont suspendues au dessus de son lit et qui la regardent dormir la nuit, non. Ce ne sont pas des lumières artificielles suspendues au bout d'un fil. L'ampoule ne peut pas sauter. Chose idiote, elle s'amuse à les compter. Elle en est à trente-cinq lorsqu'elle entend quelqu'un arriver. Elle laisse l'individu se rapprocher avant de tourner la tête vers lui. Un fin sourire se dessine sur ses lèvres en le reconnaissant. « 'Soir. T'es venu me voir parce que t'as trouvé une autre blague sur les roux et que tu voulais m'en faire part ? », elle lui lance, comme ça, en référence à leur dernière rencontre.  « Quoi que là, ça ne se voit pas trop. On dit que la nuit tous les chats sont gris.. ». En réalité, la nuit, on ne voit que les yeux des chats et rien d'autre. Mais c'est le proverbe qui le dit, alors..

« Non, c'est bon, je m'en suis lassé ». Elle sourit avant de reporter son attention sur le ciel. La lune est aux abonnés absents ce soir, du moins elle ne la voit pas. Chose puérile, elle se demande où est-ce qu'elle a bien pu passer et qui est la personne avec qui elle joue à cache-cache. Elle rit simplement lorsqu'il rétorque qu'il peut lui en trouver une si ça peut lui faire plaisir. « Tu risques d'avoir du mal à innover. ». Elle hausse les épaules. Les vannes sur les roux sont toujours les mêmes. Les surnoms à la poil de carotte, les curieux qui te demandent si c'est vrai que ça sent le poisson dans ta culotte et qui veulent venir vérifier par eux-mêmes. Depuis le début de l'émission elle a surtout eu droit aux vieilles croyances moyenâgeuses qui veulent que les rouquins soient partisans du diable. C'est peut-être bel et bien son secret, qui sait ? « J'me préfère rousse aussi cela dit, ça doit pas avoir la même saveur d'être brun. ». Pas moyen d'engager la conversation sur une blague plus ou moins drôle. Aucun stéréotype, rien à se mettre sous la dent. Il n'y a que les blonds qui connaissent ça aussi, et encore. « Ça serait franchement triste et chiant de tout voir en gris. » Elle acquiesce. « C'est sûr. Y'a beau y avoir plusieurs nuances de gris, je pense que ce serait franchement déprimant. ». La vie à travers un filtre monochrome. Même les étoiles n'auraient pas la même saveur. « C'est drôle de savoir qu'en réalité, elle sont mortes. Alors que c'est ce qui a l'air le plus vivant autour de nous.. », elle observe, pensive. « J'arrive pas à décider si c'est triste ou pas. » On n'a jamais vu plus beaux cadavres que ces lueurs qui dansent dans le noir en tout cas.

Généralement, dans les films, c'est une de ces scènes durant laquelle l'héroïne voit passer une étoile filante. Le type à côté s'enquiert de d’avoir si elle a fait un vœu, et voilà que la blonde répond que oui, un sourire mystérieux sur les lèvres, gardant ses désirs pour elle. Pas d'étoile filante cette nuit là, et d'ailleurs la rouquine ne croit pas en avoir déjà vu, au point qu'elle se demande parfois si c'est une légende. Aucun doute en tout cas, si une des douces lumières décidait de s'enfuir en courant sous ses yeux écarquillés, elle sait quel vœu elle ferait présentement. Sans aucun doute celui de pouvoir retrouver le sommeil tel qu'il l'avait été depuis le début de l'aventure : tranquille, et plus jamais seul. Encore faudrait-il qu'un des astres vienne à filer. De toute façon, elle ne croit pas aux prières et aux vœux, Pia. D'aussi loin qu'elle se souvienne, elle n'y a jamais cru. Elle pose un regard étonné sur le brun lorsqu'il lui répond qu'elles ne sont pas mortes. Que ça aussi, c'est une légende, un mythe purement urbain comme il y en a tant. « On ne voit pas des étoiles mortes, on voit des étoiles telles qu'elles étaient il y a un certain laps de temps. Le temps que met la lumière pour arriver d'une étoile jusqu'à nous, qu'on calcule en années lumières, varie selon la distance à laquelle elle se trouve. Le soleil, par exemple, tu le vois tel qu'il était huit minutes auparavant, parce que sa lumière met huit minutes à nous parvenir. Les distances les plus longues qu'on connait entre les astres les plus lointains et la Terre ne représentent que quelques millénaires à peine. Autrement dit, un battement de cil dans la vie d'une étoile. Donc c'est très, très peu probable qu'une étoile soit justement en train de mourir au moment où sa lumière partait dans notre direction. À notre époque, il n'y a qu'une exception potentielle. ». Elle l'écoute avec attention, sans bruit. Comme elle est rarement capable d'écouter et comme elle n'a jamais écouté lorsqu'on pouvait encore parler de son parcours dans la scolarité. Elle ne sait pas trop quoi répondre, hésite, décontenancée, comme lorsqu'on la poussait à participer lorsque son clapet restait fermé. « Je savais pas.. ». En réalité, elle sait peu de choses, Pia. « T'es astronome ou quelque chose dans ce goût là ? Moi quand j'étais gosse, je voulais devenir astronaute. Peut-être que je l'aurai su, alors, j'aurai fait de l'espace mon métier en quelque sorte. » Mais elle n'est pas astronaute, Pia. Elle est serveuse dans un restau-bar, elle sait jouer de la guitare et à vrai dire c'est à peu près tout ce qu'elle sera jamais capable de faire. Aucun risque qu'elle aille un jour tâter les étoiles pour voir si elles sont encore là. Elle reporte son attention sur le ciel pour suivre ce qu'il lui montre du bout des doigts. Un sourire vient éclairer son visage lorsqu'il prédit que même d'ici des millions d'années il y en aura d'autres qui regarderont au même endroit. « On les représente souvent verts, mais j'sais pas ce qu'il faudrait qu'il se passe pour eux pour qu'ils en arrivent là.. Vaudrait mieux qu'ils soient roux, franchement. Peut-être aussi qu'ils auront un troisième œil et six doigts ? » En réalité elle n'en sait rien et personne ne peut le savoir. Nul doute que quand cette espèce du futur sera là, elle rira bien de leurs suppositions de pauvres humains qui rêvent sur un bout de terrasse.