w/lou

Il y a des nuits comme celles-ci, où le corps d’Alistair est fatigué et tourne au ralenti, mais son esprit lui interdit de sombrer dans les bras de Morphée, ne serait-ce qu’une heure ou deux. Alors il abdique généralement bien vite, et aujourd’hui ne fait pas exception à la règle. Il n’est pas loin des deux heures du matin, le nid est pratiquement désert et le silence règne dans les couloirs. Autant dire que pour trouver quelqu’un qui soit en mesure de le distraire et de l’aider à faire passer le temps, c’est peine perdue. Il se dirige donc en direction de la bibliothèque, un endroit qu’il aime particulièrement, en bon féru de lecture. C’est un peu le seul de ses loisirs, parce que cela ne nécessite pas de contacts avec les autres ni même un certain talent inné depuis la naissance. Et secrètement, ça lui permet de s’évader l’espace d’une lecture, de ne pas penser à sa vie misérable mais plutôt de s’imaginer vivre les nombreuses aventures des héros des livres qu’il lit. Il est un peu rêveur quand il se trouve dans une bibliothèque, même s’il ne l’a jamais admis à quiconque. Une fois dans la pièce, il passe une dizaine de minutes à choisir le livre parfait, celui qui saura l’occuper une bonne partie de la nuit et dans lequel il sera happé au point de ne pas voir l’heure s’écouler. Finalement son choix se porte sur un titre dont il a déjà entendu parler sans pour autant s’y intéresser auparavant, la vérité sur l’affaire Harry Quebert. Adjugé  vendu, il s’en empare et prend place sur l’un des fauteuils à leur disposition et se plonge dans la lecture du livre. Absorbé par celle-ci, il ne relève même pas les yeux quand il entend la porte s’ouvrir, environ une demi-heure après qu’il se soit installé. Il imagine que la personne qui vient d’entrer respectera le code de silence de la bibliothèque. Et puis, au bout de quelques instants, il a un mauvais pressentiment et il daigne poser ses prunelles sur la personne qui vient d’entrer. Il avait bien raison de l’avoir, ce pressentiment, puisqu’il reconnait Lou. Et autant dire que c’est la dernière personne qu’il a actuellement envie de voir. Pour seule réaction à son intrusion dans sa bulle de tranquillité, il pousse un léger soupir qu’il ne prend pas la peine de dissimuler. Et décide de ne pas prêter attention au marin plus longtemps, reposant ses prunelles sur son chapitre. Si Lou est ici, c’est sûrement parce que lui-même souhaite lire un livre, Alistair l’espère, car cette possibilité voudrait dire que Lou ne se préoccupera pas de lui. Et c’est tout ce qu’il demande dans l’immédiat. Ceci dit, il n’arrive plus totalement à s’immerger dans sa lecture, surveillant du coin de l’œil son camarade.

J’ai chopé ce virus la semaine dernière, et même si mon état s’est arrangé, il y a toujours des moments où mes maux de tête sont plus ou moins intenses. Comme maintenant. Ça cogne assez violemment à l’intérieur, alors impossible de dormir. Et puis, je n’ai pas envie de contaminer Tilda. Il manquerait plus qu’elle tombe malade par ma faute, je m’en voudrais pendant très longtemps. Alors j’avais fini par sortir de mon lit, enfiler un jogging et un t-shirt et je m’étais rendu à la bibliothèque. J’avais toujours beaucoup aimé lire. M’instruire en général, que ce soit sur tout et n’importe quoi. Alors je m’étais automatiquement dit que ça me ferait passer le temps, et peut-être même que ça m’aiderait à m’endormir, pourquoi pas. De toute manière je n’avais rien de mieux à faire, surtout à cette heure-ci. Et lorsque je me rends dans la fameuse bibliothèque, je me rends compte que je ne suis pas le seul candidat à avoir eu cette idée. Il y a Alistair qui est là, assis sur un fauteuil, à lire un livre. Mon cher Alistair, mon fan n°1. L’amour de ma vie. Il avait beau ne pas du tout m’aimer, moi je l’appréciais bien, bizarrement. Sûrement parce que je ne réfléchissais pas comme les gens normaux. Qu’importe, j’avais décidé de le laisser tranquille pour le moment, histoire de chercher un livre intéressant à lire. Mais au bout de quelques minutes, je me rends compte que mon envie d’embêter le candidat est plus forte que mon envie de lire. Je n’y peux rien s’il y a ce petit démon en moi qui s’éveille seulement aux côtés de Alistair. À croire que le croque-mort en lui éveillait le diable en moi. C’était une histoire d’enfer tout ça, et il était le seul responsable. Ou pas, hm. Je finis donc par m’approcher de l’homme le plus heureux de la terre pour prendre son livre des mains, comme ça, sans prévenir. D’habitude je n’aurais jamais fait ça à qui que ce soi, vraiment. C’était seulement parce que c’était Alistair que je me permettais de prendre son livre comme ça, tout simplement parce que j’avais envie de l’emmerder. «  Tu lis quoi ? Ça parle de quoi ? C’est bien ? » je demande alors que je feuillette rapidement le livre lui faisant perdre sa page par la même occasion. Pauvre Alistair, il était là au mauvais endroit, au mauvais moment.

Il fallait que ce soit Lou. Sa malchance l’avait laissé tranquille ces derniers temps – si l’on fait abstraction de sa nomination la semaine passée – il fallait bien que celle-ci réapparaisse à un moment ou à un autre. Et c’est ce soir qu’elle se décide à redonner des nouvelles, en mettant Lou sur son chemin. Ce n’est clairement pas le bon soir pour qu’il rencontre le marin, en sachant qu’il accumule du sommeil en retard et que la seule présence de Lou suffit à l’agacer. Mais faut croire que ce dernier est bien luné ce soir, puisqu’il se contente de chercher un livre à lire. Il ne peut pas s’empêcher de penser que c’est trop beau pour être vrai, qu’il cherche juste l’encyclopédie la plus lourde pour la lui lancer dessus. Il ne se trompe qu’à moitié, la tranquillité est de courte durée mais, heureusement, Lou ne compte pas l’agresser. Du moins pas physiquement. Il lui arrache son livre des mains et lui pose diverses questions, un comportement digne d’un gamin de cinq ans qu’on a privé de goûter. « C’est Apologie d’un emmerdeur, écrit par un certain Lou. »  Il grince entre ses dents. « Quelle coïncidence. » Alistair doit quand même reconnaître un avantage à Lou : il l’aide à améliorer sa patience. Parce que la patience, ce n’est pas toujours son fort, surtout pas quand on le provoque comme le fait le candidat. S’ils étaient quelques années en arrière, Lou se serait fait refaire le portrait en bonne et due forme dès le moment où il a avancé cette hypothèse foireuse sur la façon dont les parents d’Alistair l’ont traité quand il était plus jeune. Il est chanceux, dans un sens, que sa condition l’oblige à rester calme et à ne pas donner raison aux provocations des autres. S’il est désormais un peu plus patient qu’il l’était à une époque, il n’empêche que Lou met ses nerfs à rude épreuve et que ce serait mentir que de dire qu’Alistair n’a pas rêvé une seule fois, depuis leur précédente rencontre dans la forêt, de le gratifier d’un coup de poing amplement mérité. Ceci dit, si pour l’instant rester calme face à Lou relève de l’épreuve, ce n’est pas dit que cela ne change pas. « Je vois. »  Il pousse un soupir, avant de passer une main sur son visage. « Aaron ne t’a pas gratifié de la fessée du jour, alors tu passes tes nerfs sur moi. »  Il déclare, résigné à ne plus profiter du silence que lui offrait pourtant cet endroit. Lassé, aussi, il ferme les yeux et fait basculer sa tête en arrière pour s’appuyer contre le dossier du fauteuil. Il s’était promis de ne pas prendre part au petit jeu de Lou, mais il y a un moment où sa patience a des limites. Et il le regrette déjà, compte tenu du répondant du marin, il ne tardera pas à trouver une autre saloperie à lui envoyer au visage. Alistair s’en réjouit déjà.

C’est peut-être étonnant, mais j’adore Alistair. Oui, je l’adore, ni plus ni moins. Je ne le connais presque pas, mais j’adore son attitude. Je le trouve drôle. Même si je me doute qu’il n’a pas l’intention d’être drôle. Il n’y avait qu’à voir l’expression qu’il arbore sur son visage. Il a un air sévère et exaspéré. Le pauvre, il devait vraiment être malheureux dans la vie, ce type. Alors je m’étais dévoué pour le rendre un peu plus joyeux. Ou pas, en fait. Je ne me gêne pourtant pas pour lui prendre le livre des mains et me mettre à le feuilleter sans vraiment lire quoi que ce soit, tout ça rien que pour l’embêter. Et bien évidemment, ça marche. Il n’y a pas à dire, ça m’amuse. Et sa réponse me fait rire. Non, vraiment, ce mec était drôle sans même s’en rendre compte, j’en étais presque triste pour lui. «  Il doit être super intéressant ce livre. » Je commente en souriant. Eh bien oui, surtout s’il était écrit pas un Lou. Ils étaient grave cool, les Lou. Il n’y avait qu’à me voir. Enfin, il n’a pas trop l’air d’accord avec ça, vu le regard qu’il me lance. Mais je m’en fiche un peu, ce n’est pas ça qui va me faire fuir. Je finis par m’asseoir sur le fauteuil à côté de lui, n’ayant franchement pas l’intention de partir maintenant. Non, je voulais parler avec mon meilleur ami Alistair le croque-mort. Qui ne voudrait pas parler avec lui, hm ? Presque tout le monde, en fait… Mais moi, je ne voyais pas les choses de la même manière. Et il me confirme qu’il a un potentiel humoristique en parlant de Aaron. Je ne peux pas m’empêcher de rire, me fichant pas mal de briser le code du silence de la bibliothèque. Après tout, nous étions que deux ici, personne d’autre ne pouvait être dérangé par le bruit. «  Tu n’imagines pas à quel point je suis frustré, je l’avoue. » Ou pas, en fait. Mais j’entrais assez facilement dans son jeu. Après tout je n’étais pas du genre à m’offusquer à dire que je n’étais pas adepte de fessées. Je préférais en jouer. «  Mais c’est bien Alistairounet, je suis fier de toi, tu parles de plus en plus. » Je commente, souriant. «  Ta maman serait pas très contente, mais ce n’est pas grave, grand-frère Lou te donne un bon point. » Oui, je me moquais légèrement de lui. Mais c’était gentillet, et ça devait sûrement se voir au sourire que j’arborais. «  Pourquoi tu ne dors pas ? » Je demande alors, passant du coq à l’âne.

Lou n’a pas besoin d’ouvrir la bouche pour que sa présence relève de l’insupportable pour Alistair. La simple attitude du marin suffit à l’agacer plus que de raison. Ce petit sourire satisfait qu’il affiche, le ton de sa voix, sa façon de bouger, tout l’agace, jusqu’à la racine de ses cheveux. Non, clairement, Alistair n’est pas du genre à détester quelqu’un – c’est plutôt l’inverse en fait – mais Lou, oui, il le déteste. Et le pire, c’est qu’il est persuadé que Lou le sait très bien mais qu’il s’amuse de la situation. Le commun des mortels ne s’acharnerait pas ainsi. Le commun des mortels l’aurait frappé depuis longtemps, aussi, et s’ils n’étaient pas enfermés ici où la violence n’a pas sa place, il se serait permis de remettre Lou a sa place. Autant dire que son poing le démange et que cela relève presque de la torture que d’écouter le candidat le provoquer ainsi. Surtout qu’il ne se contente plus des mots, mais mise désormais sur les gestes, à en voir la façon dont il lui arrache son livre des mains. Il agit comme un gamin de cinq ans, Alistair lève les yeux au ciel, exaspéré. C’est Apologie d’un emmerdeur, dit-il, en espérant que le message soit passé. Et il l’est, il en est certain, seulement Lou ne s’arrêtera pas aussi facilement. S’il est super intéressant, comme livre ? « Pas vraiment, non. » Si un tel livre existait, il est quasi certain qu’il serait plus utile pour alimenter un feu, puisqu’écrit par un Lou, ce qui n’est pas synonyme d’un gage de qualité. En parlant de livre, il était plongé dans sa lecture, ce roman étant pas trop mal, alors autant dire que le comportement de Lou passe mal. Très mal. Alistair a essayé de ne pas rentrer dans son jeu, mais c’est peine perdu, le voilà qui rebondit en évoquant Aaron. Quand Lou commence à rire, il a très envie de lui balancer une encyclopédie à la gueule pour le faire taire, mais encore une fois, il ne mettra pas sa présence ici en danger. « Je n’ai pas envie d’imaginer. » Et c’est là que Lou lui réplique que même s’il n’en a pas envie, il est totalement en mesure de le comprendre puisqu’il se prend régulièrement des fessées depuis qu’il a quatre ans, à chaque fois qu’il ouvre la bouche ? Ses oreilles grincent quand Lou l’affuble d’un surnom aussi atroce que ridicule. Il déteste les surnoms, mais pourtant, il préférait mille fois qu’on continue de l’appeler Ali comme certains candidats se le permettent plus qu’Alistairounet. Non vraiment, rien que de repenser à celui-ci, une légère grimace s’affiche sur son visage. Il préfère ne pas noter la façon dont Lou dépeint sa mère, dans la continuité du portrait qu’il a fait de ses parents lors de leur rencontre dans la forêt, comme étant des gens qui utilisaient Alistair comme punching-ball humain. Il lui avait pourtant fait comprendre à Lou, que parler de ses parents n’étaient pas une bonne idée en plus de ne pas être ses affaires. « Grâce à toi, je réalise le bonheur d’être fils unique. » Il soupire à la remarque de Lou. Dieu merci, il n’a pas hérité d’un grand-frère comme Lou, car il est probable que la relation que les deux auraient entretenue auraient relevé plus de la haine que de l’amour fraternel. Il relève la tête en direction de Lou quand celui-ci lui demande pourquoi il ne dort pas. « La raison ne t’intéresse pas. » Il siffle, agacé par ce soudain changement de comportement. Qu’il ne commence pas à lui faire croire qu’il s’intéresse soudainement à lui, il n’est pas assez idiot pour tomber dans le panneau. Peut-être que lors de leur précédente rencontre, Alistair aurait potentiellement donné une seconde chance à Lou, mais c’est trop tard, il n’a aucune envie de lui donner ce genre d’informations ni de tenter de sympathiser avec lui. L’idéal serait qu’il l’ignore complètement, mais le marin a le chic pour toujours se trouver sur son passage et surtout, ne pas ressentir le besoin de le laisser en paix. Et la paix, il pense naïvement l’obtenir en ne disant rien de plus, pour ne pas provoquer Lou et surtout, pour ne pas user sa salive pour quelqu’un qui n’en vaut pas la peine.