Vingt-heure, la nuit s'étire paresseusement. Ça fait déjà un moment que le soleil a cédé sa place à la lune, aucune étoile dans le ciel pourtant. C'est comme si les astres jouaient à cache-cache avec les nuages noirs avant de daigner se montrer à l'ombre de leurs regards. Elle les attend, Pia, elle n'est pas chiante, elle veut bien patienter. Elle tourne dans le jardin, attendant d'aperçevoir la première, ses pas la guidant elle ne sait trop où et elle s'en fou. Elle a besoin de marcher, de se donner l'illusion d'avoir un minimum de liberté de mouvement, autant qu'on peut en avoir lorsqu'on foule les mêmes lieux chaque jours et qu'on y croise les mêmes gens. Sa vie ne lui manque pas, pas pour le moment, elle sait que le retour au dehors se fera bien assez tôt, question d'une poignée de jours, quelques semaines tout au plus. Dès fois, le nid semble trop étroit pour tant de gens. Alors elle marche. Elle fuit, un peu. Elle se débine, sans doute, mais c'est qu'elle a du mal à s'entendre penser et ses pensées lui font un peu mal, aussi. Elle n'a pas l'habitude de se poser trop de questions alors dans son crâne c'est l'innondation, maintenant. Elle s'attarde sur les awards, elle a presque pu remporter celui de candidat le plus ennuyeux, l'accès à la hall of fame, n'est-ce pas ? Elle n'a pas pour habitude d'accorder trop d'importance au jugement des gens, Pia, mais c'est difficile d'être nommé vilain petit canard aux côtés de grands cygnes qui décrochent les oscars du plus sexy au plus méritant. Au moins elle était fière de voir que son duo avec Andreja était placé sur la troisième marche du podium des meilleurs binômes, mais elle doutait un peu de son influence dans le jugement, l'impression tenaillante que c'était sans doute lui qui l'avait traînée là avec son charisme qui renverse tout le monde sur son passage. Elle arrive devant la fontaine, reste plantée là, à regarder les pièces qui se noient. Ils en savaient quelque chose, tous, de son potentiel sympathie. Certaines de manière plus rapprochée que d'autres, si on se fiait aux images de la rubrique d'Akela d'hier soir. Est-ce qu'il a réellement tringlé Jessica une nouvelle fois, sur la roulette ce soir-là ? Elle sait qu'elle ne devrait pas se poser la question, couper court à son imagination, lui demander sans doute. De quel droit ? Il n'avait pas signé un contrat de chasteté lorsqu'ils étaient devenus partenaires. Il ne l'avait même pas choisie. Elle attrape un caillou et le jette dans la fontaine et d'autres viennent lui succéder, en impacts qui viennent briser le calme de l'eau. C'est là qu'elle voit une silhouette qui se rapproche. Elle tourne la tête. « J'essaye avec des cailloux. J'sais pas si ça marchera. ». Elle brise le silence, un demi-sourire de lune figeant ses traits, ses yeux fixés sur Adnan. Ces conneries là, ça ne marche jamais de toute façon, qu'on y jette des cailloux, de l'or ou qu'on aille s'y plonger jusqu'au cou. C'est des croyances, ça, à ranger dans un placard avec les fées, la magie, les druides, les licornes, Dieu et tout ce en quoi ils faisaient semblant de penser. Elle aimerait bien croire, Pia, mais elle n'a jamais su comment faire. Handicapée des songes. Drôle de maladie. « Si tu pouvais demander un truc, là, maintenant, ce serait quoi ? ». Elle lui demande, reportant son regard sur l'eau redevenue tranquille. Qu'est-ce qu'il demanderait si on faisait semblant un instant de croire aux mensonges qu'on raconte aux petits enfants ?

Je crois que ce prime là avait été compliqué pour à peu près tout le monde. Que ça soit au niveau des awards comme des questions posées, ou même des révélations faites, l'aventure semblait s'intensifier de jour en jour et clairement, je me sentais de plus en plus en danger. Je ne parlais bien évidemment pas de ma place, bien que je me savais sur un siège éjectable depuis le début, mais bel et bien de moi. Je m'exposais comme jamais ici. Nous le faisions tous, et c'était assez difficile à gérer, car qui parlait d'exposition, parlait forcément de faiblesse. On était tous nus, les uns alignés, attendant de se faire descendre, du moins, c'était la vision que j'avais après ce prime. Pourtant je ne voulais pas paraitre faible, non, je crois qu'il fallait au contraire puiser toutes ces choses négatives pour en faire des forces. Pas certain que je réussisse à appliquer mon propre conseil, mais ça ne coutait rien d'essayer, n'est ce pas ? J'avais donc choisi d'y croire, ne serait-ce qu'un peu, je trouvais qu'il s'agissait d'un bon commencement, même si c'était plus simple à dire qu'à faire. Je n'allais plus penser à toutes ces images qui avaient hanté durant toute la nuit passée mon esprit pour ne me consacrer qu'aux choses positives. Comme à mon habitude, j'allais mettre de côté mes problèmes pour faire passer ceux des autres avant, en espérant pouvoir leur apporter le peu d'aide que j'avais à leur offrir. La nuit commençait peu à peu à tomber, le bleu du ciel s'éclatant pour laisser place à des couleurs plus orangées tandis que je traversais le jardin, ne tardant cependant pas à remarquer Pia qui se tenait non loin de là, près de la fontaine. Elle lançait ce qui me semblait être des cailloux, et de toute évidence, son humeur ne semblait pas au beau fixe. Si je pouvais demander quelque chose, n'importe quoi ? J'avais l'impression d'avoir la même conversation qu'avec Andreja la semaine passée, sauf qu'aujourd'hui, je n'avais plus forcément les mêmes envies. J'allais souvent là où le vent me menait, changeant d'avis et d'envies comme de chemise et ce sans regret. « Je crois que je demanderais juste que l'on me donne envie de sourire. » dis-je en haussant les épaules tout en prenant place sur le bord de la fontaine. Parce que c'était ce qui comptait non, être heureux, qu'importe les moyens ? « Et toi, pourquoi tu ne souris pas ? » J'avais l'habitude de connaitre une Pia plus pétillante que ça, pour le coup, je me demandais bien ce qui pouvait la tracasser.

« Je crois que je demanderais juste que l'on me donne envie de sourire. ». Elle pose son regard sur lui, vraiment cette fois, comme si elle cherchait à voir à l'intérieur de lui, à creuser Adnan pour découvrir ce qu'il cache. Elle l'avait toujours vu souriant, le brun. C'était le genre de personne qu'on avait du mal à s'imaginer maussade, qui laissent à penser que tout va pour le mieux dans le meilleur du monde. Et il ne sourit pas, ce soir, Adnan. Son sourire est tombé à l'eau. « Si tu crains les chatouilles, ça peut s'arranger. Ou si t'aimes les pâtes, aussi, comme ça je peux aller t'en cuisiner, si tu veux. ». Elle dit, avec un pâle sourire dans lequel se reflète la lune. Il faut faire sourire Adnan, peut-être que si il sourit elle sourira aussi, peut-être que c'est pas plus compliqué que ça. Elle repêche son sourire et comme ça on lui en offrira un. « Et toi, pourquoi tu ne souris pas ? ». Oui, d'ailleurs, pourquoi tu ne souris pas, Adnan ? Mais c'est à elle qu'il pose la question. Et elle ne sait pas, Pia, elle reste un instant sans répondre, les yeux perdus dans le vague. « Tu sais quel jour je déteste le plus ? ». Sa voix fini par s'élever cependant, alors qu'elle s'assoit sur le bord de la fontaine en soupirant. « Le dimanche. Et ici, c'est encore pire. ». C'est stupide de détester des jours, il n'y a que les gosses qui font ça, ils n'aiment pas le lundi parce que c'est le retour à l'école, ils n'aiment pas le samedi parce qu'on est obligé de rendre visite aux grands parents. Pia n'a jamais grandi, elle, et elle déteste toujours le dimanche. Elle répond à côté, sans doute, incapable de mettre des mots sur ce qui l'ampute de son sourire vraiment. « Tu sais, j'avais voté pour toi, pour l'award du candidat le plus attachant. ». Elle lui dit sans trop savoir pourquoi, parce que ça ne sert sans doute à rien, mais qu'elle a eu envie de lui dire sur le moment. Elle attend un instant avant de reprendre, un peu hésitante. « C'est par rapport à ce qui s'est dit au prime hier ? ». Elle ne précise pas l'idée mais elle sait qu'il comprendra. Elle ne sait pas à quel point ils sont proches, Aaron et lui, ni même si les images qu'Akela ont dévoilé lui ont retourné l'estomac comme ça a été le cas lorsqu'ils ont laissé deviner la scène entre Jessica et Andreja. C'est peut-être complètement autre chose, peut-être même qu'il ne souhaite pas en parler. Elle elle aimerait lui parler, réussir à lui extorquer au moins l'ombre d'un sourire, un rire caché à la commissure des lèvres, quelque chose qui lui prouve que si elle n'arrive pas à feindre le bonheur ce soir elle est toujours capable de susciter ça chez quelqu'un.