XIII
ft. Paloma & Andreja

Il n'avait pratiquement jamais le temps de lire. Pendant une petite période, avant qu'il ne quitte la Bosnie, il avait eu tout le temps qu'il souhaitait pour lire mais depuis c'était un peu le néant, il avait rarement le temps ou l'occasion d'ouvrir un bouquin, ou même un simple magazine ou un journal. Le fait qu'il vive désormais dans un pays anglophone n'aidait en rien non plus, jusqu'à présent il n'avait jamais eu envie de faire l'effort nécessaire pour lire quoi que ce soit dans la langue de Shakespeare, même en sachant que cela l'aiderait peut-être à s'améliorer ... Mais encore une fois, il reconnaissait sans mal qu'avant d'être dans le nid il n'avait jamais fait monstre d'efforts pour essayer de s'améliorer, et faisait même preuve d'une bonne dose de mauvaise volonté. Et inutile de s'emballer, ce n'était pas demain la veille qu'on le verrait plongé dans la lecture d'un texte de Shakespeare, mais en se baladant devant l'étagère des bandes dessinées avec l'air de celui qui désespérait de trouver une occupation, il avait peut-être réussi à trouver son bonheur, finalement. XIII. Le titre l'avait intrigué, c'était sans doute pour cela qu'il avait choisi cet album là et pas un autre, après avoir vérifié qu'il s'agissait du tome un parce que quitte à commencer, autant que ce soit par le début. C'était facile de se laisser emporter par une bande dessinée, cela lui demandait juste ce qu'il fallait de concentration et les images lui permettaient de s'aider, aussi ... Pas qu'il n'ait la moindre intention d'avouer cela à qui que ce soit ceci dit, déjà que certains le prenaient pour un demeuré, il n'avait pas en plus envie qu'on le prenne pour un illettré qui préférait les livres d'images. Sans s'en rendre compte en tout cas il s'était plongé dans l'histoire, happé par l'intrigue, assez pour ne pas se résoudre à relever directement les yeux vers la personne qui venait de pénétrer à son tour dans la bibliothèque et dont les pas grinçaient sur le parquet. Une candidate, c'était tout ce qu'Andreja en concluait de la démarche, mais après être arrivé à la fin de sa page il avait tout de même décidé de lever les yeux vers la visiteuse. Paloma. « Je même plus savoir depuis quand je pas mettre mes pieds dans une bibliothèque, avant Fake Lover. » Oui, c'était à ce point-là. A sa décharge, l'enfant qu'il était avait toujours pu profiter de la bibliothèque personnelle de son père, puis également de celle de sa mère, alors il ne perdait pas de temps à se rendre à la bibliothèque municipale, hm. « Tu vas bien ? » Elle n'avait pas l'air dans son assiette, lors du prime. Ce n'était pas la seule, certes, Tilda non plus, et Lou, et même Andreja lui-même, et il ne s'agissait là que des personnes auxquelles le serbe avait directement fait attention durant le prime, ce n'était peut-être pas les seules ... Bon, et peut-être que même si la réponse à la question qu'il venait de poser était non elle lui répondrait que oui. Parce qu'au fond ils n'étaient pas spécialement proches et que ce n'était pas à lui qu'elle confierait ses états d'âme.

On avait beau dire, une bibliothèque n'était pas juste une bibliothèque, à commencer par le fait que toutes ne dégageaient pas forcément la même atmosphère. Andreja repensait encore parfois avec nostalgie à la grande bibliothèque de la maison de son enfance, le genre qui sentait le vieux livre et qui parvenait à intimider l'enfant qu'il était, avec ses rangées de livres classés par périodes et par genres, la rangée du haut à laquelle lui et ses frères n'avaient jamais eu le droit de toucher, la boite à cigares fermée à clefs sur le guéridon et les deux fauteuils en cuir usés et passés par le temps. C'était un peu l'antre de son père, cette bibliothèque, un endroit dans lequel on rentrait sur la pointe des pieds et en sachant que si on en ressortait sans que tout ne soit remis à sa place, jusqu'au moindre grain de poussière, on s'exposait à remontrances et représailles. Andreja avait toujours un pincement au cœur en repensant à cette bibliothèque, et à cette maison, mais sans doute que c'était avant tout la tristesse du père qui avait du abandonner tout cela, qui lui faisait mal au cœur. Et la bibliothèque du nid, bien que fort appréciable, n'avait rien à voir avec les souvenirs qu'il avait d'une bibliothèque. Elle sentait le neuf, la peinture et le livre trop peu souvent feuilleté, elle avait l'âme d'une bibliothèque municipale fraîchement ouverte, mais elle n'avait pas d'âme au sens où Andreja pouvait l'entendre. Alors quand Paloma lui avait demandé « Et ça te plaît ? » il avait secoué la tête d'un air dubitatif, ne souhaitant pas se montrer catégorique en répondant que non, mais ne pouvant pas non plus se contenter d'un oui tant cela ne reflétait pas réellement son ressenti. « J'adore l'ambiance des bibliothèques, on s'y sent toujours un peu protégé, comme dans un cocon. » Il avait esquissé un léger sourire, quittant provisoirement des yeux la bande dessinée qu'il avait dans les mains. L'autre avantage d'une bande dessinée c'était qu'on n'en perdait pas vraiment le fil, si on interrompait sa lecture on se replongeait ensuite facilement dedans. « Ça plutôt être dans un gymnase que je sentir ça, mais je comprends. » A l'évidence donc la différence entre Paloma et Andreja se situait dans un choix de corps ou d'esprit. Pas qu'il ne soit totalement stupide, mais il fallait bien avouer qu'il s'était toujours senti plus à sa place sur un tatami ou un ring, en compagnie de ses adversaires, entraineurs ou élèves, qu'entouré de livres dans une pièce où le silence était de rigueur. Suivant l'espagnole des yeux tandis qu'elle décidait de prendre le place dans le fauteuil qui faisait face au sien, il avait fini par lui demander si elle allait bien. Tout bêtement, à la différence près qu'il demandait en espérant une réponse sincère, quelle qu'elle soit, et non pas juste un oui de politesse. « Je crois ... C'est pas ton cas ? » Je crois ce n'était pas tout à fait une réponse, et le fait de lui retourner directement la question n'en était pas vraiment une non plus, mais soit. « J'ai l'impression le temps être un peu long, cette semaine ... mais ça aller mieux la prochaine semaine. » Du moins il essayait de s'en persuader, il n'avait pas spécialement envie de passer une seconde semaine comme celle-ci. Trop de personnes qu'il appréciait nominées en même temps, une partenaire qui dormait dehors et qu'il suivait chaque soir hors de leur lit parce qu'il n'avait pas le cœur à la laisser à la porte, autant que parce qu'il dormait mal sans elle. « On passe tous par des phases où c'est plus dur, ici. Que ça soit à cause de ce qu'on cache, de nos relations ou juste ... de l'humeur, tout est tellement amplifié que c'est difficile de pas se laisser aller. » L'écoutant silencieusement, et avec attention, il en déduisait qu'elle parlait surtout en son propre nom et n'avait pas résisté au fait de lui demander d'un ton malgré tout posé « Et dans ton cas, ça plutôt être secret, relations, ou humeur ? » Ou peut-être que c'était un tout au fond, cela serait tout aussi plausible, à vrai dire s'il y réfléchissait Andreja était sans doute tracassé par un mélange de ces trois choses. Parfois il espérait son secret découvert pour pouvoir être fixé sur les personnes qui lui tourneraient, peut-être, le dos ; Mais d'un autre côté il avait tellement peu l'occasion d'apprendre à connaitre les autres sans que les gens ne lui collent cette étiquette. « Ça être quoi, ton but en venant ici ? Tu déjà trouver ce que tu être venue chercher ? » Elle n'avait pas la tête de la candidate là simplement parce qu'elle cherchait son quart d'heure de gloire post-télé-réalité. Et il ne l'avait encore jamais entendu clamer qu'elle était là pour l'argent, même si c'était peut-être le cas.