Ghika vient de passer une heure dans l'eau, rien de bien folichon, il a fait des longueurs sans trop penser, le contact de l'eau lui a permis de se vider la tête. Après avoir lézardé vingt minutes au soleil histoire de sécher il décide de rentrer et d'aller se changer. Parce que contrairement à certains rester à moitié nu toute la journée et exhiber son corps ce n'est pas tellement son truc. En débarquant dans le grand salon il voit Mallaury entrer dans l'ascenseur. Sur le coup ça lui paraît une bonne idée de grimper sans avoir à faire d'effort, alors il court, frôle la catastrophe en glissant légèrement sur les pavés de la pièce centrale et réussi à retenir la porte, non pas sans avoir crié avant : « RETIENS L'ASCENSEUUUR ! » probablement inutile puisqu'il est arrivé avant la fermeture des deux battants métalliques. Le système se met en marche et Ghika laisse échapper un « ouf » soulagé. Un ouf qui se perd dans un tremblement de la machine qui décide de s'arrêter entre le rez de chaussée et l'étage des chambres. Merveilleux. Il s'était pourtant promis, par deux fois de ne plus monter dans cet ascenseur de malheur. Voilà qu'ils se retrouvent bloqués, faits comme des rats. Bon être en compagnie de Mallaury c'est toujours mieux qu'être mal accompagné mais tout de même il aurait préféré passer un moment avec l'Irlandais dans le salon plutôt que dans la cabine minuscule de cette maudite machine. « Je crois que je porte la poisse avec cet ascenseur, chaque fois que je monte dedans il s'arrête... » commente-t-il plus blasé qu'autre chose. « T'es pas claustrophobe au moins ? Parce que je tiens pas à mourir quand tu te transformeras en machine à tuer pour préserver l'air de la cabine ! » plaisante-t-il en se disant que la scène serait assez comique. Mallaury se métamorphosant en bête féroce assoiffée de sang dans l'espoir de tenir un quart d'heure de plus avant de tomber en hypoxie. Ouais en hypoxie parce que Ghika connaît des mots compliqués pour dire manque d'oxygène.

Quand Mallaury émet une complainte qui ressent à un couinement, Ghika ne peut s'empêcher de poser sur lui un regard plus désolé encore que celui qu'il aurait posé sur sa petite personne dans la situation. Mallaury a l'air d'être encore plus mal à l'aise que lui. Peut-être que c'est l'ascenseur ou peut-être que c'est le fait que Ghika soit en short de bain qui le met un peu à vif. « Désolé de te contredire mais... je crois que ça a déjà recommencé. » constate un Ghika pragmatique mais ayant conscience que ça n'aide pas du tout la situation pour autant. Génial, Mallaury était bel et bien claustrophobe, Ghika ne veut pas en rajouter mais... s'il est claustrophobe que diable vient-il faire dans cette galère ? Rendons son copyright à Molière. Au moins il a l'air d'être presque convaincu qu'il ne se transformera pas en serial killer et c'est un soulagement pour Ghika, qui malgré sa maigreur pense tout de même être capable de retenir Mallaury de le tuer mais qui ne meurt pas d'envie d'essayer. Tuer – mourir d'envie... Ghika est en forme aujourd'hui. « Si tu as besoin que je t'assomme tu cries fort pour que la production entende que je le fais dans l'intérêt général et je te mets hors d'état de nuire. » tente-t-il de monnayer. Après tout la production lui pardonnera sûrement une agression si c'est pour sauver sa peau, ça serait encore plus injuste s'il devait se laisser faire, y laisser la vie, envoyer Mallaury en prison et l'éliminer du jeu en même temps -pas nécessairement dans cet ordre cela dit-. « Est-ce que tu viens vraiment de me donner l'autorisation de parler juste pour parler ? » demande-t-il incrédule. C'est que jusqu'à présent les gens l'ont toujours laissé parlé, mais qu'il a quand même fait en sorte de limite son débit. Parce qu'il sait bien qu'il est difficile à suivre -surtout à l'oral à l'écrit ça va, il est plus posé ça va moins vite- et que l'écouter déblatérer des faits, intéressants ou non, dans un ordre qui n'a de logique que leur ordre d'apparition dans la pensée de Ghika n'est pas toujours ce que les gens préfèrent passer leur après-midi à faire. [color=teal]« Si ma vie est en jeu alors je veux bien. » répond-il à la semi-menace de Mallaury avant de prendre une grande inspiration. « Hum laisse-moi réfléchir... de quoi je pourrais te parler ? Ah ! Je sais ! Charles Fourier ! Je sais pas si tu le connais, si tu le connais pas c'est pas grave, c'est une penseur politique qui s'inscrit dans le mouvement du socialisme utopiste, il avait développé un système super complexe pour qu'il n'y ait plus de problème d'inégalité dans la société. Ça s'appelait le Phalanstère. Mais avant que je te parle du Phalanstère, il faut que tu comprennes que pour Fourier l'univers était animé, au sens qu'il avait une âme, et il a mis au point toute une théorie sur le fait que ce n'était pas nécessairement l'attraction au sens physique du terme comme Newton et compagnie la définissait qui réglait l'univers, mais que c'était la musique. Les planètes avaient pour lui des sonorités. Pendant que j'y pense il a aussi créé une hiérarchie des cocus, allant du cocu en herbe, au cocu posthume. Bref, le Phalanstère donc, c'est une sorte de mini-ville dans laquelle vivent 400 familles, alors il dit famille mais il ne veut pas vraiment dire famille, parce qu'il est pour l'éclatement du mode social connu de la famille c'est un penseur assez féministe dans le sens qu'il est pour la libération de la femme et qu'il veut abolir le mariage. Même si ça c'est surtout parce qu'il avait chaud aux fesses et qu'il voulait pouvoir coucher à droite à gauche. » Il n'a quasiment pas marqué de pause pour reprendre son souffle alors une fois qu'il apporte une conclusion à la première partie de son récit, il inspire à plein poumons. « Je continue ou ça va mieux ? » s'enquit-il conscient qu'assommer Mallaury avec des réflexions sur Charles Fourier c'est probablement aussi miraculeux comme remède contre l'anxiété que mettre Pia en position foetale. Franchement il pourrait faire médecine hein.

Mallaury décline sa proposition de le mettre K.O mais le remercie tout de même, c'est qu'il est vraiment poli Mallaury, parfois on sous-estime le pouvoir de la politesse et on pense que tout est dans l'intensité et le commandement. Ghika est bien content de ne pas avoir à le mettre hors d'état de mordre mais surtout hors d'état d'être éliminé pour cause de violence. « C'est un plaisir d'avoir voulu te rendre service, ou me rendre service. » au choix. Le commentaire de son compagnon d'infortune à propos de son ancien partenaire lui arrache une grimace. C'est encore un peu trop tôt pour Ghika d'entendre parler de Percy aussi spontanément. Il a besoin d'être mentalement préparé pour réussir à sourire lorsque le sujet touche son binôme éliminé par Sacha dimanche, mais après deux ou trois secondes de pause il est en condition, la surprise est passée et il peut reprendre une conversation normale. « Au final tu dirais que t'es soulagé que Percy soit sorti ? T'es pas obligé de mâcher tes mots, je sais qu'il n'a pas toujours été tendre avec toi. » demande-t-il vraiment intrigué, il ne veut pas mettre Mallaury mal à l'aise, il peut très bien comprendre que ce soit un soulagement de ne plus avoir Percy sur le dos pour lui. Ghika avait déjà fait remarquer à Percy lorsqu'il était encore dans l'aventure qu'il pourrait lâcher un peu les bask' de Mallaury. Par moments le britannique pouvait être une vraie plaie et il s'était acharné à faire du séjour de Mallaury un véritable enfer, alors il peut comprendre le soulagement, pas le partager mais le comprendre. Quant au fait qu'il sache beaucoup de choses... « C'est le résultat de près de dix années d'études. » se justifie-t-il simplement. Il sait bien que ce n'est pas utile de s'expliquer mais bon il préfère éclaircir les choses, c'est son parcours universitaire pluridisciplinaire qui lui a donné son vaste spectre de connaissances. Ça et sa curiosité maladive pour ce qui lui est inconnu. « Pas vraiment je laisse juste les mots sortir et les connexions logiques se font toutes seules. » explique-t-il quand Mallaury lui demande s'il a appris par cœur le petit texte qu'il vient de lui débiter, Ghika ne pensait pas que ça sonnait comme un texte répété, il n'y avait aucun fil conducteur il rebondissait d'idée en idée avec facilité c'est tout. « J'avais pas fini de te parler du Phalanstère... Enfin je suppose que je peux passer à quelqu'un d'autre, Fourier n'est pas non plus le centre du monde, même s'il pensait être le troisième plus grand génie de tous les temps. » commente Ghika en réponse à la proposition de passer à un autre sujet de Mallaury. Il peut comprendre que pour quelqu'un qui n'a pas spécialement d'intérêt pour les socialistes utopistes son petit discours précédent n'était pas d'une grande utilité et puis le système phalanstérien aurait mérité une discussion longue d'une heure ou deux pour en expliquer les nuances, temps qu'ils n'auraient pas à passer dans l'ascenseur avec un peu de chance. Bon, de quoi pourrait-il parler pour tenir l'esprit de Mallaury occupé... quelque chose d'un peu plus abordable pour ne pas emmerder son camarade d'emprisonnement. Emprisonnement, voilà une idée de point de départ. « Tu as vu le film Vol au-dessus d'un nid de coucou ? J'te demande pas parce que c'est un excellent film mais parce que c'est un film qui pose de vraies questions sur l'aliénation. Certains disent qu'il faut y voir une métaphore de Forman et de son combat contre le communisme, mais j'trouve que c'est un peu nombriliste parce que l'auteur du livre originel n'avait aucune intention de faire de son livre un objet politique. Cependant c'est un livre sociologiquement fascinant, on peut clairement y voir tous les systèmes d'aliénation et de destruction de l'identité individuelle mis en place par les institutions psychiatriques pour faire entrer dans le moule du patient toute personne passant la porte d'un asile. C'est inspiré d'une histoire vraie, celle de l'auteur du bouquin, qui a préféré tenter sa chance dans un hôpital psychiatrique que d'aller en prison. Sauf qu'il était pas fou, pas du tout, mais que le personnel, les règles de vie dans ce cadre particulier, vont tout faire pour lui faire perdre son rôle d'interné volontaire pour lui faire prendre celui de patient lambda. C'est vraiment fascinant. » Hum... voilà qu'il avait recommencé, il s'était perdu dans des explications sommaires d'un sujet qu'il aurait pu exposer plus en détails, mais ça aurait probablement été assommant.

Ghika a tendance à croire que les gens mentent lorsqu'ils ont l'impression que leur opinion peut blesser leur interlocuteur, c'est pour ça qu'il met toujours un point d'honneur à faire en sorte que les personnes à qui il parle soient à l'aise de dire tout ce qu'elles veulent, sans crainte de froisser ses sentiments. Mais Mallaury semble être honnête quand il dit ne pas se réjouir du départ de Percy, Ghika n'irait pas jusqu'à dire qu'il perçoit du regret dans sa voix, ça serait peut-être un peu fort, mais il y a quelque chose, un peu comme de l'indignation face à l'élimination de son ancien partenaire.
« T’es un gars étonnant, Lou lui il a clairement dit que Sacha se sentait très bien de s’être débarrassé de Percy… Je sais qu’il n’a pas toujours été tendre avec eux, mais c’était toujours plus supportable que ce qu’il t’a fait endurer et pourtant voilà que toi tu te réjouis pas de son départ et qu’eux ils peuvent roucouler tranquille parce qu’ils se sont débarrassés de lui. » apprécie-t-il, validant à la fois la position de Mallaury dans un système de valeurs clair et en se plaçant du même côté de l'opinion. Mallaury apporte une solution de secours à ce genre de cas, un cas auquel Ghika ne veut pas se retrouver confronté, il trouverait hypocrite de sa part d'accepter d'éliminer quelqu'un alors qu'il a manifesté son désaccord avec cette coutume lors du dernier prime. Malheureusement il ne croit pas qu'ils aient le choix, ils ont signé un contrat tacite en entrant dans le nid. Les règles de Cupidon font office de loi et ils doivent s'y plier. « Ouais ça aurait pu être une bonne solution… m’enfin les règles sont les règles de toute façon. » admet-il en sachant parfaitement qu'aucune de leur discussion ne changera le fait que Percy n'est plus de la partie. Ghika se sent investi d'une mission officieuse, celle d'aller le plus loin pour son partenaire et ça même s'il se doute qu'il sera encore nominé cette semaine, les statistiques sont contre lui. Entre son célibat, sa perte de popularité et les quatre voix qu'il a déjà contre lui... Mallaury interrompt le fil de ses pensées en exposant un ressenti que Ghika ne comprend pas très bien. Il n'y a aucune raison de se sentir bête par rapport à lui, pour personne, il est plus intelligent que la moyenne certes mais ce n'est pas pour ça qu'il veut mettre les gens mal à l'aise en sa présence. Quant à savoir si parler de Fourier relève ou non de l'intelligence, ça c'est une autre histoire. « C’est pas de l’intelligence ça, je te déballe juste des faits que je connais parce que je les ai appris, que je m’en suis imprégné… je t’inviterai à une soutenance, tu verras ce que c’est l’intelligence, ça ne ressemble pas à mon blabla sur un auteur ou un film. » Une soutenance de thèse il entend, il lui fera voir ce que les gens qu'il fréquente presque quotidiennement sont capables de produire comme matériel scientifique. La simple idée de se retrouver dans un amphithéâtre pour passer une heure ou deux à écouter un de ses collègues rapporter le résultat de centaines d'heures de recherches le fait frissonner. Il a hâte de pouvoir assister à ce genre de démonstration à nouveau. Mallaury l'interpelle au sujet de Fourier, ce qui fait sourire Ghika. Pas parce qu'il trouve ça drôle, pas parce qu'il trouve que ça montre l'ignorance de Mallaury, mais parce que ça révèle que son camarade est curieux même s'il ne connaissait pas l'existence du philosophe cinq minutes plus tôt.« Fourier ? Ouais il est mort en... 1837 ou 38. » précise Ghika, embêté de décevoir Mallaury qui avait peut-être trouvé en Charles F. son nouveau maître à penser. Mais c'est la remarque suivante qui désarçonne le plus Ghika. Tom Hanks ? Dans vol au-dessus d'un nid de coucou, il passe en revue le casting dans sa tête, non, ça ne lui dit rien, peut-être qu'il confond avec Forrest Gump ? « Hum. Tu confonds pas avec Jack Nicholson ? Parce que je ne me rappelle pas que Tom Hanks ait eu un rôle dans ce film-là. » demande un Ghika perplexe ne sachant vraiment pas quoi dire de plus. Face aux réticences de Mallaury, Ghika se sent un peu coupable, il a le don de compliquer les choses. Ce film n'a en soi rien de difficile à suivre, c'est juste qu'il a passé des jours à décortiquer les méthodes de mise en condition des détenus dans un asile alors forcément pour lui il y a une seconde dimension apparente. « Le film est très abordable hein ! C'est juste l'interprétation sociologique derrière qui est compliquée, il est appréciable sans y réfléchir sous cet angle. » précise-t-il en espérant n'avoir pas complètement dégoûté Mallaury de tenter l'expéreince. Quant à son film préféré, Ghika a besoin d'y réfléchir un instant. Mais il y en a trop pour en choisir un. Au final ça se résume bien souvent à des films espagnols auxquels il est particulièrement sensible sans savoir exactement pourquoi. « Non, mes films préférés c'est souvent des films qui n'ont pas vraiment de quoi être étudiés. J'aime beaucoup le cinéma espagnol... Peut-être La mala educación de Pedro Almodovar ou Cria Cuervos de Carlos Saura. » Et ne le lancez pas sur ces deux longs métrages.