On dit que l'amour brille sous les étoiles, mais pas ce soir, ce soir ce n'est pas vrai. Pia se tourne et se retourne sur le matelas, évitant soigneusement de venir poser ses prunelles sur son partenaire à priori endormi. Elle écoute sa respiration régulière, ne sait pas si il simule le sommeil, tant pis. C'est pas important. Un, deux. Compter les étoiles ne fonctionne pas plus que de compter les moutons, c'est des conneries tout ça. Un coup d’œil au réveil. Quatre heure. Le jour se lève. C'est faux mais ce n'est pas grave, si le soleil ne veut pas lui épargner les cauchemars, c'est elle qui se lèvera seule Pia. Elle s'arrache aux draps sans un bruit. Elle quitte la chambre déserte, le lit, de sa démarche flottante et hasardeuse parce que fatiguée, un peu fantôme. Elle se confond à la tapisserie, les couloirs sont déserts. Il fait noir, c'est le nid qui est endormi. Elle pourrait presque entendre les murs ronfler à l'unisson, écho des soupirs des candidats qui pioncent tous. Chanceux. Elle peut pas dormir, la rouquine. Lui suffit d'avoir une pensée de travers pour qu'elle ne cesse de la mâcher et de la remâcher, incapable de penser à quoi que ce soit d'autre. Une boule dans la gorge qu'elle ne parvient pas à évacuer. Déserte, surprise. La maison va en se clairsemant. Ils se comptent presque sur les doigts d'une main et ça va aller en s'empirant. Peut être qu'elle sautera dimanche prochain, la tatouée. Peut être que tout sera fini d'ici une poignée de jours et le pire dans tout ça, c'est qu'elle n'est même plus sûre qu'il y aura un Andreja et Pia après tout ça. Arrête. Arrête de penser ça. Arrêter de penser à ça. Et c'est idiot mais elle peut pas Pia, elle peut pas se sortir ça de la tête, y'a les images qui tournent, noir et blanc romantique, la scène, le drame. Elle amplifie tout, l'idée se déforme et c'est cent fois pire. Elle pousse la porte du balcon. Ce qui la frappe en premier c'est le vent, de plein fouet. Elle manque de se reprendre la porte dans la figure et s'empresse de la claquer derrière elle. Ce soir, c'est différent de d'habitude. Ce soir, il pleut.  Elle a mis un certain temps à le réaliser parce qu'elle ne se souvient pas d'avoir vu la pluie depuis qu'ils sont là. Depuis qu'elle a quitté son Italie. L'eau coule sur ses bras, vient goutter sur son front et glisse le long de son visage. Il pleut dans mon cœur comme il pleut sur la ville. C'est faux. Il ne pleut pas dans le cœur de Pia parce qu'il n'y pleut jamais. C'est juste creux. Un No Man's Land dans la poitrine ce soir. Elle soupire avant de s’asseoir sur un transat. Si elle ignore la pluie alors peut être qu'elle s'en ira. Peut être qu'elle n'aura jamais existé. Ce serait pratique si tout pouvait se passer comme ça.

Elle n'allait jamais avoir de fin, cette nuit. Parce que même si c'était le jeu et qu'il en avait accepté les règles il n'en restait pas moins déçu des éliminations du prime, parce qu'il avait du développer des trésors de persuasion pour faire admettre à Tilda qu'elle avait besoin de dormir, parce qu'il ne pouvait s'empêcher que cette semaine pourrait bien être la dernière pour lui et Pia également et qu'il ne se sentait clairement pas prêt à tourner la page sur tout cela si vite ... Alors que cela faisait dix semaines, c'était à la fois court et à la fois une éternité, et qu'il le savait très bien en arrivant. Mais ce qu'il ne savait pas en arrivant c'était qu'il rencontrerait une Pia, qu'il rencontrerait une Tilda ou un Lou, il ne savait pas qu'il parviendrait à faire quelque chose qu'il n'avait pas été capable de faire depuis ce qui lui semblait une éternité : nouer un lien. Ce n'était pas pareil avec ses collègues, certains étaient devenus des amis mais il sentait bien la méfiance parfois, les regards entendus, le jugement silencieux sur des actes qui n'étaient ni blancs ni noirs au fond. Il ne savait pas quelle heure il était lorsqu'il était monté se coucher, lorsqu'il s'était glissé sous les draps aux côtés de sa partenaire sans oser lui demander si elle dormait ... Ce n'était pas la question la plus stupide de tous les temps, de toute façon, de demander à quelqu'un d'à priori endormi s'il dormait vraiment ? Lui ne dormait pas en tout cas, un poids sur la poitrine et une boule dans la gorge il ressassait, le prime mais pas seulement, c'était un tout, c'était comme ça, mais pour une fois il n'osait pas se blottir contre Pia en espérant que sa respiration et sa peau suffiraient à le calmer. Il ne savait pas pourquoi il n'osait pas, c'était un pressentiment, c'était stupide, mais lorsqu'elle s'était finalement levée probablement sans voir qu'il ne dormait pas plus qu'elle il n'avait pas mis longtemps à se persuader que quelque chose clochait. Et ce quelque chose il le considérait bien plus important que son sommeil, son sommeil et lui c'était une histoire fuis-moi je te suis, et il n'avait pas envie de jouer à cache-cache avec le marchand de sable cette nuit-là. Il avait renfilé le jean qu'il portait lors du prime, depuis qu'il avait décidé qu'il n'en avait rien à faire que Zoey le juge mal fagoté chaque dimanche soir, et tiré sur le bas de son tee-shirt tout en vérifiant machinalement que sa croix était toujours autour de son cou. Le carrelage sous ses pieds lui semblait gelé, à moins que cela aussi ce ne soit dans sa tête, et rejoignant finalement le balcon il avait pris conscience de deux choses en même temps : Le vent qui chassait le sable de la plage lorsqu'il s'y trouvait avec Tilda avait été remplacé par de la pluie, et sous cette pluie se tenait Pia. Elle avait l'air de ses mauvais jours, et il ne savait pas comment il s'en était aperçu si vite parce qu'elle n'en avait pas eu beaucoup ici, des mauvais jours, mais il n'avait pas besoin de décodeur pour savoir que quelque chose clochait. Le retard au prime, l'insomnie, et cette volonté de visiblement attendre que la pneumonie vienne à elle, c'était assez pour qu'il se sente surtout stupide de n'avoir rien vu avant. « Pia ? Ça va pas ? » Il n'avait pas attendu sa réponse pour traverser le balcon jusqu'à elle, pour se baisser à sa hauteur, au pied du transat, il n'avait pas attendu sa réponse non plus pour attraper ses mains et les serrer dans les siennes, comme s'il essayait de la faire de son nuage, fusse-t-il blanc et cotonneux ou noir et chargé d'eau et de soucis. « Pia ? » Qu'elle lui réponde, qu'elle lui raconte, qu'elle réagisse. Qu'elle lui laisse être l'épaule sur laquelle se poser si elle en avait besoin, après l'avoir maintes fois été pour lui. Est-ce que ce n'était que la pluie sur ses joues, est-ce qu'il n'y avait rien d'autre que les caprices soudains de la météo ou bien est-ce qu'à cela se mêlait le sel de ses larmes ? Il se faisait parfois des films pour rien Andreja, il se faisait parfois une montagne avec un grain de sable, lorsqu'il s'agissait de s'inquiéter pour les autres, alors encore plus si c'était Pia.

La pluie la trempe de la tête au pied. Pia dégouline, et c'est le ciel qui éclate pour elle à défaut de pouvoir elle même éclater. Elle peut vivre toutes les émotions, la rousse, même la colère elle y arrive. Mais la tristesse, c'est trop dur. La tristesse, c'est impossible de s'en débarrasser. Il faut vivre avec, la supporter jusqu'à ce qu'elle décide de prendre elle même ses clics et ses clas et de s'en aller. Quand on a la rage, on peut toujours aller frapper quelqu'un, quelque chose, faire n'importe quoi d'idiot. Mais quand on est triste, c'est pas possible. C'est comme si plus rien d'autre n'avait de sens, et elle regarde le ciel qui pleure et elle a l'impression que rien n'a de sens, que rien n'a jamais eu de sens. Elle est épuisée, Pia. Une poupée qu'on remonte, un mécanisme un peu trop fragile et clac, elle craque, quelqu'un a trop tiré. Elle fumerait bien une clope. Même tout un paquet. Mais elle ne fume pas, la rousse, elle n'a jamais fumé. C'est juste qu'il lui semble que dans les films les héros tristes ont toujours l'air plus badass avec une cigarette qu'ils laissent se consumer. Elle renverse sa tête en arrière et laisse les larmes des nuages lui laver le visage. Il lui semble qu'elle est bien ici, que le temps est raccord avec le brouillard qui règne dans son crâne, comme si le ciel la reflétait. « Pia ? Ça va pas ? ». Elle entend rien. Peut être bien qu'elle fait semblant. Elle a toujours été très douée pour faire semblant, Pia, de toute façon. La technique du, j'entends rien, j'vois rien, y'a rien. Elle est comme les gosses qui se cachent les yeux et qui ont l'impression d'être bien dissimulés. Elle n'aime pas les réalités, du moins pas celles qui font trop mal et celle-ci fait mal. Cette voix lui fait mal. Et son visage qui apparait devant le sien, le contact de ses mains qui viennent prendre les siennes, tout lui fait mal. « Pourquoi t'es là ? ». Elle finit par demander. Sa voix faiblit un peu, elle est là mais elle est loin. Elle pense à autre chose Pia, elle se force à penser à autre chose. A sa mère, à son Italie, à la guitare dans ses mains. A tout sauf à Andreja, parce qu'elle s'imaginait plus vivre sans lui et que maintenant elle a mal quand il est là. Son bout de cœur calciné se serre un peu alors qu'elle essaye de le forcer mentalement à se regonfler. T'inquiètes pas, c'est rien. Ils s'en sortent toujours, son cœur et Pia. Ils se sont toujours relevé jusque là. « Pourquoi t'es là ? ». Elle répète, parce qu'elle sait pas si il l'a entendue, parce qu'elle sait plus si elle l'a déjà dit et à vrai dire elle ne sait plus rien du tout. Elle est perdue. « Laisse moi. Laisse moi. J'ai tout vu. ». Alors qu'il la laisse, qu'il se casse, elle n'en veut plus de lui, y'a plus rien. Et peut être qu'il n'y a jamais rien eu, de toute façon. Quelqu'un a crevé la bulle Andreja et Pia. Quelqu'un lui a crevé le cœur, et la plaie est trop fraîche, beaucoup trop. Et elle ne veut pas de bandage, aucun pansement. Elle veut qu'il s'en aille.