Ça n'est pas trop le genre d'endroits où Lamine a pour habitude de s'éterniser, mais allez savoir pourquoi depuis qu'il a mis les pieds dans ce bar lounge ce soir, le jeune français ne peut se résoudre à le quitter. Il faut dire que le micro, là-bas au fond, le tente vraiment beaucoup alors la question qu'on est présentement en droit de se poser est la suivante : osera-t-il s'en emparer pour interpréter l'une des rares chansons qu'il connaisse, ou bien la raison l'emportera-t-elle et il désertera finalement les lieux en ayant épargné cela à tout le monde ?... C'est sûr, Lamine n'est pas doté d'une voix exceptionnelle, loin de là même et les rares fois où il s'abandonne en chanson c'est généralement quand il se trouve être sous la douche. Un chanteur de salle de bain, voilà ce qu'il est, et certainement pas davantage. Ça ne l'empêche toutefois pas d'aimer chanter, tout en restant bien sûr conscient du talent qu'il n'a pas et du supplice infligé aux oreilles de ceux qui seraient amenés à l'entendre. De toute façon c'est pas pour les autres qu'il chante, et il n'oblige personne à l'écouter, il ne se prend pas pour un grand interprète et ce qui compte c'est qu'il demeure réaliste quant à ses capacités. C'est décidé, ce soir, il rendra un hommage bien à lui à un illustre auteur-compositeur français dont il a découvert les chansons grâce à sa mère, et très en retard puisque le bonhomme en question est mort avant même que Lamine ne voit le jour. C'est pas important ça non plus, il a pas connu Chaplin et ça ne l'empêche pas d'aimer ses films, eh bien voilà, avec Balavoine c'est la même chose. Il fera sans musique car il ne sait pas encore comment fonctionne tout le bordel et ça ne lui dit franchement rien de voir ça tout de suite. Micro fermement tenu dans sa main droite, Lamine se lance donc, accapela... et avec pas mal de faussetés. « j'ai du succès dans mes affaires, j'ai du succès dans mes amours, je change souvent de secrétaire... » les paroles il les connaît par coeur, à force d'entendre sa mère s'époumonner dessus croyez bien qu'il a fini par parfaitement les intégrer. Il poursuit jusqu'à arriver au refrain, et là il ne faut une nouvelle fois pas compter sur la justesse. « j'aurais voulu être un artiiiiiiiiiste, pour pouvoir faire mon numéroooooo... » c'est une chance que le bar soit désert, ainsi personne n'assiste à ce spectacle des plus navrants, à moins que... qui est donc cette demoiselle près de la porte ? Lamine l'a remarquée mais il ne s'arrête pas de chanter pour autant, et on ne sait pas trop ce qu'il essaye de faire, mais si son intention n'est pas de la faire fuir alors il ferait mieux de mettre fin à ce massacre au plus vite. Pourtant non, il n'en fait rien et va même au bout de sa chanson. « pour pouvoir dire pourquoi j'exiiiiiiiste. » la dernière note il a été la chercher vraiment très haut, lui-même ignorait qu'il était capable d'aller dans de tels aigus. Sa camarade semble être encore là mais étrangement, il n'a pas droit à des applaudissements. C'est pourtant pas faute d'avoir tout donné sur cette chanson, hein. « avoue je t'ai bluffée et t'ose pas en redemander. » il lance à son attention, le micro toujours en main pour éviter d'avoir à gueuler pour se faire entendre au fond de la pièce. « approche, fais pas ta timide. » oui qu'elle s'avance un peu car il perçoit à peine son visage, et le reste, de là où il est.

Je dînais toujours tôt car je digérais très mal quand je mangeais trop tard. Pour me féliciter de maintenir mon régime alimentaire, je m'accordais le droit à un esquimau bien glacé pour le dessert. Goût cerise, s'il vous plaît. Les sucreries étaient mon point faible. Je ne pouvais pas résister à une glace après le dîner. C'était un incontournable. Je me délectais de ma glace dans mon coin avant de l'engloutir en quelques minutes. Une petite promenade me ferait le plus grand bien après un repas copieux. Je déambulais dans les couloirs du rez-de-chaussée sans un cap à suivre. J'entendis les sirènes de la musique m’ensorceler et me guider vers le bar lounge. J'entrai dans la pièce et découvris sur scène un gars en train de chanter. Il était dans son trip tranquille. Je n'osais l'interrompre, je savourais le spectacle à vrai dire. Il était fond et sans musique, en plus. Chapeau. A part quelques faussetés, la performance était convaincante, emplie de bonnes intentions, disons. Il chantait dans une langue étrangère. Le français, si mes déductions étaient bonnes. Je reconnus quelques mots, mais dans l'ensemble, je ne comprenais pas les paroles. C'était l'intention qui comptait. Quand le chanteur termina sa prestation, il s'adressa à son public - par extension, à moi. Il fanfaronnait à propos de la qualité du jeu scénique qui était dans l'ensemble très amusante. Bluffée ? Un peu. Il ne semblait pas prendre au sérieux ce petit spectacle. A la base, c'était un kiff qu'il s'était fait. J'aurais fait la même chose à sa place. « Ouais, j'avoue. Ça mérite des applaudissements, tiens. » Je m'exécutai, j'applaudis assez fort pour qu'on m'entende au bout de la salle et l’acoustique était plutôt bonne dans cette scène. Je remis les mains dans les poches de mon short en jean et le scrutai du regard, le sourire aux lèvres. J'avais déjà vu le visage de ce gars, mais son prénom m'échappait. Le seul moyen de le savoir : « Quel est ton nom de scène ? Si t'en as pas, un prénom suffira. » Histoire de se présenter en bonne et due forme.

Y'en a un qui doit malheureusement se retourner dans sa tombe, ce soir. Dire que c'était censé être un hommage, eh bien qu'est-ce que ça doit donner alors quand Lamine décide de saccager le répertoire d'un artiste... Bon il n'a jamais affirmé être le meilleur chanteur du nid non plus, il sait qu'il n'a pas la voix de Stevie Wonder mais malgré tout il s'est lancé, on peut quand même lui reconnaitre ça. C'était courageux, oui, parce qu'il s'est ainsi exposé aux éventuelles critiques de ses camarades, ou tout du moins à celles des téléspectateurs puisque le bar était vide quand il a commencé à chanter. Et puis une petite demoiselle en a passé la porte, elle est d'ailleurs restée pendant son numéro, étrangement elle n'a pas pris ses jambes à son cou à l'écoute de cette prestation pas loin d'être ratée. Ou bien elle a beaucoup aimé et là, une visite chez un spécialiste de l'audition s'impose, de toute évidence. Il finit par obtenir les applaudissements auxquels il ne croyait plus, sa camarade entre dans son jeu et il trouve ça plutôt sympathique de sa part parce que, très sincèrement, ça n'en valait pas. « merci, merci, c'est trop. » Lamine joue les modestes, il sait surtout que sa petite prestation ne mérite pas le moindre applaudissement. Attention toutefois à ne pas gonfler l'ego du français, il ne faudrait pas qu'il finisse persuadé d'avoir du talent et envisage après ce programme de candidater à un télé-crochet en France. Oh, il ne passerait même pas la première étape des castings et aurait directement sa place dans les inoubliables, le pauvre garçon. Sa camarade lui demande s'il a un nom de scène. Ah, il n'avait pas du tout songé à cela, mais il ferait peut-être bien d'y penser au cas où un producteur l'aurait repéré ce soir et l'attendrait à la sortie pour lui signer deux albums. « j'ai pas de nom de scène donc j'te file mon pseudo de gamer, Oz'genius. » elle va pas aller loin avec ça mais c'est tout ce qu'il a en boutique, et puis ça lui permet de faire un peu de pub pour sa chaine, ni vu ni connu, hop bien placée. « mais tu vas pas m'appeler comme ça alors pour toi comme pour les autres ce sera simplement Lamine. » il ajoute dans un sourire tout en remettant le micro à sa place. Lamine, oui, c'est très bien et ça se retient surtout bien mieux. « je peux t'appeler comment moi ? » il lui demande dans un premier temps, avant d'ajouter très vite « ah et me fais pas le coup toi aussi de me donner le mauvais nom, je me suis déjà fait avoir la semaine dernière et je les ai là. » il mime le fait d'avoir les boules avec une main placée au niveau de sa gorge, mais oui ça représente bien comment il s'est senti dimanche en découvrant que la candidate qui s'était faite passer pour Samantha se nommait en fait Nirvana. Il est tombé dans le panneau une fois, hors de question que ça se reproduise.