+@Sayid
Un poisson se faufile dans l’eau du bassin, slalome entre les différentes espèces d’algues, disparaissant puis réapparaissant. Il reste pourtant tapi au fond du bassin, obligeant Imma, assise au bord de ce même bassin, à se pencher au-dessus de l’eau toujours un peu plus. C’est ce genre de poisson si gros qu’il décroche des « waw » de la bouche de ceux qui le regarde, mais avec des regards à la fois jugeurs, dégoûtés, trop gros pour son espèce. Elle, elle l’aime déjà. En vérité, elle n’a jamais vraiment vu d’autres poissons que les rouges du dentiste au coin de sa rue ou ceux qu’elle a dans son assiette. Elle n’a jamais vu de poissons plus gros que son pouce, nager en liberté – ou non – mais en tout cas dans de si grandes eaux. Pourtant la Namibie est en bord de mer. Imma n’a jamais vu la mer. Elle n’a jamais été plus loin que les petits villages aux alentours de Windhoek, ces villages africains fait de quelques cases au milieu de plaines désertes ou de déserts tout court, avec un sage et un conseil d’ancien. Ce genre de village cliché que les européens et américains doivent avoir en tête lorsque – bien-pensant – il débarque pour aider les peuples oubliés d’Afrique. La carpe qu’elle croit être koï, soudainement, se rapproche de la surface de l’eau. Doucement Imma rapproche sa main de l’animal, attiré par celui-ci comme un moustique de la vive lumière d’une ampoule. Elle aime les animaux en général, parce qu’ils ne font pas de différence entre les humains. Seul la peur peut les faire fuir et elle n’en montre aucun signe avec eux. Exactement le contraire avec les Hommes. Touchant du bout du doigt les écailles vermeilles de l’animal, son autre main glisse sur le bord mouillé. Tout arrive rapidement, elle se voyait déjà plonger dans le bassin, tête la première. Heureusement, ses mains réussissent à trouver un appui dans l’eau, évitant la catastrophe. Seuls ses mains et avant-bras finirent mouillés, submergés par le retour de la vague qu’elle venait de créer dans ce bassin, faisant disparaître en un clin d’œil les poissons gravitant autour de celui qui l’envoutait, disparu lui aussi. Alors elle reste figée, attristée, par ce qu’elle vient de faire.

On n'appréciait jamais autant un bon matelas que quand on avait dormi à même le sol durant une semaine. Sayid n'était pourtant pas du genre difficile, à vrai dire il dormait partout ou presque et n'avait pas de hautes exigences du moment qu'il ne se réveillait pas avec l'impression d'avoir le dos d'une personne âgée, mais il fallait bien avouer que rie ne valait un bon matelas, et en terme de literie la production semblait ne pas s'être foutu de leur gueule. Sans doute pour compenser la vaste blague que représentait cette semaine d'introduction à la belle étoile ; Quoi que la tente et le sac de couchage n'étaient pas le plus emmerdant dans cette histoire, ne pas avoir de douche à disposition en revanche un peu plus. Parce que même sans être difficile, Sayid avait moyennement apprécié l'humiliation de devoir ramper jusque dans l'eau et de laisser ses prothèses dans l'herbe pour espérer se laver un minimum. Et en pleine nuit, pour avoir la paix, parce que sa fierté avait déjà été assez écornée au fil des années sans qu'il ne s'en rajoute une couche supplémentaire. Une vraie douche c'était donc très certainement la seconde chose que Sayid appréciait d'avoir retrouvé dans cet endroit qui, plomberie et literie mis à part, était un peu trop clinquant à son goût. Pas qu'il ne soit un connaisseur, il n'avait ni le genre ni le train de vie propice pour courir les palaces et les hôtels luxueux, mais justement tout cela lui semblait un peu trop ... Trop tout. Cela le mettait un peu mal à l'aise, et d'un autre côté il savait aussi que plus jamais dans sa vie il ne remettrait probablement les pieds dans un endroit comme celui-là, alors le mieux était peut-être encore qu'il ouvre bien grand les yeux et profite de ce qu'il avait sous la main le temps que ça durerait. Peut-être une semaine, deux, un mois, peut-être deux, peut-être plus, ou peut-être moins ... Pour le moment ce n'était pas vraiment la question. Ayant en tout cas profité de cette première matinée dans le nid pour explorer les lieux avec sa partenaire, ils avaient finalement décidé de vaquer chacun de leur côté pour l'après-midi et Sayid s'était tout naturellement dirigé vers l'extérieur. Il était beaucoup plus à l'aise à l'air libre, à force de vivre au grand air toute la journée il supportait de plus en plus mal les grands immeubles et les séjours prolongés à l'intérieur. Marchant à un rythme modéré ses pas avaient fini par l'amener jusqu'à ce qui ressembler à un jardin japonais ; Le genre que l'on voyait dans les livres ou en photo, le genre qui semblait sortir tout droit d'un magazine de décoration. A ceci près que dans un magazine de décoration on voyait rarement une personne le nez dans le bassin de poissons. « C'était moins une. » avait-il d'ailleurs commenté d'un ton plus doux qu'à l'accoutumé, quant au fait qu'elle aurait pu se retrouver à l'eau pour de bon si elle n'y avait pas pris garde. Lui tendant en tout cas une main pour l'aider à se sortir de l'eau, il avait attendu qu'elle retrouve une position verticale pour déclarer « Les poissons ne sont pas des animaux très accueillants, de toute façon. » Son ton était toujours relativement neutre, si bien qu'il était parfois compliqué de déterminer lorsqu'il était sérieux et lorsqu'il essayait - avec plus ou moins de succès - de faire une plaisanterie. C'était pourtant le cas, à cet instant. « Je voulais visiter l'extérieur. Tu m'accompagnes ? » Il en revenait presque d'avoir fait l'effort de demander, non pas parce que la compagnie d'Imma lui semblait être désagréable, mais parce que la solitude restait son état naturel, et par conséquent en sortir lui demandait toujours des efforts et une certaine volonté, qu'il peinait parfois à rassembler. En vérité une part de lui avait simplement envie de tester la jeune femme, voir si elle dirait oui ou non, parce que depuis leur courte entrevue la semaine précédente il avait l'impression de lui faire peur, et il ne savait pas si c'était encore lui qui interprétait mal, ou si c'était la vérité.

Un éclair de lucidité, alors qu’elle se voyait partir en avant, la fit se rattraper à ce qu’elle pouvait. Elle ne sait pas ce qu’elle aurait fait si elle s’était retrouvée complètement immergée dans l’eau. Elle était déjà triste d’avoir fait fuir ce poisson, plus gros, plus beau que les autres. Une espèce de perle parfaite, lisse et brillante. Ce poisson était lumineux et maintenant elle n’arrivait plus à le distinguer parmi une masse de poissons agglutinés dans un coin du bassin. De toute manière, l’attention d’Imma est poussée ailleurs, quand une voix masculine rompt la conversation silencieuse qu’elle entretenait avec elle-même. Doucement, elle tourne alors son visage vers cette fameuse voix, honteuse. Honteuse de la situation dans laquelle elle s’était mise. Quoique légèrement amusée par la situation et ce qu’il venait d’affirmer. Elle s’en pince les lèvres pour réprimer un sourire, de toute manière toujours volatile. Oui, il en était moins une, mais elle avait évité le pire. Parce qu’il lui propose sa main, elle frotte la sienne contre son haut – tant pis – pour ne pas salir la main du preux chevalier. Alors qu’elle s’en saisit pour se relever. Son commentaire sur les poissons la fond doucement réagir. « Au contraire. Je les aime bien » Ajoute-t-elle à sa suite, candide. Ils sont peureux, mystérieux, pas « pas très accueillant » comme il l’insinue. Mais elle ne lui fait pas de procès. La pensée est peut-être le propre de l’homme, tout du moins l’opinion. Doucement, elle essuie son autre main sur son tee-shirt déjà foutu. Et foutu pour foutu. Elle ne le regardant pas en le faisant. Elle regarde le sol, où ses pieds nus se mêlent à l’herbe pour se dissimuler. Est-ce qu’elle veut visiter l’extérieur avec lui ? Elle hausse les épaules. « Pourquoi pas » Mais il ne doit pas s’attendre à une compagnie de luxe. Elle n’est pas une langue pendue, crachant par paquet de longues phrases pour décrire sa courte vie. Elle ne manifeste même pas de réel plaisir à cette idée, alors qu’intérieurement elle est plutôt contente de cette proposition. Celle qu’elle n’aurait jamais formulée. Doucement alors, elle marche à ses côtés, quoique légèrement en retrait. Bras croisés, elle regarde le bassin s’éloigner derrière eux, au profit d’un jardin. Fleuri. Un silence s’étant installé depuis un moment, créant la bulle parfaite pour la demoiselle. Pourtant, c’est elle qui la claque d’une petite ponctuation. « Tu peux parler s’il te plait ? » De tout, de rien. C’est sa question favorite, son classique. Parle, je t’écoute. Ca tombe comme ça. Elle ne connait rien de l’homme – encore un – elle veut savoir. Son parcours à elle n’importe que très peu, c’est lui qui doit parler.