@Ronan

J’suis un homme heureux depuis qu’on a retrouvé une vraie cuisine. Non pas que j’sois un cuisinier hors pair ou un d’ces mecs complètement fada du chalumeau. J’m’en fou un peu d’tout ça mais retrouver de quoi nettoyer correctement mes légumes ça a quand même pas de prix. C’est d’la bouffe de p’tit culs les mets végétariens mais j’y peux rien si mes convictions m’y poussent. Le frigo est rempli à ras-bord, c’est vraiment passer d’un extrême à l’autre. Ça rime à rien mais je jubile à l’idée de pouvoir m’en mettre plein la panse. J’ai un peu crevé la dalle la semaine passée à vrai dire, ma pauvre compagne de tente pourra en témoigner, mon estomac agonisait chaque nuit un peu plus. J’suis difficile, oui, c’est un comble pour un mec de ma trempe. J’attrape ce dont j’ai besoin et un pivot plus tard, entre la saisie du couteau et le retour vers le plan de travail, j’vois ce mec que j’ai croisé le soir d’entrée. Le chasseur. L’Homme avec un grand H, ce mec qui pourrait vous faire une pub pour Jean Paul Gautier sans qu’vous sachiez trop comment il a réussi à plaire à quelqu’un. Bon remarque j’m’en fou moi j’l’ai trouvé cool sous ses airs de dur. J’vais pas non plus dire que j’ai fait le malin quand il a joué son tour d’intimidation, j’ai quand même conscience d’être un cure-dent relou de temps à autre, donc bon. « Salut ours brun, tu viens prendre ta collation ? » J’lui aurais bien demandé ce qu’un type de son genre peut bouffer à part des enfants mais c’est tendre le bâton pour me faire battre alors autant me concentrer sur la découpe de mes courgettes fraichement épluchées.

C'est la dernière fois qu'il dort dans c'te chambre de fous, c'est sur, il se le promet. Il s'est encore fait coincé ya une demi-heure alors qu'il voulait se lever. A moitié nu avec une envie de pisser un truc monumental. La partie nue l'a dérangé comme un insecte mais le reste, c'est chiant. Et repousser son café, c'est pas bon. Ça détruit des neurones, et des hommes qui se mettent entre lui et son graal du matin. Le café c'est sacré. Le café c'est la vie. Il a enfilé un jean, c'est qu'il a bien comprit que le caleçon, ça faisait que les filles l'interpellaient pour qu'il mette autre chose. Alors il s'habille mais c'est pour le silence que ça lui donne en retour. C'est l'heure d'affluence, il est presque choqué de voir que le p'tit du prime dans la cuisine. Il grogne une vague réponse tout en se servant un café. Sa tête le fait souffrir le martyr mais il a l'habitude, il sait gérer. C'est le contraire qui l'étonne de nos jours. Il s'appuie sur un plan de travail, les mains bien entourées autour de son demi litre de café. S'ils en faisaient des intraveineuses... - T'fais quoi? Il demande, articulant vaguement dans un besoin de se faire comprendre. Ça a l'air d'avoir beaucoup de légumes pour un plat matinal. Mais bon, c'est que ça creuse la nuit, et peu importe l'heure, il bouffe de tout Ronan.

J’le trouve plutôt inoffensif Ronan et surtout dans ce genre de situation. La tête dans le cul, une dégaine de vieil ours mal léché… bref j’ne suis à mes courgettes. Il ne me répond pas mais j’suis trop occupé pour retourner à le titiller même s’il est clair que ça fait partie de mes tops activités à réitérer. « J’prépare mon dej’, t’as quelques heures de retard. » Le mec vient d’être parachuté mais j’lui en veut pas tout simplement parce que j’arrive à comprendre la chose. Pour une fois. « Des courgettes avec de la feta, t’en veux pour tremper dans ton café ?» J’ai ma façon à moi de bien les cuisiner, je les fais sous forme de médaillons pour que ça ressemble à quelque chose et que ce soit bon. En clair j’en suis qu’au début du procédé mais j’vais puiser dans ma patience. Devenir végétarien m’a appris à me défoncer en cuisine pour pouvoir bouffer quelque chose de convenable. Sinon c’est trop facile de faire des pâtes et de la viande. J’me retourne vers lui, une rondelle de courgette entre les doigts et lèvres pincées prêt à viser sa tasse de café que je fixe dans une concentration extrême.« Bouge pas, j’ai déjà fait du basket. » Histoire de lui assurer que quoi qu’il arrive j’arriverais à shooter dans sa tasse de café. Et non clairement je n'ai jamais fait de basket tout comme aucun autre sport de ma vie mis à part en cours d'EPS au collège. Le lycée c'est là où t'apprends à sécher donc clairement, non, je ne sais pas viser et d'ici cinq secondes je tenterai un valeureux lancé.