Grandir dans une famille de six enfants m'avait habitué à la vie en communauté, au partage et au manque d'intimité. Toutefois, rien n'aurait pu me préparer à cela. Partager un espace relativement restreint avec vingt-cinq autres personnes s'avérait plus difficile que je ne l'aurais tout d'abord imaginé. Peu importe où j'allais, il y avait toujours quelqu'un, toujours des sourires à faire, du bruit à supporter, des conversations à soutenir malgré l'envie de passer du temps seule... D'accord, ce n'était pas si dramatique que ça, et j'aimais beaucoup ce début d'expérience. Toutefois, comme tout autre être humain normalement constitué, je ne pensais pas pouvoir survivre encore longtemps sans m'éloigner. Est-ce que c'est un besoin vital, l'intimité? Ou alors, c'est seulement un luxe que l'on se permet de temps en temps? Je n'avais pas vraiment envie de répondre à mes propres questionnements existentiels (et inutiles), si bien que j'ai rapidement chassé ces réflexions de ma tête. Le jardin me semblait être l'endroit idéal pour décompresser et m'éloigner pendant quelques minutes. Il faut dire que la température était plus ou moins accueillante, ce qui me permettait de croire que peu de gens auraient l'envie de s'aventurer à l'extérieur. Vêtue en conséquence, je me suis mise à marcher, seule, profitant du silence et de l'air frais.

Aurais-je dû être étonnée qu'il y ait une autre personne dehors? Non. C'était tout à fait prévisible, car comme je l'ai dit plus tôt, il y avait toujours quelqu'un, à FL. Je ne savais pas si l'autre promeneur cherchait la solitude aussi, mais je n'avais pas non plus envie de paraître absolument malpolie ou associable. C'est sûrement cela qui m'a poussée vers l'homme, avec qui je n'avais pas encore eu la chance de discuter. Je lui ai adressé un petit sourire, avant de rompre le silence.
«Salut. Je crois que nous ne nous sommes pas encore présentés, non? Je suis Tara.»

La solitude était vitale pour l’être humain. Chaque être avait besoin de se retrouver avec lui-même. Mais dans un environnement comme celui-ci, où chaque fait et gestes étaient scrutés avec la plus fine attention, le concept de solitude devenait relatif. Ce concept devait absurde. Pourtant, chacun cherchait un bref instant, quelques secondes à soi, avant de retourner dans la fausse aux lions. Le jardin était devenu l’un de mes endroits de prédilection pour satisfaire cette envie de s’éloigner de ce cirque. Des individus qui le composaient. J’avais dévoilé mes cartes assez rapidement et lors de la première soirée, j’avais mis au clair le fait que je n’avais pas l’intention de jouer, depuis ce temps, je m’étais confiner dans un mutisme étrange. Une solitude interne. «Salut. Je crois que nous ne nous sommes pas encore présentés, non? Je suis Tara.» Je tournai la tête, presque confus de voir à quel point les gens n’avaient pas de difficulté à s’introduire. À quel point, ça semblait si facile pour eux. Je restai silencieux un instant, comme pour analyser la personne qui était devant moi. Un autre visage que je gravais dans ma mémoire. Tara. « Moi, c’est Cillian. » Se présenter. Faire bonne figure. Jouer au jeu. Suivre la parade. Cette pensée m’arracha un petit sourire, alors que je tendis une main à ladite Tara. « Toi aussi tu cherches un peu de calme, hein ? » Je retournai à l’observation du ciel irlandais. À ce moment, c’était bien la seule chose qui semblait réel. Je posai ma cigarette contre mes lèvres, fixant toujours l’horizon. À défaut d’obtenir la solitude, le calme devenait la chose la plus précieuse en ses murs. « Vivre avec 24 autres personnes, ça devient aliénant parfois… Et ça fait juste commencer. » J’esquissai un mince sourire. L’ironie. Même malgré la vingtaine de personne qui m’entourait, je ne m’étais jamais senti aussi seul.

Le dénommé Cillian me tendit une main, que je serrai avec douceur. J'eus un petit rire lorsqu'il me demanda si je cherchais le calme, me rendant compte de l'absurdité d'une telle recherche. Après tout, nous n'étions ici que depuis deux jours, et il nous faudrait bien nous habituer à cet environnement différent. Si j'étais venue à Fake Lover, ce n'était pas parce que j'étais en quête d'un havre de paix... Mon besoin de tranquillité était peut-être naturel, mais il me faudrait en faire abstraction si je ne désirais pas étouffer au bout de trois jours.
«Oui, mais j'imagine que je devrai apprendre à faire sans. »
Je lui ai souri, puis j'ai suivi son regard vers le ciel. Cillian fit une remarque à propos du fait que vivre avec une vingtaine de personnes était plutôt difficile et que ça ne faisait que commencer, ce qui me fit sourciller. D'accord, cela pouvait être éprouvant, surtout quand on était de nature plutôt réservée ou introvertie, mais si, justement, on était si introverti... pourquoi s'y inscrire?
«Mais... C'est quand même une expérience enrichissante, non? Sinon, pourquoi vouloir y participer? »
Je lui lançai un regard interrogateur. J'espérais qu'il n'était pas de ces gens à la mine basse en permanence. Il faut dire qu'il était relativement difficile pour moi de me lier à ce type de personne, qui vous minaient le moral. Mais bon, peut-être que Cillian était simplement fatigué, ou quelque chose du genre. Mieux valait ne pas sauter aux conclusions immédiatement.

«Oui, mais j'imagine que je devrai apprendre à faire sans. » J’esquissai un mince sourire. « Heureusement, le seul endroit où les caméras ne peuvent filmer, c’est dans ta tête. Si tu cherches la solitude, c’est le seul endroit où tu vas pouvoir le trouver. » Faire face à des personnes aussi différentes de moi, qui voyait la vie sans ce filtre salit par une vie perdue dans les brumes. Oui, c’était intéressant. Lula avait bien raison sur ce point, cette aventure se révélerait sans doute une expérience humaine enrichissante. Pourtant, je n’arrivais pas à comprendre en quoi, un être ironique et noir comme moi pouvait bien apporter quelque chose à mes comparses. «Mais... C'est quand même une expérience enrichissante, non? Sinon, pourquoi vouloir y participer? » J’haussai les épaules et hésita un instant. C’était une question que je me posais depuis mon arrivé ici. « Je sais pas. J’imagine qu’au fond, on est tous à la recherche de quelque chose. Que ce soit, l’argent, l’amour, le défi. Je pense que c’est ce qui fait qu’on est tous ici. On cherche désespérément quelque chose qu’on n’arrive pas à trouver dans la réalité. » Je n’étais pas pessimiste, j’étais réaliste. Les 26 personnes que composait cette aventure étaient tous sadiques, à un niveau ou à un autre. J’imagine que c’était pour ça que les cotes d’écoute étaient si fortes. J’observai alors la petite Tara, qui semblait si différente de moi. « Toi, pourquoi t’es là ? » C’était une question que j’aimais bien poser car la réponse était souvent une porte sur les réelles motivations de la personne.

«Heureusement, le seul endroit où les caméras ne peuvent filmer, c’est dans ta tête. Si tu cherches la solitude, c’est le seul endroit où tu vas pouvoir le trouver. »
Je suis demeurée un instant interdite, réfléchissant à ce que Cillian venait de dire. C'était parfaitement vrai, et je n'y avais même pas pensé. J'ai relevé la tête vers lui, lui offrant un petit sourire. «Je n'avais pas vu les choses sous cet angle, mais... j'imagine que tu as raison.» J'ai enfoui mes mains dans les poches de ma veste, observant les nuages et le manque criant de soleil. Cillian a dit quelque chose à propos de chercher ce que l'on n'arrivait pas à trouver dans la réalité, ce qui me fit sourire avec un peu d'amertume. Il me demanda pourquoi j'étais venue ici, la question inévitable.
«Tu risques de trouver cela naïf et peut-être même un peu idiot, mais je suis venue ici pour l'amour. C'est clair que, dit de la sorte, ça doit être assez pathétique.»
J'ai ri de mes propres paroles, puisque ma motivation était en effet bien... princesse? On me reprochait un peu trop souvent d'être trop rêveuse et idéaliste, et j'imagine que ce reproche était fondé. « Et toi, c'est quoi, cette chose que tu ne parviens pas à trouver dans la réalité?» Je n'étais pas certaine d'avoir vraiment compris ses motivations, plus tôt. En fait, je n'étais même pas sûre qu'il me les avait dites ou pas. J'ai fixé mon regard sur lui, attendant sa réponse avec intérêt.