+@Leandro
Imma cherche Himmel des yeux, les deux mains sur les vitres du couloir aquarium, le visage quasiment collé sur cette même vitre. Tout du moins son nez l’est. Comme tous les matins, elle vient lui dire bonjour : c’est devenu instinctif, comme une habitude à laquelle elle ne peut déroger. À peine levée - encore en pyjama et même emmitouflée dans une couverture fine couvrant leur lit à elle et Addil – elle file toujours directement vers cet immense aquarium et se sent un peu mieux après avoir vu Himmel. C’est bête, certainement étrange. Surtout que cet Himmel au final, n’est pas vraiment à elle. Il ne s’appelle même pas Himmel en vrai, c’est elle qui a nommé ce poisson bleu de cette manière. Alors comme tous les matins, elle est venue le voir. Sauf qu’elle ne le trouve pas ce matin, elle ne le voit pas se faufiler comme il a l’habitude de le faire tout au fond de l’aquarium. Elle est inquiète. Elle ne le voit ni au fond, ni tout au bord, ni à droite, ni à gauche, pas même au creux de gros cailloux creusés. Elle avale sa salive. Elle a compris que Cupidon avait de drôles d’idées, mais il n’aurait pas celle de lui enlever Himmel tout de même ? Elle n’arrive pas à se résigner. Elle n’arrive pas à se dire que non, il n’est plus là. Alors elle souffle, posant son front sur la vitre, les yeux fermés. C’est bête, elle a envie de pleurer : c’est un repère qu’elle n’a plus, c’est perturbant.

Il est 9h. Je suis déjà douché, habillé, et j’ai pris mon petit déjeuner. Quand la plupart des candidats dorment encore. De vraies marmottes. Heureusement ce n’est pas le cas de tout le monde, sinon je me sentirais bien seul le matin. Même si parfois, ça a du bon un peu de tranquillité. Je ne sais pas comment font les autres pour dormir aussi longtemps…Déjà moi, dormir jusqu’à dix heures relève de l’exploit. Il faut vraiment que j’ai fais la bringue toute la nuit, ou que je manque vraiment de sommeil. Mais je suppose que c’est une question d’habitude. Moi qui pour le boulot, doit me lever aux aurores, forcément, ça instaure un certain schéma, que ton cerveau a du mal à se défaire. Et puis de toute façon, dormir jusqu’à midi, je trouve que c’est une perte de temps. Tu te lèves, et t’as la moitié de la journée qui est déjà passée. Bref, je monte au deuxième étage dans le but de me rendre à la salle zen, lorsque dans le couloir, je croise Imma. Emmitouflée dans sa couette, encore en pyjama très certainement. La tête contre la vitre des poissons, elle n’a pas l’air d’aller bien. Alors je m’approche. « Imma… ? » Que lui arrive-t-il ? « Tout va bien ? » Elle m'inquiète.

C’est vraiment bête. Himmel n’est qu’un poisson, qui n’en a simplement rien à faire des humains l’admirant de l’autre côté de la vitre. Imma sait très bien que ce sont des broutilles, qu’il ne lui appartient pas. Mieux, elle se dit surtout qu’il serait mieux dehors, dans l’océan, à nager librement sans être entravé par une baie, le gardant captif. Il n’a jamais rien demandé. Si les candidats sont enfermés, c’est parce qu’ils l’ont voulu. Pas lui. Pourtant, à ce moment précis, c’est devant elle qu’elle aimerait le voir, égoïstement. Ce qui n’est pas le cas. Peut-être en fait-elle tout un plat. Peut-être qu’elle ne le voit simplement pas, qu’il est bien caché. Dans tous les cas, elle n’avait pas vu s’avancer vers elle Leandro. Seule sa voix l’alerte de sa présence, lui montrant aussi qu’elle n’était pas la seule debout. Doucement, elle tourne sa tête vers le jeune homme, sans même quitter la vitre contre laquelle son front est collé. Elle fait une petite moue, alors qu’il lui demande ce qu’elle a. Instinctivement elle s’éloigne de la vitre, resserrant la couverture autour d’elle, de ses épaules, qu’elle hausse mollement. Et puis elle se sent ridicule… Tellement ridicule. « Rien. Oui » elle s'embrouille, elle souffle. Elle lui adresse même un petit sourire, seule preuve qu’elle pouvait lui apporter pour lui montrer qu’elle va bien. En soir elle va réellement bien d’ailleurs. Restant un instant debout, dans ce silence qui l’accompagne très souvent, elle finit par le rompre elle-même : « Parle-moi de tes chevaux » Elle a compris qu’il travaillait avec des chevaux, elle l’a entendu de la bouche d’une personne. C’est que oui elle veut détourner la conversation et l’attention sur lui, mais elle s’intéresse très sincèrement à ce qu’il fait dans la vie.

Je suis étonné de tomber sur Imma. La tête collée contre la vitre. Elle n’a pas l’air d’aller bien. Un coup de déprime ? Je ne sais pas. Elle m’inquiète un peu. Alors je viens à sa rencontre. J’essaie de voir ce qui ne va pas. Mais elle me répond par la négative. Elle n’a rien, tout va bien dans le meilleur des mondes. Ah bon ? Elle n’en avait pas l’air pourtant. Mais d’accord, je ne vais pas insister. Si elle ne veut rien me dire, je respecte son choix. Il n’y a rien de plus chiant que les gens qui insistent. Si t’as pas envie de parler, t’as pas envie de parler. « D’accord… » Un petit silence s’installe. Je ne sais pas trop quoi dire. Puis finalement, elle me demande de parler de mes chevaux. « Ce ne sont pas vraiment mes chevaux, je ne fais que m’en occuper… Enfin, certains, ils étaient à ma famille avant…On avait un élevage de chevaux, mais on a dû tout vendre...ça m’a brisé le cœur de devoir m’en séparer. Surtout Lady…Je l’ai vu naître…Je m’en suis occupé tout du long... Alors quand les nouveaux propriétaires du ranch m’ont proposé de travailler pour eux, j’ai sauté sur l’occasion. Lady, elle a 17 ans aujourd’hui. Elle a le poil brun…Elle est majestueuse… Mais la pauvre, elle commence à se faire vieille. Ils ne la gardent, que pour moi, parce que normalement ils auraient du s’en débarrasser depuis bien longtemps… » Parce que bon elle n’est plus très utile. Elle commence à avoir de l’arthrose en plus. Puis surtout elle n’est pas à vendre. Elle est à moi. Mais ils ont accepté de la garder, alors que je n’ai pas les moyens de les payer pour ça.   « T’as Fury ensuite…Il porte bien son nom. Il est assez agité, mais il suffit de savoir comment s’y prendre avec lui, il n’est pas bien méchant dans le fond. Puis Prune, Chico…Rhalala, je pourrais t’en parler durant des heures. Mais c’est des chevaux de loisirs, ils ne sont pas entrainés pour les courses hippiques. » Non, chez nous, ils sont destinés à la randonnée, au tourisme… « T'es déjà montée à cheval ? »