Pour la première fois depuis des mois, j'avais réussi à me lever à une heure relativement convenable, soit 10h. Pour une raison que j'ignorais, j'avais la fâcheuse tendance à me réveiller aux alentours de 7h30, sans réussir à m'assoupir à nouveau par la suite. Ces petits problèmes n'intéressaient vraiment personne, alors j'avais préféré le garder pour moi... jusqu'à ce matin. Allez savoir pourquoi, j'avais eu la brillante idée de raconter tout ça au premier passant, qui devait probablement me trouver très étrange, d'autant plus que c'était notre tout premier contact. Reconstitution de la scène, pour ceux que ça intéresserait:

Je venais tout juste de me lever, alors je n'avais qu'une seule envie: manger. Mon ventre criait famine, ce qui ne m'étonnait guère. (Il faut dire que j'avais toujours eu un gros appétit, mais ça, c'est loin d'être pertinent dans cette histoire.) Alors, d'un pas joyeux, je me suis dirigée vers la magnifique cuisine du nid - à ce propos, si je pouvais avoir une cuisine comme celle-là, dans ma future maison de rêve, ce serait absolument génial. Crêpes au lait de soja, voilà ce que mon tout premier petit déjeuner allait être. Il y avait déjà des gens, dans la cuisine, dont un garçon que j'avais aperçu la veille sans lui parler. Alors, sans trop y réfléchir, je lui ai adressé un grand sourire avant de lui lancer, avec beaucoup trop d'entrain:
«Je crois que cette maison me donne des ailes! C'est la première fois que je dors aussi bien depuis... vraiment longtemps. Au fait, je m'appelle Tara.»
Je lui ai tendu ma main pleine de farine, me doutant qu'il n'allait pas être tenté de la serrer.

C'est ainsi que, vêtue d'un pyjama ridiculement décoré de flocons de neige, je me suis retrouvée face à cet autre candidat dans la cuisine. Je me demandais encore à quoi j'avais bien pu penser en m'inscrivant à cette télé-réalité. Réalité. Comme s'il arrivait souvent, dans notre vie de tous les jours, de partager notre cuisine avec vingt-cinq inconnus! Considérant que cette réflexion méritait d'être partagée, je ne pus m'empêcher de parler encore, confirmant cette opinion de moi qu'avaient mes proches: j'étais incapable de me la fermer.
«Je n'ai jamais compris pourquoi on appelait ça télé-réalité. Après tout, c'est assez déformé, comme réalité, non?»

J'avais trouvé le sommeil vers trois ou quatre heures du matin, après tout c'était une sorte de soirée non ? Je n'allais donc pas me coucher comme une poule, mais promis je me rattraperai une prochaine fois, peut être... Et c'est dans les gémissements incessant de ma partenaire que j'avais passé une nuit torride sur le toit. Oui, elle était aussi insupportable de nuit comme de jour, j'avais donc opté pour le toit plutôt que mon lit. J'avais eu froid, je ne pouvais le nier, et je risquais même d'attraper la crève mais au final, j'avais bien dormi. C'est seulement vers dix heures que je m'étais réveillé tel un clochard allongé sur son banc. J'allais garder cela pour moi, bien entendu. Me laissant guider par mes jambes qui lentement marchaient jusqu'à la cuisine, je m'assis sur une des chaises attrapant tous ce dont j'avais besoin pour prendre un petit déjeuné équilibré, une jeune femme prit la parole, s'adressait-elle à moi ? « Je crois que cette maison me donne des ailes! C'est la première fois que je dors aussi bien depuis... vraiment longtemps. Au fait, je m'appelle Tara. » Je mis un certain temps à comprendre que oui, c'était bien à moi qu'elle parlait.

« Et moi c'est la première fois que je dors sur un toit depuis... toujours. Je suis Gabriel, ravi. » dis-je dans ma somnolence.

J'étais certainement bien trop endormi pour me rendre compte de tout ce qu'elle pouvait dire, c'est donc dans un hochement incertain des épaules que je répondais à sa second phrase. « Je n'ai jamais compris pourquoi on appelait ça télé-réalité. Après tout, c'est assez déformé, comme réalité, non? »

« J'avoue ni avoir jamais pensé. Hum... Essaies de faire des phrases simples... le matin... avec moi. » lâchais-je avant de croquer dans ma tartine surmontée de beurre et confiture.

Gabriel, parce que c'était ainsi qu'il se prénommait, semblait tout sauf réveillé. Lorsqu'il me demanda de faire des phrases simples, d'un ton plus qu'endormi, j'éclatai de rire. Bon, la situation était peut-être plus comique dans ma tête qu'elle ne l'était en réalité. J'ai rapidement terminé la préparation de mon plat, tout en lui parlant à nouveau - plus tranquillement, cette fois.
« D'accord, je vais tâcher d'être plus simple à comprendre. »
Je suis allée faire cuire mes crêpes, me demandant pourquoi j'avais eu la brillante idée de faire un petit déjeuner compliqué. J'étais habituée au vieux four de chez moi alors, les appareils ultra-technologiques de cette cuisine me laissaient un peu perplexe. Lorsque je finis par réussir à comprendre le fonctionnement du poêle, et que je terminai la cuisson, je revins vers l'homme endormi. Il avait peut-être eu le temps de se réveiller... ou pas. C'est bien ce qu'on allait voir.
«Mais, dis-moi... Pourquoi dormir sur le toit quand on a accès à des lits super confortables? »
J'allais ajouter autre chose, mais je me suis dit qu'il valait mieux ne pas poser quarante questions d'un coup. Assoupi ou en pleine forme, personne n'aimait subir un interrogatoire, surtout pas pour la première rencontre.

La jeune femme semblait s'amuser de mon lamentable état et d'un certain côté, je pouvais la comprendre, je devais être complètement ridicule et endormi, et encore, là j'avais eu la délicatesse d'enfiler des vêtements pour ne pas ajouter exhibitionniste à la liste me décrivant qui était déjà bien trop étendue à mon gout. « D'accord, je vais tâcher d'être plus simple à comprendre. »

« Merci. » répondis-je la bouche à moitié pleine, oui c'était très délicat de ma part, j'avais la fâcheuse habitude d'oublier les bonnes manières lorsque midi n'avait pas encore sonné.

Cependant la jeune femme semblait décidée à continuer la conversation et c'est d'ailleurs après être parti faire je ne sais trop quoi -j'étais bien trop occupé à fixer mon bol pour la regarder- qu'elle reprit la parole « Mais, dis-moi... Pourquoi dormir sur le toit quand on a accès à des lits super confortables? ».

« Et bien, je suppose que c'est les aléas de la vie, tu sais, la première fois qui se passe mal... tout ça. Cependant je soutien entièrement celui qui osera dormir sur ce banc, je ne sens plus mon dos. » dis-je en essayant de faire craquer celui ci.

Je l'observai en tentant de comprendre ce qu'il me disait, mais sa réponse était plutôt vague, ce qui me laissa perplexe. La première fois qui se passe mal? Peut-être qu'il s'était disputé avec sa partenaire, ou quelque chose du genre. À ce niveau, j'avais eu de la chance, tout de même, car même si Abygaëlle et moi n'étions pas très semblables, nous n'en étions pour le moment pas au point de nous arracher les cheveux.
« Eh bien, j'espère que je n'aurai jamais à vivre cela. Ça m'a l'air... souffrant? »
Je me suis assise et j'ai entamé mon repas, tout de même décidée à poursuivre cette conversation. J'étais de très bonne humeur, ce matin-là, et décidée à le partager. Je relevai la tête vers l'autre candidat, cherchant quoi lui dire. Ça, c'était plutôt inhabituel, venant de moi. En même temps, il n'était peut-être pas dans l'état le plus adapté à une conversation soutenue...
« Et tu aspirais à quoi, en t'inscrivant ici? Sûrement pas à dormir sur le toit, j'imagine... »

Non je n'étais vraiment pas réveillé et mon état commençait sérieusement à m'exaspérer, j'étais comme un chewing gum, aussi moue et gluant, et bien que je ne vois pas en quoi j'étais gluant, je trouvais que ce terme sonnait plutôt bien. Finissant mon bol je songeais alors que la caféine serait certainement une bonne alternative pour me secouer, ou du moins, je l'espérais car sérieusement, je ne ressemblait à rien et ce ne devait pas réellement être agréable pour mon entourage.

« Eh bien, j'espère que je n'aurai jamais à vivre cela. Ça m'a l'air... souffrant? » « Oh tu sais une fois que tu ne ressent plus le froid, ça passe. » dis-je avec le plus possible d'humour que je pouvais avoir dans ce genre d'état.

Me traînant jusqu'à la machine à café, d'un pas lent et traînant, je mis une capsule d'expresso ainsi qu'une tasse et attendais que le tout se fasse, dans un calme assez apparent. Toute malice habituelle n'était que flou, le réveil était dur, tellement dur que je n'arrivais pas réellement à savoir à qui je parlais, c'était qui cette Tara déjà ? Je faisais vraiment pitié.

« Et tu aspirais à quoi, en t'inscrivant ici? Sûrement pas à dormir sur le toit, j'imagine... » « Amour gloire et beauté. Je crois que ça résume à peu près l'ensemble » dis-je tout en lâchant un léger rire « Et vous jeune femme, qu'est ce qui vous amène ici ? »

Qu'est-ce qui m'amenait ici? Autant il m'avait été aisé de répondre à cette question lorsqu'elle sortait de la bouche de Lula, autant j'appréhendais la réaction de Gabriel si je répondais sensiblement la même chose. Je lui ai souri, terminant mon repas, puis je lui ai répondu en apportant mon assiette vers le lavabo pour la nettoyer.
« La même chose, sans la gloire et la beauté. »
C'était une réponse un peu idiote, je l'accorde, mais elle avait le mérite d'être... la vérité? Comme je n'avais rien de prévu, et qu'en fait je ne savais absolument pas quoi faire, j'ai décidé de m'attarder un peu plus longtemps à la cuisine. De plus, si ça pouvait me donner la chance de mieux connaître un candidat, c'était parfait ainsi. J'ai pris un ton de journaliste inquisiteur, attrapant une cuiller en bois en guise de micro.
« Et sinon, vos premières impressions? »
Peut-être était-ce too much, mais bon, ça n'avait pas vraiment d'importance.