Je me pose sur la terrasse, ne cherchant pas forcément une compagnie. Je me contente de trouver mon paquet de clopes à moitié écrasé dans la poche arrière de mon jean. Mes doigts fébriles en tirent une cigarette que je ne tarde pas à allumer. Je trouve mon réconfort dans la nicotine. Oui, je fais comme je peux. Je tire ma première taffe alors que je m'allonge sur un canapé pour profiter d'un soleil qui n'est pas toujours au rendez-vous à Paris à cette période de l'année. Je laisse les rayons du soleil échauffer mon épiderme avant que je remarque l'arrivée de Leandro. Je replie alors mes jambes pour que mes genoux viennent cogner contre ma poitrine pour lui laisser une place. Je tapote l'espace vide pour l'inciter à s'installer près de moi. « Alors reprenons notre discussion du prime mon petit » je murmure simplement en relevant une nouvelle fois la tête pour l'observer directement. Parce qu'elle est restée inachevée à cause de l'annonce des résultats et du sauvetage de ceux que je voulais, un sans faute pour une fois. On parlait de sa consultation et de son psy qui l'avait aidé. « Ta dépression c'était à cause de quoi ? » je demande sans filtre en plantant mes iris curieuses dans les siennes. « Tu sais j'ai consulté un psy aussi » je lui dit, mais je crois qu'il a compris ce que j'en pensais. « On m'a forcé, parce que tout le monde me trouvait trop parfaite pour être vraie » j'ironise. « Je plaisante » je précise tout de même parce que j'ai remarqué qu'ici, ils ont du mal à ne pas prendre tout au premier degré.

Je monte sur le toit, parce que j’y ai oublié ma veste sur l’un des fauteuils. C’est alors que j’aperçois Maha, confortablement installée. N’ayant rien de mieux à faire, je prends place à ses côtés, puisque c’est ce qu’elle semble vouloir. « Alors reprenons notre discussion du prime mon petit » Ah. Il est vrai qu’avec l’annonce des résultats tout ça tout ça, on a été un peu interrompu durant notre conversation. Je vois qu’elle n’a pas oublié mes petites confessions concernant ma dépression et mes visites chez le psy. Avouant au passage qu’elle a déjà vu un psy elle aussi. Parce que tout le monde la pensait trop parfaite pour être vraie. Haha. Elle me précise au passage que c’est une plaisanterie. Sans blagues. « Je pense que la précision n’était pas nécessaire. » que je dis pour la taquiner. Oui parce que bon, elle ne représente pas exactement ce que je m’imagine de la perfection. « T’aurais une clope d’abord ? » J’en aurais bien besoin d’une, mais j’ai oublié les miennes. Une fois qu’elle m’en a refilé une et allumée – oui parce qu’elle est gentille, elle partage – je tire une taffe. J’expire la fumée, et reprends finalement la parole, pour lui répondre. «  J’ai perdu ma mère à l’âge de 18 ans. C’est peu de temps après ça que j’ai commencé à voir un psy…Et mon père…enfin…il est mort deux ans plus tard. Alors je suppose que ça n’a pas aidé… » Sans blagues. A l'époque j'étais vraiment une épave. Je ne sortais plus, je ne voyais plus personne. Je pouvais rester des jours enfermés chez moi, sans jamais voir la lumière du jour. Mais j'ai fini par m'en sortir. « Fut un temps, ou je n’aurais pas pu en parler sans craquer…Mais j’ai dépassé ça. » Donc bon, elle ne devrait pas trop avoir à craindre que je m’effondre en pleurs là tout de suite ou que sais-je. « Et toi alors ? Pourquoi t’as consulté un psy ? » A moins que cette partie là aussi était une plaisanterie. Pas seulement les raisons de sa consultation. « Je doute que tu puisses me battre en histoire morbide ceci dit. » Il faut bien pouvoir plaisanter un peu.

« Parce que tu es la politesse incarnée toi surement. » J’en doute, j’en doute. Mais bon, c’est vrai que j’ai manqué à mes principes. Alors quand elle me flippe une clope, je décide d’en rajouter. « Merci Maha, c’est vraiment très généreux de ta part, je n’oublierais pas ce que tu as fais pour moi. Tu es quelqu’un de bien. » Cela lui convient là ou pas ? Bon, et maintenant, on va partir sur un sujet moins léger. Terriblement moins léger. Parce que la mort de mes parents n’est pas exactement quelque chose d’anodin pour moi. Mais un vrai traumatisme. Ce qui est généralement le cas pour tout le monde dans cette situation. A moins que tes parents n’étaient des monstres et que tu sois plus soulagé qu’autre chose qu’ils ne soient plus de ce monde. Et encore, ça reste quand même un traumatisme. « Et tu as fait comment après ?  Je ne sais pas comment tu fais » Je n’ai franchement pas beaucoup de mérite. « C’est plutôt à ma sœur qu’il faut dire ça…C’est elle qui a prit les choses en main. Qui s’est occupée de tout. Quand moi je restais prostré dans ma chambre à n’avoir plus envie de rien, elle…Elle s’est occupée de tous les détails administratifs… » Qui a envie de s’occuper à organiser les funérailles ? A faire tous les papiers, tous les changements…Vendre le ranch… « De nous nourrir, nous loger… Et surtout d’élever mon frère. Il était petit quand c’est arrivé, il n’avait que 12 ans… Autant de responsabilités… Alors qu’elle aussi a perdu ses parents. Elle aurait eu le droit de craquer. Et pourtant elle est restée forte, pour nous. Honnêtement je n’ai aucune idée de comment elle fait… Je crois qu’elle n’est pas humaine. » Probablement qu’elle a eu ses moments de faiblesse elle aussi. Mais jamais devant nous. « Je lui dois tout. » Et tellement plus encore. Je ne serais probablement pas ici à l’heure actuelle si elle n’avait pas été là. Je ne serais peut être même plus de ce monde. Maintenant que je me suis confié à cœur ouvert, à elle à son tour de partager un peu. Il n’y a pas de raison que ça ne soit que moi. Un de ses cousins – très éloigné – a été impliqué dans un attentat terroriste en Israël. Dois je en déduire qu’elle est israëlienne ? Un attentat suicide dans une école maternelle…C’est juste horrible. Comment peut-on vouloir du mal à de si petits êtres innocents. « Ton manque d’indulgence ? Ils s’attendaient à quoi ? Que tu le soutiennes sous prétexte que vous partagez le même sang ? Ce genre de personne ne mérite pas le pardon. » Je suis pourtant un mec très tolérant, à toujours essayer de voir le bien chez les autres, à pardonner beaucoup de choses, à faire passer sa famille au premier plan, mais à un moment donné il y a des limites. « Mais ils voulaient que tu l’aides, parce qu’ils partagent ses idées ou c’est juste, la famille avant tout, quoi qu’il arrive ? » J’espère la deuxième réponse, sinon c’est plus inquiétant.