- imma.

Je ne suis pas là pour le thé. Je m'en fous un peu du thé. J'en bois à l'occasion, mais de là à y consacrer un espace tout particulier, ça me dépasse un peu. La seule utilité et le seul intérêt que je lui trouve, c'est la tranquillité qu'il confère lorsque je vais m'y installer. Je tire systématiquement le rideau sur presque toute la superficie de la tonnelle, ne laissant qu'un espace suffisant que pour les passants susceptibles de vouloir s'incruster ne note ma présence, donc je suis certain qu'elle est plus répulsive qu'un espace hostilement clos, qui aurait tendance à rendre trop curieux. Alors, comme à mon habitude, je me laisse tomber sur l'un des fauteuils en rotin, le casque sur les oreilles, me laissant électriser par le psychédélisme de Pink Floyd et la voix surréaliste de Gilmour. Et comme souvent, je finis par abandonner ma lecture au détriment de la musique. Je referme distraitement mon livre sans chercher à marquer la page que je retiendrai sans peine, et je me contente de le serrer entre mes doigts absents, laissant ma tête rouler contre le dossier, fermant les paupières pour me concentrer uniquement sur la guitare qui remplit ma tête et me coupe du reste du monde. Je devrais probablement mettre à profit le temps libre qu'on a presque à overdose dans ce jeu pour me sociabiliser davantage et tâcher de m'extirper de cette habitude de la nomination qui commence à prendre un peu trop ses aises dans mon quotidien. Du moins, si je parviens à échapper à l'élimination une fois encore au prochain prime. On verra. Je me sens dans l'ombre tout à coup. Il y a un truc qui a changé, un truc imperceptible mais que je sens malgré tout. Je sais que je ne suis plus seul et je fronce les sourcils, avant de redresser la tête pour distinguer une ombre bel et bien projetée sur moi. Mes yeux glissent jusqu'à la silhouette qui se tient là, en plein soleil, et je reconnais finalement Imma. « Salut » je dis simplement. Qu'elle vienne si elle veut, ou alors elle était juste en train de se demander si j'étais mort ou inconscient, les yeux fermés sur mon fauteuil. Elle s'approche finalement. Et en vérité, je ne sais quelle attitude adopter avec elle. Je ne parviens pas à décider si je la trouve intéressante ou fatigante. Sans doute un peu des deux. « Les gens semblent apprécier la personne que tu es ici » je note, en référence à son score plus qu'honorable aux dernières nominations. Elle a terminé, si mes souvenirs sont bons, deuxième sur neuf, et pour quelqu'un qui a aussi peu d'estime de soi qu'elle semble en avoir, ça doit être une jolie surprise. Puis elle me disait qu'elle se trouvait meilleure dans le jeu qu'à l'extérieur, et si je ne peux guère juger sur qui elle est dans sa vie de tous les jours, les téléspectateurs semblent lui donner raison sur l'intérêt qu'elle peut avoir ici.

Je rabats mon casque sur mes épaules tandis qu'Imma s'approche, et je la suis du regard, de mon regard neutre que j'ai la plupart du temps. Docilement, aussi, j'abandonne mon livre sur la table. Je ne m'attendais pas à voir quelqu'un débarquer aussi spontanément, et avec le sourire qui plus est. Enfin, c'est fort possible qu'elle ne soit pas là pour moi. Je hasard un commentaire quand même, juste histoire de, parce qu'on était tout de même nominés l'un contre l'autre la veille, durant le prime. Ce n'est pas une situation qui me dérange, personnellement, d'être nominé contre quelqu'un que j'apprécie, comme c'était le cas avec Léo, mais j'imagine que ça doit être moins facile pour quelqu'un comme Imma, qui a plus tendance à faire dans l'émotivité que moi. Ce qu'elle me souffle en réponse ne m'étonne pas vraiment. Elle a quelque chose de très humble, Imma, mais qui peut vite se transformer en absence totale d'estime de soi. Le genre de trucs qui m'emmerde profondément, lorsque je suis condamner à jouer les psychologues. L'avantage avec elle, c'est qu'en plus de ça, elle manque aussi de confiance en elle, si bien qu'elle n'ose même pas le montrer, qu'elle n'a aucune estime de soi. Enfin, avantage pour moi mais pas pour elle, j'imagine. Et ça, c'est plutôt triste. « Tu devrais peut-être la prendre, alors » je suggère distraitement. Avant de ne plus rien ajouter. Elle file vers le bar et je la laisse faire. Moi je tire l'iPod que j'ai acheté exprès pour le jeu, puisque d'habitude, toute ma musique est concentrée sur mon téléphone que je ne pouvais pas prendre avec, et je m'emploie à chercher quelque chose à écouter, n'importe quoi. Ça aussi, j'abandonne, lorsqu'elle me parle à nouveau. J'ai envie de rire. Elle est probablement la seule qui ne comprend pas. Sans doute parce que je ne vois pas l'intérêt d'être désagréable avec elle. « Ce qui n'est pas comme il faut, on s'arrange pour le faire disparaître » je me contente de répondre, en haussant les épaules, un vague sourire aux lèvres. C'est tellement plus simple qu'ils restent entre eux, qu'ils se contentent de voir copinages, qu'ils voient pas plus loin que le bout de leur nez, et de ne pas imaginer que j'ai moi aussi un secret qui pourrait potentiellement être intéressant à dévoiler ou quelque chose à apporter. Comment leur en vouloir, cependant, de préférer conserver leurs affinités et de faire sauter les électrons libres ? Je fais la même chose, à mon échelle. « Mais je m'y attendais, en venant ici » j'ajoute d'un air indifférent. Oui, je savais très bien comment ça se passerait, et ça ne me gêne pas outre mesure. Pour ne pas dire que je m'en fous complètement, pour être totalement honnête. Ils ne sont rien pour moi, ils ne sont rien tout court, pour la plupart d'entre eux, alors qu'est-ce que leur avis pourrait bien me faire ? « Volontiers » je hoche alors la tête, lorsqu'elle me propose à boire. Juste parce qu'elle me le demande, cela dit, je n'ai pas particulièrement envie de boire quelque chose. Mais j'ai été élevé dans cette politesse qui impose qu'on ne refuse jamais un verre. « J'aimerais quelque chose que tu aimes » j'indique, joueur. Ce qu'elle veut, thé, café, ou autre chose, n'importe quoi. Un truc qu'elle aime boire, qu'elle aime préparer, qu'elle aime faire découvrir, j'en sais rien. Qu'elle se fasse plaisir.