J'ai préparé des pâtes carbonara. Je suis d'accord, ce plat n'est pas le plus élaboré au monde mais ça reste une valeur sûre lorsque l'on ne sait pas quoi mangé et qu'on a pas envie de passer trois longues heures derrière les fourneaux. En me les servant, je constate que j'en ai beaucoup trop fait. Comme d'habitude, mais je ne compte pas jeter le surplus à la poubelle et préfère les mettre dans un plat pour que ceux qui le désire, puissent se servir sans hésiter. Mon assiette étant prête, je l'emporte avec moi dans le restaurant et bien entendu, je n'oublie pas de prendre le gruyère avec moi. Les pâtes sans le gruyère, ça ne vaut rien.  Prenant place sur une chaise, je dépose mon assiette devant moi et disperse le fromage sur les pâtes encore chaude. Je ne sais pas trop où sont passés les autres candidats mais j'ai un peu l'impression que je vais passer mon repas toute seule. Quelque chose que je n'apprécie pas forcément. Et sans que je ne m'y attende, je vois Léo pointer le bout de son nez. «Y a encore plein de pâtes dans la cuisine si tu veux» Je l'informe parce que j'ai constaté qu'il n'a pas d'assiette entre les mains. Généralement, quand on vient ici, c'est pour manger alors je suppose que c'est aussi ce qu'il souhaite faire. D'ailleurs, j'ai une question un peu particulière à lui poser. «Dis, je me demande, est-ce que tu ne manges que des plats asiatiques ou bien t'as l'habitude de manger de tout ? » C'est pas une méchante question mais j'essaie juste d'y voir plus clair.

J’ai une dalle phénoménale. Il est temps pour mon bide de me faire à manger et c’est en traversant le restaurant que j’ai une opportunité en or qui se présente à moi : me faire offrir de la bouffe. Oui mais y a un mais, les choses sont pas aussi simples. « Des pâtes carbos ? » que je demande en m’approchant de son assiette pour plus de certitude. Effectivement ça en a tout l’air, j’vais plutôt aller me faire du tofu à la cuisine. Oui c’est délicieux. Parfois j’me dis que je rate quand même beaucoup avec cette conviction mais je fais avec, c’est pas comme si la viande me donnait envie de toute façon. Au contraire ça me répugne. « Non merci. » je décline tout naturellement, ça partait d’une bonne intention dira-t-on. Je lui en tiens pas rigueur parce que Mackenzi est cool mais elle pousse un peu avec sa question. Je la fixe un instant avec mon air stone pour voir si elle en fait exprès ou pas. Le problème c’est que ça en a pas l’air. Je sais pas ce qui est le plus inquiétant en fait, qu’elle pense que je puisse bouffer du chat ou que je sois un de ces chinois qui se gavent de fritures. J’ai que les yeux que de bridés, le reste n’a rien à voir avec ce qui se passe de l’autre côté du pacifique. Du moins même si c’est un minimum lié moi je m’en branle. « Je suis végétarien. » Au cas où ça lui aurait échappé, mais visiblement oui c’est le cas donc autant lui préciser. « Et français, donc je mange surtout des plats français sans viande. » Oui bon j’peux pas m’empêcher de finement me moquer comme d’habitude. « Je suis pas un asiat d’Asie si c’est ça que tu te demandes. » Oui parce que bon ça doit bien avoir un sens caché sa question. Mon père est tout ce qu’il y a de plus français donc autant dire que j’ai rien à voir avec la culture des bridés.

J'aurais peut-être dû avoir une grosse famille et des gosses qui courent partout parce qu'il est vrai, j'ai toujours tendance à mal évaluer les quantités de nourriture que je prépare. Quelque chose que Jack m'a souvent reproché étant donné que monsieur ne supporte pas manger deux fois la même chose et que moi, je déteste le gaspillage. Donc je ne jette pas tant que cela n'est pas périmé et je le mange tant qu'il en reste. Un concept qui peut ne pas plaire, j'en ai bien conscience mais je ne compte pas y déroger ici. Je laisse cependant le plat dans la cuisine parce que je sais que certains n'aiment pas trop cuisiner et que cela les arrangera de trouver un plat qu'ils n'auront qu'à réchauffer au micro-ondes. Je m'attable dans le restaurant et commence à peine à manger lorsque je vois Léo traverser. Il me parait naturel de lui suggéré un peu de pâtes mais après s'être rapproché, j'entends l'asiatique décliner mon offre. Bien, je ne vais pas m'offusquer,il n'a d'ailleurs pas à se justifier mais il le fait quand même. Il m'annonce qu'il est végétarien. Bien, je comprends alors. «Depuis quand est-ce que tu ne manges plus de viande ?» Cela m'a toujours intéressée de savoir pourquoi et à quel moment de sa vie un végétarien prend conscience qu'il ne veut plus manger de viande. Est-ce qu'il y a un élément déclencheur ? Une prise de conscience ? Je ne sais pas. Dans le cas de Léo, je compte sur lui pour m'éclairer un peu. Je porte une nouvelle fourchette de pâtes à ma bouche pendant qu'il reprend la parole pour m'expliquer qu'en réalité, son père est français. «Et ta mère,elle provient d'où ?» Parce que si son père est français, sa mère doit bien avoir des origines asiatiques, ses yeux ne mentent pas, aeum. Et dans ce cas, je suis curieuse de savoir si elle apporte sa culture, si Léo connait tout de même certaines choses sur l'Asie.«Tu es déjà allé dans son pays à elle ?»

Visiblement Mackenzi avait pas relevé, c’est pas grave j’estime que c’est pas parce qu’on vit tous ensemble qu’on doit toujours être sur le dos des autres pour tout connaître d’eux. Moi le premier j’ignore encore la quasi-totalité des informations connues à propos de mes camarades. J’entends les bruits de couloir mais j’y attache tellement peu d’intérêt que je m’en contente aisément. Mon adoption du régime végétarien remonte à bien plus loin que mon entrée dans la religion. J’ai pas l’air mais je suis plein de principes, surtout envers moi-même en fait. « Depuis 5 ans. » J’étais féru de bon steaks et de barbecue mais mon dégoût pour la maltraitance animale m’a poussé à arrêter pour faire partie de la révolution qu’opère le végétarisme. Une révolution pacifiste mais c’est aussi en plus de ça une façon d’être raccord avec mes idées. Je ne suis pas un hypocrite, ce serait un comble de l’être avec moi-même. Je me contente de réponses courtes car je n’aime pas spécialement développer sur ma personne, j’préfère encore écouter les autres parler d’eux pour ce que ça m’en coute. Par contre j’me vois obligé de développer un peu sur mes origines parce qu’elle fait dans le cliché là Mackenzi. Elle me demande d’où ma mère provient. Evidemment ça me fait rire car je considère pas encore ma mère comme un produit donc techniquement parlant elle provient de nul part. « Elle provient du Japon. » Elle a bien tenté de m’apprendre sa langue maternelle mais elle s’y est pris trop tard, aujourd’hui encore j’arrive à baragouiner un « salut ça va ? » et c’est tout. « Non c’est trop cher. » C’est sans doute la raison pour laquelle je me sens très peu concerné par mes origines lointaines. J’y ai jamais accordé beaucoup de crédit. « Mais ma sœur y vit. » C’est la première fois que je la mentionne ici et je sais même pas pourquoi je raconte ma vie à Mackenzi. « T’as beaucoup voyagé avec ton mari ? » M’en allant vers la cuisine pour me chercher une pomme j’hausse la voix pour que Mackenzi puisse entendre la fin de ma question.

Cela fait donc cinq années que Léo a renoncé à manger de la viande. Bien que je ne sois pas une fervente protectrice de la cause animale, j'arrive à concevoir ce genre de choses et à me montrer tolérante avec les gens qui souhaitent vivre de cette façon. La seule chose à laquelle ils doivent faire attention, c'est bien entendu à remplacer la viande par des substituts mais comme Léo ne m'a pas l'air d'être en mauvaise santé, je ne fais pas de commentaire supplémentaire sur le sujet. Et comme il ne semble pas vouloir donner plus de détails, je suppose qu'il est venu le moment de changer de discussion. Un peu maladroitement, je cherche à connaître les origines du jeune homme qui m'informe dans un premier temps de la nationalité de son père et ensuite, à ma demande, de celle de sa mère. Le japon donc, un pays dans lequel il n'est jamais retourné parce que cela coûte trop cher. Il m'informe cependant que c'est dans ce pays que sa soeur a décidé de faire sa vie. «Cela fait longtemps qu'elle est partie là-bas ?» Je me demande par exemple si elle revient le voir de temps en temps, si ils sont proches et gardent le contact. «On a jamais vraiment eu beaucoup de temps pour le faire. On avait beaucoup de travail et personnellement, il était rare que je veuille quitter Paris. » Lorsque je travaillais, je ne concevais pas vraiment de prendre des vacances. Je dansais, je m'entraînais chaque jour et j'avais peur que partir à l'étranger me fasse perdre de ma rigueur alors je n'ai pratiquement jamais pris de vacances. «Après j'ai eu des problèmes de santé, un accident. Je suis restée un moment à l’hôpital. On a rien pu faire durant cette période non plus et maintenant, et bien comme notre mariage part en poussière, je suppose que c'est pas le moment pour prendre des vacances non plus» Je parle tout en jouant avec ma fourchette dans mon assiette tandis que mon regard se pose sur lui. «Et toi alors, quelle vie tu mènes ?» Parce que je ne sais même pas ce qu'il fait dans la vie.

Je saurais pas dire du tac au tac depuis combien de temps ma sœur s’est fait la malle. J’préfère la laisser où elle est, ça lui évite de me casser les couilles sur des sujets prise de tête. « Quelques années. Elle y est restée après ses études. Ca a l’air de l’éclater. » Je précise vaguement puisque je m’en fou, elle peut faire ce qu’elle veut c’est sa vie. Au fond elle s’en sort plutôt pas mal et le contraste avec ce que je fais de mon côté est flagrant mais il en faut toujours un qui réussisse sur les deux. J’me suis sacrifié pour elle, elle pourrait me remercier. Je m’éloigne pour aller chiper une pomme tandis que Mackenzi me parle de ses voyages. « Pourtant Paris c’est vraiment glauque, y a que les touristes pour kiffer. » Cette ville est un enfer, un tourbillon de la dépression. Même les parisiens n’apprécient pas d’y vivre alors pourquoi vouloir s’y terrer ? Visiblement Mackenzi avait des raisons professionnelles, c’est tout à son honneur. Je reviens le fruit à la main, m’asseyant face à elle pour le croquer. « Ton mariage part en poussière ? » Je reprends ses paroles, un peu étonné de l’apprendre que maintenant. Habituellement ce genre d’histoires je m’en fou. Prenez Allen par exemple, il fait bien ce qu’il veut avec sa femme –et Mylah par la même occaz’- mais là ça me fait presque compatir avec Mackenzi. « Au contraire c’est le moment de prendre des vacances. » Je suis tout à fait sérieux, aussi étonnant que ça puisse être et ce même pour moi. « Un séjour aux Bahamas et le tour est joué, y a rien de mieux pour raviver la flamme. Enfin j’imagine. » J’hausse les épaules parce qu’au final j’en sais rien, j’ai jamais été marié et j’ai jamais eu les moyens d’aller aux Bahamas. « Rien d’intéressant, je travaille en tant que vendeur pour payer mon loyer.» On a déjà vu plus intéressant. Je suis ce type complètement normal qui pourrait être le voisin d’à côté. Je croque une nouvelle fois dans la pomme, mâchant lentement je me tâte à m’ouvrir un peu plus à Mackenzi. Finalement j’ai envie d’en parler alors une fois ma bouchée terminée j’embraye. « Et j’ai rejoint une paroisse il y a deux ans. » C’est à peu près tout ce qu’il y a de spécial dans ma vie. « C'est comme une renaissance.... même si les autres me regardent toujours un peu de travers je m’y fais. En même temps je les comprends. » Je concède pour la première fois à voix haute. Mon église est petite donc forcément les gens sont méfiants. Je l’aurais été aussi en me voyant débarquer.