C'était tout sauf courageux de sa part, mais ce n'était en rien un hasard s'il avait décidé d'établir ses quartiers dans la salle zen pour toute la durée de l'après-midi. Cette salle n'intéressait plus guère de monde maintenant, pas qu'elle n'ait eu un franc succès à d'autres moments de la saison cela dit, et il avait donc l'assurance d'y être tranquille et de pouvoir se décrisper un peu à l'idée de ne pas tomber sur un candidat de manière inopinée ... Il ne faisait pas le malin, Sayid. Partagé entre l'impression que l'on allait venir le chercher d'un moment à l'autre pour lui apprendre que finalement il n'avait rien à faire là, que son prénom n'avait rien à faire dans le quatuor finaliste, et l'impression - sans doute fausse et causée par sa tendance un peu trop poussée à la paranoïa - que tous les candidats le regardaient désormais de travers, en s'attendant sans doute à ce qu'il se lance dans un numéro de mime ou ne se mette à répéter le moindre de leurs mots comme Coin-Coin, une chose était certaine le britannique était encore moins à l'aise parmi ses camarades que lors des dix semaines de jeu qui venaient de s'écouler. Rien d'étonnant donc à ce qu'il marmonne une excuse vaseuse et quitte finalement la salle zen lorsqu'un autre candidat s'y était aventuré. Il n'avait pas erré longtemps puisqu'au bout du couloir se trouvait la salle de contrôle, autre lieu habituellement de calme et de solitude ... Habituellement mais pas aujourd'hui. « Salut mec. » Sayid était resté un instant silencieux face à Lamine, prenant le temps de l'observer pour savoir s'il devait s'en méfier ou non dans l'immédiat. Depuis qu'il avait croisé le regard noir de Mylah durant le dernier prime il se méfiait, comme le gamin qui craignait constamment de se prendre une gifle, et ce même s'il avait parfaitement conscience que Lamine et Mylah n'avaient absolument rien à voir l'un avec l'autre ... ce n'était pas un hasard s'i les avait opposés lors de l'explication de son secret. « Salut. » avait-il finalement répondu sobrement, tandis qu'il avançait un peu dans la pièce et refermait la porte derrière lui. Il ne voulait pas donner l'impression de vouloir fuir devant Lamine, et ce meme si de base il était venu ici pour être seul. « J'imagine que t'es pas trop chaud pour chanter avec moi "on est en finale, on est en finale, on est, on..." (...) ouais, non, laisse tomber. » Sayid l'avait regardé d'un drôle d'air, ses lèvres s'agitant un instant comme s'il s'apprêtait à dire quelque chose avant de finalement renoncer quand le français lui avait dit de laisser tomber. « Je préfère ne pas avoir l'air de me réjouir, maintenant que je n'y suis plus obligé. » s'était-il contenté de confier d'un ton légèrement hésitant, marquant un temps d'arrêt pour réfléchir à ce qu'il venait de dire et rajoutant un peu précipitamment « Enfin, pour moi, je veux dire. Je suis content pour toi. Même si j'ai pas l'air très ... enfin voilà. » Pas l'air très démonstratif, donc. Depuis qu'il était ici il n'avait jamais poussé le vice assez loin pour en faire des caisses, ce n'était pas maintenant que son secret n'en était plus un qu'il allait commencer. Il n'était pas certain que les candidats apprécient, maintenant. Ravalant sa salive et tentant de se donner une contenance, il avait pris sur lui de retrouver malgré tout un air plus sur de lui, tandis qu'il reprenait « J'espère que cela améliorera un peu l'estime que tu as de toi-même. Même si ce n'est qu'un jeu. » Il avait encore en tête les paroles du jeune homme lors de la semaine précédente, lorsqu'il lui avait avoué douter que ses parents puissent être fiers de lui pour quoi que ce soit qui concerne sa participation à l'émission. Sayid n'avait pas trop su quoi répondre, sur le moment, et s'était sans doute montré un peu maladroit parce qu'il avait généralement besoin d'un peu de temps et de réflexion pour ce genre de réponses sérieuses et où il fallait prendre garde à ne pas dire les choses maladroitement. Mais il estimait que Lamine valait mieux que la manière dont il se dévalorisait. Il n'avait pas fallu longtemps en tout cas pour que son secret ne soit mis sur le tapis, Lamine ayant malgré tout l'air plus curieux que apte à le juger, pour l'instant. C'était toujours un petit soulagement, pour Sayid, meme s'il restait méfiant. « Oh dis, tu tombes bien parce que je voulais te demander : le jour où je t'ai fait découper des poissons pour le premier avril tu l'as fait par mimétisme du coup ? Genre si je te l'avais pas demandé, t'aurais quand même fini par m'imiter ou pas ? » Bien que la forme de la question, et le choix de cet exemple en particulier, le laissent un peu perplexe, Sayid en comprenait le fond et n'en niait pas la légitimité. Quittant l'encablure de la porte il était allé s'adosser au mur un peu plus loin, glissant ses mains dans les poches de son pantalon cargo et reposant son regard sur Lamine. « J'aurais attrapé la paire de ciseaux et découpé des poissons en papier sans que tu me le demandes, oui. Sauf si tu m'avais demandé de ne pas le faire. » Sayid était avant tout quelqu'un de docile, même s'il évitait de le faire savoir de manière trop directe parce qu'il avait aussi compris que certaines personnes avaient tendance à profiter de la docilité exacerbée d'autrui. « Mais je ... tout n'est pas toujours calculé. Parfois je fais simplement les choses sans réfléchir. » Et dans ces cas-là il arrivait qu'il ne s'en rende même plus compte, comme si son inconscient avait fini par être programmé pour suivre son stratagème. D'avoir à l'instant mis ses mains dans ses poches et ainsi adopté une posture similaire à celle de Lamine, par exemple, cela faisait partie de ces choses que Sayid faisait sans plus en avoir conscience.

Il n'était pas venu ici dans l'espoir de croiser Lamine ou qui que ce soit d'autre, bien au contraire, mais pour autant il ne considérait pas la présence du français comme désagréable ... C'était plutôt sa propre présence qu'il craignait d'être désagréable pour Lamine. Contre ses propres attentes pourtant le jeune homme ne semblait pas décidé à passer son chemin tout de suite et aurait même été prêt à entraîner Sayid dans sa danse de la victoire s'il n'avait pas deviné que ce n'était pas vraiment le genre de chose pour lequel son camarade serait emballé. Cela faisait dix semaines qu'il se dispensait de jouer les faux expansifs pour éviter de se trahir, il n'allait pas commencer maintenant ... et puis il n'était pas certain de vouloir se réjouir, de toute façon. Lamine pouvait l'être, là-dessus il n'avait pas le moindre doute et y voyait même une totale légitimité, mais dans son propre cas justement l'impression de légitimité lui manquait et il avait surtout à cœur de ne pas trop la ramener, du coup. Presque comme s'il craignait qu'un membre quelconque de la production ne vienne le chercher par la peau du cou pour le traiter d'imposteur et mettre un autre candidat à sa place de finaliste. « Et pour toi, t'es pas content ... même pas un tout petit peu ? » Sayid avait hésité un instant, ouvert la bouche pour dire quelque chose avant de finalement se rétracter, et ouvert la bouche à nouveau pour avouer à voix basse « Un petit peu, oui. » et puisque Lamine lui avait  plus ou moins tiré les vers du nez Sayid se disait qu'il ne lui reprocherait donc pas de l'être un peu, satisfait. Même s'il avait toujours l'impression de ne pas le mériter et n'avait pas pu s'empêcher de rajouter « Mais je pense que maintenant certains doivent regretter leur vote. » Probablement que certains ne devaient pas apprécier d'avoir voté pour quelqu'un dont le secret lui donnait l'air si malhonnête. Alors bien sûr, bien qu'il soit souvent malmené son égo n'en était pas pour autant inexistant et le fait d'être flatté par cette place en finale ne lui faisait pas de mal, mais le britannique préférait tout de même ne pas trop la ramener ; Il n'était pas habitué à être mis en avant ainsi, il ne pouvait s'empêcher de se méfier, comme s'il cherchait irrémédiablement le piège. Il aimerait bien pourtant, faire preuve publiquement d'un peu plus de fierté  propos de lui-même, sans trop se soucier de l'avis des autres. Un peu comme Lamine, il semblait avoir compris le principe, lui. « Oh tu sais, je ne compte toujours pas sur leur fierté. je suis réaliste, ils m'ont fait savoir que je les avais déçus alors c'est pas le fait de briller dans un jeu télé en atteignant la finale qui va changer quoi que ce soit. et ça me va. Je veux dire, j'attends plus rien d'eux et leur fierté ne m'est vraiment pas indispensable ... même si elle serait la bienvenue, c'est sûr. » Le sourire qui s'était lentement dessiné sur le visage de Sayid était on ne peut plus sincère, pour une fois, il n’avait pas eu besoin de le calquer sur qui ou quoi que ce soit. Ne perdant par ailleurs pas son entrain, Lamine s'était soudainement exclamé « Ah, d'ailleurs ! » avant de rajouter, semble-t-il non sans une certaine fierté « خالص التهاني » Bien que son absence de repères l'empêche d’avoir l’air véritablement impressionné, un air de surprise s'était néanmoins glissé sur le visage de Sayid « شكرا » avait-il d’abord répondu par automatisme, ajoutant d’un ton doux plus doux qu’à l’accoutumé « Tu apprends vite. » Et ce n’était pas donné à tout le monde. Semblant hésiter à nouveau avant de parler, le britannique avait fini par reprendre un ton plus sérieux « Je crois qu’une des premières semaines ici j’ai sous-entendu que ce que tu fais n’était pas un vrai métier. Et je comprends toujours pas des masses ce que tu fais dans la vie, mais ... je n’aurai pas du te dire ça. C’est ce que les gens ont tendance à dire face à quelque chose qu’ils ne connaissent pas et, hm ... enfin je suis désolé, je suppose. » Il était habitué à s’excuser pour la forme, pour faire bien, mais comme l’envie de le faire sincèrement lui venait somme toute assez peu souvent il s’y prenait fatalement avec maladresse. Il essayait pourtant, et c’était déjà beaucoup pour lui. « Tes parents devraient être fiers que tu puisses transformer ta passion en métier, c’est pas donné à tout le monde ... si ils sont plus intelligents que les miens ils finiront par s’en rendre compte. Et le cas échéant, tu n’as pas besoin d’eux. » Il avait écouté Lamine lui parler de son frère la semaine précédente, et de la manière dont il semblait se considérer comme le petit frère raté qui passait après le comportement irréprochable de son aîné. Sayid n’avait jamais eu de frères et soeurs lui, et ses parents avaient du se contenter de la déception qu’il était sans pouvoir rabattre leurs espoirs sur quelqu’un d’autre ; Lamine serait peut-être plus tranquille, du moins c'était ce que Sayid espérait avec sincérité. Et si sa participation à cette émission lui permettait de prendre sa vie en mains sans plus avoir de comptes à rendre à ses géniteurs alors Lamine serait la preuve que cette émission n'était pas qu’une mascarade grotesque dans laquelle il était venu s’enfermer à reculons. La conversation avait finalement dérivé sur lui, ou sur son secret plus précisément, et en effet dans cette histoire de poissons Sayid se serait embarqué même sans demande explicite. « Et pourtant j'imagine que t'as pris aucun plaisir à le faire. J'ai cru comprendre qu'il y a des candidats avec lesquels c'était plus difficile pour toi de t'adapter. » Ça, Lamine ne croyait pas si bien dire, tout n’avait pas toujours été simple et Sayid avait parfois donné à certains candidats une image qu’il aurait préféré différente. « Tu n’étais pas parmi les pires. » qu’il lui avait finalement avoué à voix basse « Tu inspires facilement confiance, comparé à d’autres. » Et Sayid ne saurait pas trop dire pourquoi, la méfiance ou l'intérêt qu’il portait aux gens était souvent subjectif et basé sur un ressenti qu’il n’était pas correctement capable d’analyser. La suite des paroles du jeune homme le laissaient cependant penser qu’à son sujet au moins il ne s'était pas trompé. « Enfin t'es pas plus bizarre qu'un autre, pour moi. okay t'es le premier mec que je rencontre qui agit de cette façon, mais j'suis pas d'accord avec ton père, ça fait pas de toi une bête de foire. » Elle le faisait encore tiquer, cette expression. Il avait probablement déjà entendu pire avant d’arriver à l'âge du lycée mais celle-ci l’avait marqué et il savait que c’était pour de mauvaises raisons. Les paroles de son père n'étaient plus censées avoir la moindre incidence sur lui maintenant, mais pourtant. « Nos pères ne sont vraiment pas des modèles de tolérance. » avait alors commenté Lamine, comme s’il lisait dans les pensées. Gardant le silence un instant, comme s’il hésitait à dire quelque chose, Sayid s'en était en fin de compte empêché au dernier moment et s'était contenté d’acquiescer « Tu n’imagines même pas. » Du moins pour ce qui était du père de Sayid. On n’imaginait pas jusqu'où pouvait aller son intolérance.