@Naveen

J'ai toujours eu cette vision étrange de la nuit, comme une pluie de paillette fixe, se moquant de l'être humain, toujours présente, jamais atteignable. J'aime la nuit autant que je peux la haïr, probablement parce que j'ai toujours eu beaucoup de mal avec tout ce qui était hors de mon contrôle. Mais là n'était pas le soucis. Cette fois ci, j'avais choisi de quitter ma couchette pour une mission bien plus importante. Oui, j'avais même apporté ma couette avec moi, et puis aussi la doudoune que la production nous avait fourni, tout ça pour venir m'asseoir en face du portail, tentant de discerner dans la pénombre ce qui me semblait être le nid. Et puis, les minutes s'étaient écoulaient, et c'était à même le gazon que j'avais fini par trouver le sommeil, bercé par le froid hivernal et ces quelques lumières qui faisaient de ma vie un constant point d'interrogation. La fraicheur ne me dérangeait étrangement pas, et je comprenais par là que les couettes étaient bien plus épaisses que ce que j'aurais pu imaginer. Dormir dehors ne m'avait d'ailleurs jamais réellement posé problème, puisque j'aimais bien aller faire du camping lorsque j'étais gosse. Oh, ça n'était pas mes parents qui m'y amenaient, mais des amis en général, parce que bon, ça se fait pas trop par chez moi. Ce furent des bruits de pas, et quelques tapant contre les grilles qui me firent ouvrir les yeux. Je n'y voyais pas grand chose, mais il semblait qu'un autre candidat se tenait juste au dessus de moi et aux vues de sa silhouette tremblante, il ne semblait pas être particulièrement à l'aise à l'idée de trainer par ici à une heure pareille. « Tiens, je te fais une place. » murmurais-je d'une voix encore rauque. Il avait de la chance, j'étais un véritable radiateur ambulant. Et qu'importe les raisons qui l'avaient poussé à quitter sa cellule, on ne serait pas trop de deux pour se tenir compagnie. « Je crois que c'est ici qu'on est le plus proche de la "case départ". » repris-je finalement quelque peu pensif, en référence au fameux "aller en prison sans passer par la case départ" que nous offrait le Monopoly. J'aimais pas ce jeu. J'gagnais jamais. « Tu t'es déjà imaginé atterrir dans un trou comme celui ci, toi ? » Parce que moi oui, tous les jours.

Je ne ressentais pas ce froid que beaucoup pouvaient considérer comme étant handicapant. A vrai dire, par chez moi, je ne portais que rarement un manteau, ni ne dormais avec une aussi lourde couette que celle ci. Mais évidemment par ici, ça n'était que trop nécessaire, je n'étais pas une sorte de viking capable de résister à n'importe quelle température. Pour autant, j'avais choisi de passer ma nuit, ou du moins une partie de ma nuit, ici, à explorer la pénombre comme un gosse bien trop captivé par ce qu'il ne pouvait atteindre. Petit, j'étais une tornade ambulante, le genre de gamin que l'on a peur de lâcher dans les rayons, qui risque en une fraction de seconde de disparaitre. Aujourd'hui, je ne savais pas trop si j'avais changé, mais la moindre chose m'intéressait, passait dans les engrenages de mon esprit d'analyse jusqu'à en ressortir parfaitement jugée. J'étais ainsi, et avoir un avis sur tout ce qui m'entourait était naturel chez moi. Aussi, lorsque le brun s'assit à côté de moi, mon bras enveloppait un court instant ses épaules pour y placer la couverture. Heureusement pour nous, elle était assez longue pour deux, je crois que j'avais hérité de la couette la plus grande, oui, bien trop grande pour mon propre lit. « Oh, non ne t'en fais pas. » un petit mensonge qui ne couterait assurément pas une vie, mais je préférais me savoir en bonne compagnie étrangement, même si cela restait encore à déterminer. Je n'apercevais pas bien le jeune homme, et encore moins maintenant qu'il était à mes côtés, et alors que je tentais tant bien que mal de discerner le moindre de ses traits, voilà qu'il mentionnait l'autre côté du grillage. Aussitôt, mon regard s'y portait, mais c'était comme poser ses prunelles dans un vide parfait. Et quelque part, peut-être était-ce mieux, de ne rien voir. Au moins, ça ne nous laissait pas l'occasion d'envier ce qui ne serait que trop réel. « Apparemment. Cela dit, je t'avoue ne pas trop savoir ce qu'ils entendent par "bien s'en sortir". » Je veux dire, je ne voyais pas trop comment je pourrais me démarquer d'une quelconque manière, autre qu'en étant moi-même. Les cartes étaient plus ou moins jouées à l'avance. « Je suppose qu'on en saura un peu plus assez rapidement... » Ou pas. En réalité, on baignait encore dans une zone d'ombre quant à cette aventure, en règle générale. Je le questionnais donc tout naturellement sur la prison, et plus précisément si il s'était déjà imaginé derrière les barreaux, et il ne tarda pas à répondre par la négative. Apparemment, chez lui, tout le monde était resté dans les bons vouloir de papa maman, chose qui n'était absolument pas le cas de mon côté. « Ça dépend du point de vue, je crois. Mais en général, on a bien vite fait d'accuser, j'crois que l'être humain est simplement comme ça, à chercher des tords partout. » Même là où il n'y en a pas. Si je pensais déjà y atterrir ? « Pas qu'une fois. En fait, c'est un peu tout le contraire, chez moi, on se débrouillait comme on le pouvait, tu vois ? Et tu sais ce que c'est, quand t'es un gamin sans repère, t'as rapidement fait de suivre les mauvais exemples. » Ou peut-être ne savait-il pas, non, puisqu'il n'avait jamais connu ça. « Mais du coup, t'as jamais eu envie de transgresser les règles ? » Ça devait être lourd à vivre d'après moi, que de suivre un chemin parfaitement tracé sans avoir main libre sur ce que l'on pouvait bien devenir. « Tu entends quoi par "chez vous" d'ailleurs ? » Car ne pouvant réellement le voir, et même si je me doutais que son accent n'était pas d'ici, j'avais tout de même bien du mal à lui donner une origine particulière.

Spoiler:

Mon sourire se joint au sien lorsqu'il ajouta que l'on serait chanceux de s'en sortir indemne. Et je ne tardais d'ailleurs pas à rétorquer « Tu remarqueras que même nos couettes sont trop épaisses pour que les plus suicidaires d'entre nous les changent en cordes. » Clairement, on se passerait bien tous d'une pendaison en plein début de saison. Bon, heureusement, je disais tout cela sur le même ton, avec humour parce que je n'imaginais personne d'assez fou pour faire une telle chose. Enfin, j'espérais. Cela dit, parait-il qu'il y avait de véritables cinglés dans des précédentes saisons, ça faisait un peu peur quoi. Mais bon, l'audimat, toujours l'audimat. Pour ce qui était de son discours sur les secondes chances, un léger rire finit par s'échapper de mes lèvres. « Mec, tu sors d'un conte Disney, en fait ? » Parce qu'il avait l'air parfait des pieds à la tête le garçon, serein et tout, franchement moi j'admirais sa façon de pensée, clairement, même si je n'y adhérais pas forcément. Du moins pas sur ce point. « Les gens accusent bien vite, mais 'faut pas rêver non plus, certains ne sont juste pas faits pour s'intégrer à la société. » Et je savais bien de quoi je parlais, de par mon métier, mais également de par mes précédentes fréquentations. J'étais pas forcément le mec le plus clean à la base, mais voilà, j'avais une conscience. Chose que d'autres n'auront probablement jamais. C'était ça le plus grave. « Disons que c'est triste d'en arriver à de tels extrêmes, mais lorsque c'est nécessaire, y'a pas à réfléchir. » Qu'on ne vienne pas me dire qu'un mec qui s'en prenait à une gosse sans défense ne méritait pas la prison, franchement, ça me ferait presque vomir. Evidemment, je me doutais qu'il ne pensait pas de cette façon non plus, et quelque part, je comprenais sa vision même si je ne pouvais m'empêcher de penser que c'était parce qu'il n'avait pas assez eu d'expériences personnelles en matière de débordement qu'il me semblait aussi candide. Il me demandait si j'avais déjà fait des choses que je regrettais, et j'hochais instinctivement la tête, en oubliant qu'il ne me verrait peut-être pas sur le moment. « J'ai pas toujours fait les bons choix. J'crois que l'important c'est de le réaliser par la suite, d'en avoir conscience. » De ne plus les commettre. De grandir quoi. (...) Attendez, est-ce qu'il venait réellement de me dire que ses parents avaient cherché à le marier avec leur voisine ? « Tu déconnes ? » j'avais pas pu m'empêcher, tellement j'trouvais ça un peu abusé quoi. « Enfin... Mais... » Vas-y, j'arrivais même plus à bien parler quoi (bon, cela dit, c'était pas non plus mon fort, les expressions politiquement correctes). Il était donc d'Inde, ok, ça expliquait pas mal de choses pour le coup. « Et question... Du coup tu dois mettre tes parents au courant de tout ? Genre c'est eux qui décident de tout ce que tu dois faire, ou genre t'as un droit de véto ? » J'en sais rien, j'connais pas cette culture. « Typiquement, tu peux t'envoyer en l'air avec qui tu veux, non ? » Bon, sorti comme ça, ça perdait un peu toute classe, mais au moins il se ferait une idée du filtre que je pouvais avoir. « J'habite au Canada actuellement, mais en vrai j'suis Américain. » Pas certain que ça s'entende à l'accent, cela dit. « Grey, enchanté Navid. » j'crois « C'est cool, je sens qu'on va pouvoir apprendre plein d'trucs l'un de l'autre. Je t'apprendrai à faire des burgers, si tu veux. » Genre, il sait ce qu'est un burger, hein ?

A vrai dire, j'imaginais mal des candidats directement tenter de mettre fin à leur jour dans une émission comme celle ci. Certainement parce que je n'en voyais pas le but. On était quelque part tous là pour partager un bout de nous, de notre histoire, et mettre fin à sa vie au bout de trois jours me semblait, de un légèrement prématuré, et de deux, quelque peu inutile. « J'sais pas. T'as remarqué des profils plus angoissants que d'autres ? » Après tout, peut-être avait-il déjà une idée sur qui aurait plutôt tendance à la jouer ami-ami avec les lames de rasoir. Perso, c'était pas trop mon kiff. Je crois que je tenais simplement bien trop à la vie, maintenant que j'avais enfin réussi à en chasser toute la merde accumulée ces dernières années. Mon nouveau départ commençait ici et maintenant, et il était hors de question d'y mettre un terme sans me battre un minimum. Le garçon m'interrogea sur mes prochaines paroles, en me demandant ce qui pouvait m'amener à le comparer à un personnage de conte. A vrai dire, ça n'était pas tant une critique à mes yeux. « Non, j'aime bien ta façon de voir les choses. » Clairement, il ne s'agissait pas d'un manque de personnalité, bien au contraire. « J'aimerais être un peu plus optimiste, comme toi, parfois. » Car même si j'étais d'accord avec le fait de donner une seconde chance, je ne trouvais pas que tout le monde la méritait, non. D'ailleurs j'étais plutôt du genre à ne pas réussir à pardonner les erreurs que pouvaient commettre mes pairs. Je ne savais pas si c'était par fierté, orgueil ou par rancune, mais c'était ainsi. « C'est pas parce que tu vois les choses d'une manière plus positive que les autres que tu manques de personnalité. » repris-je calmement. Du moins, pas à mon sens, mais peut-être que pour certains, il fallait être plus dur, rentrer dans le lard comme dirait d'autres. L'indien ajouta par la suite qu'il sentait des énergies négatives en ces lieux, et un léger rire finit par s'échapper de mes lèvres. « J'espère que tu ne parles pas de moi, je ne saurais pas trop comment le prendre. » En vérité, je crois que ça m'amuserait plus qu'autre chose. J'aimais bien les histoires de fantômes et étais ouvert à beaucoup de choses, même si le fait de n'avoir jamais ressenti quelque chose du genre me faisait encore et toujours douté sur le sujet. « De toute façon, la semaine sera courte, ne t'en fais pas. » Il était évident qu'une fois celle ci passait, nous ne remettrions plus un pied dans cet endroit, alors il nous suffisait de prendre notre mal en patience. Après avoir approuvé mes paroles, il me demanda si les coutumes de son pays me choquait, et à vrai dire, oui c'était le cas. « Franchement, j'suis plutôt content que t'aies dit non. T'es libre de marier qui tu veux, et si t'as pas d'sentiments pour la personne, j'trouverais ça un peu con que tu te maries avec. » Enfin, à mes yeux et même si mes potes en riaient toujours, le mariage restait quelque chose de sacré. On ne passait pas la bague au doigt du premier inconnu simplement parce qu'il avait une plus grosse cagnotte que les autres prétendants. Ça me dépassait totalement. « Du moment que tu ne t'empêches pas de vivre. » ajoutais-je lorsqu'il me répondit ne pas vouloir décevoir ses parents. Car c'était une chose de respecter ses ainés, mais c'en était une autre que de ne vivre que par leurs saintes paroles. Je n'étais probablement pas le mieux placé pour lui donner des conseils à ce sujet, vu la relation que j'avais entretenu avec ma mère durant ces dernières années, mais au moins, elle n'avait jamais tenté de m'imposer quoi que ce soit. Ah, et soudainement, le garçon semblait gêné. « Oh, tu n'as... jamais, jamais ? » Celle là, je ne m'y attendais pas trop. « Ok, ok, plus de question là dessus. » je tentais bien de me taire mais toutes ces interrogations ne cessaient de s'imposer dans ma boîte crânienne. « Pourtant dieu sait que j'en ai un paquet. » finis-je par ajouter en riant quelque peu, plus pour me moquer de moi-même que de lui. « Naveen... Avec un N ? C'est noté. » Navid, c'était laid en même temps. « Tu ne manges pas de viande non plus ? Genre, t'as jamais mangé McDo ? » C'en était presque douloureux. « J'suis sûr que c'est au moins aussi bon que ta mousse. » mousse, samoussa, ça va, j'avais le droit d'être inculte. « Mais ça marche, et non aucun soucis, les plats relevés, c'est limite c'que je préfère. » Mais là encore, tout dépendait de ce qu'il entendait par relevé. « Dans tous les cas, j'ai hâte que ces grilles s'ouvrent. J'suis pas encore convaincu de mon potentiel par rapport à ce jeu, et tout, mais bon. » Il fallait bien essayer, comme dirait l'autre.